Quelques semaines après les mesures les plus radicales que les États-Unis aient jamais prises sur le contrôle des exportations de technologies, ciblant à la fois les semi-conducteurs et l’apport à la Chine de scientifiques américains, ce rééquilibrage n’est sans doute pas le fond de la politique américaine. Mais il est suffisant pour encourager une ruée vers Pékin. Quand Emmanuel Macron rencontre lui aussi Xi Jinping, le communiqué de l’Elysée n’évoque plus aucun autre dossier difficile que celui de la Russie, et celui du gouvernement chinois est axé sur une perspective vague de coopération économique avec la France. Un voyage présidentiel en Chine devient chose sûre, et le thème de la France "puissance d’équilibre" s’impose dans notre rhétorique diplomatique - peu importe le poids réel de notre pays en Asie-Pacifique. C’est ensuite l’italienne Giorgia Meloni qui patiente au-delà de minuit pour rencontrer le président Xi à Bali et annoncer son propre voyage en Chine. Sur ces entrefaites, l’Australien Anthony Albanese, qui cherche à sortir son pays de l’ornière des sanctions économiques chinoises, prend position lors du sommet de l’APEC contre la participation de Taiwan, "un non-État", au Partenariat transpacifique global et progressiste (plus connu sous son acronyme anglais CPTPP). Aux dernières nouvelles, on apprend que le Britannique Rishi Sunak hésite désormais à désigner la Chine comme une "menace" pour la sécurité. Aux Pays-Bas, après une rencontre de Mark Rutte avec Xi, au cours de laquelle ce dernier invite à "ne pas politiser le commerce", le gouvernement néerlandais prend vigoureusement position contre les mesures américaines sur les semi-conducteurs. À Singapour, le milliardaire Michael Bloomberg, organisateur d'un grand colloque, doit s’excuser pour des propos de Boris Johnson, qui avait qualifié la Chine d’"autocratie coercitive".
On comprend dans ces conditions combien il était tentant et facile pour Xi Jinping d’humilier publiquement le Canadien Justin Trudeau en marge du sommet de Bali. En reprochant à Trudeau d’avoir laissé fuiter les propos de ce dernier lors de leur rencontre formelle, et en le traitant de "naïf", Xi montre, comme avec le chancelier Scholz, sa pesée exacte des rapports de force. C’est avec le même instinct qu’il s’était permis d’évacuer de la tribune du 20ème Congrès son prédécesseur Hu Jintao. Vu de Pékin, et en dépit des protestations, tout passe avec les démocraties : le tournant totalitaire, un traité désormais caduc sur Hong Kong, des crimes contre l’humanité au Xinjiang. Pourquoi ne pas croire que sur la question de Taiwan, l’Occident pourrait non pas perdre une guerre, mais renoncer au conflit ? C’est en tous cas l’intérêt de Xi Jinping, qui s’est si fort engagé en faveur d’une réunification rapprochée, sinon à date déterminée, d’explorer toutes les possibilités de division des démocraties.
Les illusions risquées du court-termisme
De façon significative, on peine à trouver les concessions que Xi Jinping a pu faire à ses interlocuteurs divers. L'ambiguïté des positions chinoises sur la guerre de la Russie était construite dans des déclarations diverses, quoique très espacées, depuis le mois de mars. Elles n'ont pas empêché une complicité massive dans la propagande publique de Pékin, et n’ont été suivies d'aucune initiative concrète. Croire à un rôle de médiateur aujourd'hui, c'est soit négliger les intérêts profonds qu’a le PCC avec le régime de Vladimir Poutine, soit participer d'une entreprise de règlement du conflit au détriment de l'Ukraine - non seulement sur le plan territorial, mais sur celui de l'économie et de l'humanité.
Ajouter un commentaire