Dans un tel scénario, les banques et les porteurs d’obligations essuient des pertes (nous avons vu qu’ils ont les capacités de les absorber), et les autorités et entreprises d’État locales sont mises à contribution si nécessaire pour apporter de l’argent nouveau. Les autorités centrales surveillent et coordonnent étroitement le processus, sans se mettre en première ligne afin de ne pas réaccréditer le "too big to fail".
Ce blueprint a fonctionné dans des crises récentes. Il peut encore fonctionner dans le cas d’Evergrande, avec des risques d’exécution non négligeables (par exemple en cas de contagion à quelques "petites" banques), et des effets pervers (augmentation de l’endettement des autorités locales, préoccupant depuis longtemps). Plus grave encore, le traitement ne pourra pas être répété à l’infini, et rien ne garantit que d’autres promoteurs ne vont pas rencontrer des difficultés. Le risque existe aussi d’une perte de confiance des prêteurs et investisseurs qui se propagerait à d’autres promoteurs, car les problèmes d’Evergrande semblent plus liés à la question structurelle du surinvestissement dans l’immobilier et au ralentissement que ce secteur connaît aujourd’hui qu’à des facteurs qui lui seraient propres - Evergrande a certes investi dans des diversifications hasardeuses, mais sur une échelle qui n’a rien à voir avec celle des débordements de HNA ou de Anbang, deux autres sociétés lourdement endettées et qui ont dû être restructurées. La mèche qui mène au tonneau de poudre est loin d’être éteinte.
La spirale des garanties implicites
La question de fond que soulève cette nouvelle crise est celle des mécanismes qui permettent et favorisent l’apparition de foyers d’instabilité financière, comme la Chine en a beaucoup connu ces dernières années : finances de l’ombre (le "shadow banking"), bulle du P2P, faillite ou quasi-faillite de quatre banques locales, endettement excessif des autorités locales, restructuration d’entreprises géantes et trop endettées comme HNA ou Anbang, et maintenant Evergrande.
Si Evergrande a pu emprunter de tels montants, c’est parce que des banques et des investisseurs étaient prêts à les lui fournir. Une telle prise de risque résulte en large partie de cette perception d’une garantie implicite. Ceci est particulièrement vrai des particuliers qui ont accepté de verser des dépôts parfois importants en pensant que, puisque la main du gouvernement était partout, elle était là aussi.
La persistance de ces garanties implicites affecte la perception des risques par les acteurs économiques : les banquiers partent du principe que, s’ils sont assez importants, les entreprises d’État, les gouvernements locaux et même les groupes privés seront soutenus par l’État. Les déposants n’imaginent pas qu’une banque puisse faire faillite (beaucoup de banquiers partagent d’ailleurs cette illusion), et les épargnants pensent que les produits d’épargne qu’ils achètent sont garantis par ceux qui les leur vendent. La conséquence en est une allocation du capital inefficace, qui se traduit entre autres par des bulles financières ou même physiques (surcapacités industrielles), ou par des groupes qui parviennent à s’endetter plus que de raison.
Les autorités tentent de démanteler progressivement cette mécanique des garanties implicites. Mais à chaque fois qu’elles retirent une pièce de l’édifice surgit le risque de déclencher une crise qui pourrait s’étendre à l’ensemble du secteur financier. L’exemple d’Evergrande montre à quel point l’exercice est périlleux. Nous reviendrons régulièrement sur ce sujet crucial.
Copyright : GREG BAKER / AFP
Ajouter un commentaire