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12/03/2019

Europe : l'urgence du retour aux sources

Europe : l'urgence du retour aux sources
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

En 2019, comme il y a soixante-dix ans à l'époque des pères fondateurs, l'Europe a pour mission de protéger l'essentiel : la paix et la liberté. Le président français peut être l'aiguillon d'un retour de l'Europe à ses fondamentaux.

Via un article publié simultanément dans vingt-huit journaux européens - qui a fait l'objet de nombreux commentaires, souvent très positifs en Europe et dans le monde - le président français, Emmanuel Macron, a ouvert la campagne pour les élections européennes de mai. Il a aussi repris l'initiative, en posant les bases du débat à venir, qui se fera très largement à partir des propositions de la France, regroupées autour de trois ambitions : la liberté, la protection et le progrès.

Au lendemain de son élection en 2017, la formule "La France est de retour" s'était imposée tout naturellement comme une forme d'évidence, même si elle contenait une part d'injustice pour ses prédécesseurs. Macron était "plus", même si certains considéraient qu'il était "trop", alors que d'autres, parfois les mêmes, dénonçaient le divorce qui pouvait exister entre la force du verbe et la modestie, sinon la timidité des actes. Ce retour de la France avait été brutalement remis en question par la baisse de popularité du président dans son propre pays. Une chute qui s'était accélérée de manière spectaculaire avec le début du mouvement des "gilets jaunes".

Retour en grâce

Nos voisins commencent à se rendre compte qu'ils l'avaient "enterré" trop vite. Il est en vie et a repris l'initiative.

Avec son article le président Macron ouvre un troisième chapitre : après l'espoir, la désillusion, voici venu le temps du retour. Le mouvement de protestation s'enlise, prisonnier de ses divisions, de ses contradictions et de ses ambiguïtés, de son incapacité aussi à définir un projet qui aille au-delà du simple rejet et de la formule antidémocratique, "Macron démission". Le président a retrouvé un peu de sa popularité, et avec ce sursaut de légitimité en France, une crédibilité accrue en Europe. Nos voisins commencent à se rendre compte qu'ils l'avaient "enterré" trop vite. Il est en vie et a repris l'initiative.

Peut-on, pour autant, aller jusqu'à dire que grâce au président français, c'est désormais "L'Europe qui est de retour" ? Il est ironique de constater que les premiers ministres hongrois, Viktor Orbán, et roumain, Liviu Dragnea, ont accueilli beaucoup plus favorablement les propositions contenues dans le texte du président français que Laurent Wauquiez, le leader du parti Les Républicains. Il est évident que dans le soutien des premiers et dans les critiques du second, il y a beaucoup de calculs tactiques. Ne pas heurter le chef d'Etat français de front pour les dirigeants hongrois et roumain, tenter d'exister pour l'un des chefs de l'opposition.

Retour du tragique

Mais l'essentiel est ailleurs. Le président français a réussi à mettre les opposants au projet européen sur la défensive. Le contexte international et européen lui a doublement servi. Les deux raisons d'être fondamentales de l'Europe, la paix et la liberté, ne vont plus de soi. Comme le dit en exergue de son propos Emmanuel Macron : "Il y a urgence." Une urgence dont les citoyens européens prennent peu à peu conscience. L'évolution géopolitique est la première raison de ce "relatif" retour en grâce de la cause européenne. La paix n'est plus garantie. La montée des populismes à l'intérieur même de l'Europe en est la seconde raison. La liberté est menacée.

Pendant près de trente ans, depuis la chute du mur de Berlin, l'Europe a été en quête d'un nouveau récit unificateur. Elle avait cru le trouver avec le projet Erasmus. L'Europe avait pour vocation de "faire des Européens". J'ai encore en mémoire des dîners avec le chancelier Kohl au milieu des années 1990, au Bungalow, le bâtiment très modeste derrière la Chancellerie à Bonn où le chancelier d'Allemagne recevait ses hôtes. Helmut Kohl, sur un ton presque lyrique, évoquait une Europe où la jeunesse unifiée par la pizza et les programmes d'échanges Erasmus allait, la bière aidant, devenir pleinement européenne. Le film de Cédric Klapish "L'Auberge espagnole", sorti en 2002, illustre avec humour et grâce ce moment européen qui perdure, mais n'a jamais été suffisant et ne bénéficie plus du même élan. Quand, en moyenne, un quart d'une classe d'âge n'a d'autre perspective que le chômage, l'idée de pouvoir librement manger de la pizza accompagnée d'une bière dans la plupart des villes d'Europe laisse un goût d'inachevé.

Avant de "faire" des Européens, il convient aujourd'hui de sauver l'Europe de ses menaces externes et de ses démons internes. L'évidence du retour du tragique ne laisse pas d'autre choix aux Européens : survivre ensemble ou disparaître individuellement les uns après les autres. Le sort des cités grecques dans l'Antiquité, des cités italiennes dans la Renaissance, est revenu hanter les nuits des Européens.

Les deux raisons d'être fondamentales de l'Europe, la paix et la liberté, ne vont plus de soi.

Retour aux fondamentaux

Le laisser-faire quasi absolu et irresponsable de l'Amérique de Donald Trump, servant d'accélérateur à la montée des ambitions chinoises et russes, permet à l'Europe de répondre à la question qu'elle ne cesse de se poser depuis trente ans : "Pourquoi l'Europe ?"

Orpheline d'un ennemi, l'Europe n'est pas parvenue au cours des trente dernières années à se doter d'une raison d'être positive et non négative. Aujourd'hui, elle est tout à la fois orpheline de son protecteur américain, et déstabilisée dans ses croyances et pratiques démocratiques, par la montée en son sein des populismes et des tenants de la démocratie illibérale. Se pourrait-il que l'Union européenne soit en train de retrouver ses fondamentaux par la grâce conjointe de Donald Trump et Emmanuel Macron, le premier comme repoussoir, le second comme aiguillon ?

Quand la question du "pourquoi" de l'Europe devient si évidente, la question du "comment" devient-elle pour autant secondaire ? L'exemple du Brexit incite à la prudence. Après bientôt trois ans, la polarisation de la société britannique n'a jamais été plus grande. Pendant des décennies, le projet européen a avancé, en quelque sorte, masqué, l'intégration économique servant de paravent à une finalité politique. Aujourd'hui, dans l'urgence, il faut revenir aux fondamentaux : la paix et la liberté.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 11/03/2019)
Copyright : PASCAL PAVANI / AFP

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