"L'Europe doit être à 75 % pro-américaine et à 25 % pro-chinoise", suggérait récemment, lors de la conférence annuelle du think tank européen Brueghel, une personnalité intellectuelle et politique de l'Europe du Nord. Le résultat des élections américaines peut certes affecter ce délicat équilibre. Mais l'impact d'une victoire de Joe Biden ne saurait être ni sous-évalué ni surévalué. Biden élu effectuera (si le Covid-19 le permet) ses premiers déplacements officiels auprès de ses alliés européens.
Âge de raison et âge de Trump
Le sentiment prédominant en Europe ne sera-t-il pas, alors, qu'une parenthèse vient de se refermer et que l'âge de la raison l'a emporté sur l'âge de Trump ? Le retour des États-Unis à la "normale", coïncidant avec la poursuite du durcissement des positions de la Chine, poussera-t-il l'Europe à se rapprocher davantage des États-Unis ? Quand la Chine menace de s'en prendre militairement à Taïwan ou remet en question le statut de Hong Kong, il n'est pas question pour l'Europe de choisir une position intermédiaire entre la Chine et les États-Unis. Au temps de la guerre froide, même après le départ de la France de l'organisation militaire intégré de l'Otan, le général de Gaulle insistait sur le fait que Paris demeurait l'"ami des mauvais jours" de Washington. La différence aujourd'hui tient au fait que la Chine, contrairement à l'URSS, est une puissance globale. La compétition avec elle est tout autant géoéconomique que géopolitique, les deux étant souvent étroitement imbriquées. Dépendre de la 5G chinoise n'est-il pas, toutes proportions gardées, l'équivalent de la dépendance à l'égard du gaz russe ? Ne peut-on aller jusqu'à considérer qu'une énergie qui vous place en situation de dépendance par rapport à un pays autoritaire peut être considérée elle aussi comme polluante, non pas climatiquement mais politiquement ? Par ses dérapages verbaux répétés, la Chine semble vouloir nous démontrer à quel point il serait dangereux de dépendre trop exclusivement d'elle.
Pourtant, le choix de l'Europe n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Les États-Unis, même avec Joe Biden à leur tête, ne redeviendront pas pour l'Europe l'assurance-vie qu'elle était. L'éloignement sinon le désintérêt à l'égard de l'Europe est profond, tout comme, plus globalement, la fatigue des États-Unis à l'égard de ses engagements internationaux.
Réflexes nationalistes
En définissant sa position - dans une compétition américano-chinoise qui va occuper une place toujours plus grande dans les équilibres mondiaux -, l'Europe choisit son destin. Elle devra décliner ses priorités avec plus de clarté qu'elle ne le fait aujourd'hui. Là encore, l'exemple de la lutte contre le Covid est plein d'enseignements. La pandémie a en effet, tout à la fois, renforcé les réflexes nationalistes et fait la démonstration que les nations ne pouvaient se sauver seules. L'indépendance, la résilience des nations européennes passe par plus d'Europe. Il serait certes exagéré de dire "Covid, Chine, même combat". Mais les pays du sud, du centre et de l'est de l'Europe, qui ont pu être séduits par l'idée de jouer égoïstement la carte chinoise, doivent désormais comprendre que l'ambition de la Chine n'est pas de les enrichir, mais de "nous diviser" pour mieux nous contrôler, sinon nous dominer demain. "Soyez forts, on ne respecte que les forts", disait Golda Meir, l'ancienne Première ministre d'Israël. La formule s'applique parfaitement à l'Europe d'aujourd'hui. L'Europe doit mener avec finesse - et dans l'unité - un exercice de géométrie variable qui la maintienne en même temps bien plus proche de Washington que de Pékin, sans lui faire oublier ses intérêts bien compris. Les Européens en sont-ils capables ?
Copyright : Brendan Smialowski / AFP
Avec l'aimable autorisation des Echos, publié le 11/09/2020
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