De leur côté, certains gouvernements locaux s’efforcent de protéger les projets Evergrande qu’ils accueillent dans la ville qu’ils administrent pour éviter que les fonds concernés n’aillent ailleurs. Ces précautions anticipatrices forment un premier cercle vicieux.
Le second cercle vicieux est, lui, inhérent à la manière dont se finance Evergrande, mais aussi l’ensemble des promoteurs immobiliers sur le marché chinois. Le gouvernement chinois limite l’octroi de prêts aux promoteurs par les banques, et environ la moitié des ressources des promoteurs viennent directement du public, en particulier à travers le mécanisme des ventes d’appartements sur plan. Face à l’inquiétude des acheteurs potentiels qui craignent que leur appartement ne soit pas construit ou pas livré, c’est toute la pompe à finances d’Evergrande qui s’arrête, un problème accru par une anticipation de la baisse des prix qui ralentit davantage encore l’achat. Cela touchera Evergrande mais aussi l’ensemble des promoteurs. Et même si, du fait d’effets de latence, toutes les conséquences sur le marché immobilier chinois ne seront pas visibles tout de suite, on constate dès à présent une réduction du nombre de transactions immobilières.
Les acteurs qui sont déjà ou vont être fortement pénalisés sont multiples :
- les actionnaires d’Evergrande, 90 % de la valeur boursière du groupe ayant déjà été annihilée ;
- les banques, et même si les banques sont relativement bien protégées, les autorités leur demanderont des efforts en matière de restructuration de crédits - il convient cependant de noter que le système bancaire chinois a les moyens de cette crise, hormis peut-être certaines petites banques des villes moyennes, qui sont moins bien gérées ;
- les porteurs d’obligations domestiques (fonds de pension, assurances…), moins protégés que les banques car ne bénéficiant pas de garantie directe sur leurs actifs - pour eux, la crise fera mal mais restera, disons, absorbable ;
- les porteurs d’obligations internationales, très peu protégés - il s’agira sans doute de la catégorie la plus directement atteinte après les actionnaires d’Evergrande - notons néanmoins que ces porteurs se situent hors de Chine mais sont très souvent des filiales de banques ou d’établissements chinois ou des clients chinois de banques privées… ;
- les employés, la sclérose économique d’Evergrande affectant les dizaines de milliers d’employés du groupe, et par cascade l’ensemble des fournisseurs et prestataires, autrement dit tout l’écosystème d’Evergrande - ici, il faut s’attendre à ce que les autorités locales déploient certains efforts pour limiter les dégâts sur l’emploi, car l’effet macroéconomique de ralentissement de la croissance se fera sentir ;
- les acquéreurs des biens immobiliers concernés, dont les signes d’un mécontentement sont déjà évidents, avec la tenue de manifestations à Shenzhen - un risque social que Pékin ne va pas tolérer, et qui conduira vraisemblablement à des efforts concédés pour ménager cette population ;
- enfin, les gouvernements locaux, auxquels va être délégué l’endiguement des risques sociaux, avec un impact sur leurs finances - la vente de terrains ou les taxes fondées sur ces mêmes terrains représentant environ la moitié de leurs revenus en moyenne et donc une véritable drogue financière dont ils peineront à se passer. Il y a ici un vrai risque de recrudescence de techniques de shadow banking.
Dans l’ensemble cependant, je pense que les autorités chinoises ont les moyens de gérer ces risques, via une injection de liquidités à même de permettre de limiter la panique sur le marché interbancaire, ou en relâchant les contraintes sur les financements imposés par les banques aux promoteurs - mais le prix sera colossal. Et certains risques ne seront pas éliminés, mais simplement différés dans le temps.
A quel point le cas Evergrande illustre-t-il l'ampleur de la bulle immobilière en Chine, et présagerait-il de son éclatement prochain ?
François Godement
Le logement représente la principale tirelire des Chinois, notamment pour tous ceux qui ne bénéficient pas de délits d’initiés sur le marché boursier... En l’absence de retraites suffisantes, surtout pour les employés du privé, le principal capital retraite de la population chinoise réside dans l’immobilier. Enfin, et c’est là une coutume ancestrale dont on pourrait dire qu’elle a, en fin de compte, survécu, la jeune population masculine, si elle désire se marier, a toujours besoin de faire valoir la possession d’un logement. Mais il serait déraisonnable, quand on parle de la bulle immobilière chinoise, de passer sous silence l’autre côté de la pièce : dans presque toutes les villes chinoises, la surface moyenne disponible par habitant est aujourd’hui supérieure à celle dont disposent les Français urbains...
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