La France est bien seule dans sa résistance aux visées expansionnistes d'Ankara. Une preuve de courage politique, mais aussi la conséquence d'une politique étrangère dans la région, à commencer par la Libye, où Paris a toujours préféré agir seul, sans consulter ses partenaires européens. Ce qui l'affaiblit considérablement aujourd'hui.
"Nous dormons d'un profond sommeil… et nous laissons les Turcs libres d'agir à leur guise. Pour les motifs les plus futiles, les chrétiens courent aux armes et se livrent de sanglantes batailles : et quand il s'agit de combattre les Turcs… personne ne consent seulement à lever la main", disait Pie II en 1456, six ans après la chute de Constantinople, au Congrès de Mantoue. Un peu plus d'un demi-siècle plus tard, François Ier s'alliait aux Turcs pour équilibrer la puissance des Habsbourg.
En dénonçant "la responsabilité historique et criminelle" de la Turquie, dans une escalade qui n'est plus exclusivement verbale, la France de 2020 est incontestablement plus proche de Pie II que des Valois.
Visées expansionnistes d'Ankara
François Ier, dans sa politique pro-turque, ne se souciait guère de solidarité européenne. Au-delà des siècles, l'Europe rendrait-elle à la France la monnaie de sa pièce ? Face au "Grand Turc d'aujourd'hui", Macron n'est-il pas un peu seul, au sein de l'Union, sinon de l'Otan, à s'opposer avec clarté et fermeté aux visées expansionnistes et aux signes d'intolérance religieuse d'Ankara ?
Peut-on se contenter de dénoncer l'absence de courage et de vision de certains de nos partenaires et alliés, ou faut-il se demander si la France n'est pas, au moins pour partie, responsable de la situation d'isolement relatif dans laquelle elle se trouve ? La réponse est sans doute entre les deux.
Il existe, en matière diplomatique, des affaires mal engagées, qu'il devient impossible de rectifier. La question libyenne, au cœur des tensions franco-turques, en est l'illustration. La France en aurait-elle trop fait en faveur de Kadhafi au début du septennat de Nicolas Sarkozy, puis trop fait contre lui à la fin de son mandat ? Le spectacle d'un philosophe, autoproclamé stratège, détaillant les cibles de la coalition anti-Kadhafi sur les marches de l'Elysée laisse toujours rêveur et n'apparaît pas, rétrospectivement, comme l'un des sommets de la diplomatie française.
La France a choisi le "perdant"
Dans la ligne des politiques menées précédemment, la France d'Emmanuel Macron se serait-elle, à son tour, autopiégée, en pensant pouvoir faire avancer, seule, le dossier libyen ? C'est à Berlin - la capitale d'un pays qui avait refusé de s'engager militairement en 2011 -, et non à Paris, que s'est tenue, en janvier 2020, une conférence internationale sur l'avenir de la Libye.
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