C’est précisément cela que les Américains (mais aussi la France) craignent : que les Chinois finissent par contraindre le gouvernement djiboutien à prendre des décisions contraires aux intérêts américains (et/ou français). Par exemple, la base américaine à Djibouti – qui est la plus grande base américaine en Afrique – dépend pour s’alimenter du terminal de conteneurs du port de Doraleh. Jusqu’en février 2018, celui-ci était contrôlé par une compagnie émiratie mais le gouvernement l’a nationalisé, s’aliénant au passage les EAU (ce qui n’a fait que renforcer leur détermination à travailler à la paix éthio-érythréenne, qui donne à ce géant enclavé qu’est l’Ethiopie une alternative à Djibouti pour son accès à la mer). La crainte désormais est que le gouvernement djiboutien confie la gestion du terminal à la Chine, qui se trouverait alors en position d’affecter le ravitaillement non seulement de la base américaine mais aussi des bâtiments de l’US Navy dans la région.
Cette évolution a de facto dégradé la confiance des Etats-Unis dans Djibouti et, comme pour les EAU, a corrélativement contribué à renforcer leur motivation dans la paix éthio-érythréenne, qui présente l’avantage de réduire la situation monopolistique de Djibouti, donc l’importance des risques qui en découlent.
En plus des intérêts militaires Français à Djibouti, quelle est la nature des intérêts de la région que le président de la République a défendu lors de sa visite ?
A l’échelle continentale, il y a d’abord un intérêt en termes de perception de la "politique africaine" de la France qui, pour des raisons légitimes, est très présente à l’Ouest, et qui doit donc régulièrement montrer qu’elle n’oublie pas l’Est pour autant. À Nairobi, le Président Macron a rappelé qu'"aussi fou que cela puisse paraître, ceci est la première visite d'un président français au Kenya". Ce rééquilibrage est d’autant plus nécessaire que la région a de nombreux atouts et est le lien d’un "grand jeu" entre les grandes puissances. Nous avons parlé des Etats-Unis et de la Chine mais il y aurait aussi des choses à dire sur la Russie, notamment au Soudan.
Il y a des enjeux militaires à Djibouti en effet, avec le plus gros contingent français en Afrique, dont beaucoup sont venus en famille, ce qui n’est pas non plus négligeable pour la présence française dans le pays. Cette présence n’est pas qu’un héritage colonial, elle a aujourd’hui une triple légitimité : la protection des ressortissants français et du trafic maritime le long de l’une des principales routes commerciales du monde ; la protection d’une zone de responsabilité formalisée par des accords de défense avec non seulement Djibouti mais aussi les Comores ; enfin, ses départements et régions d’outre-mer dans l’océan Indien (la Réunion et Mayotte) font de la France un pays riverain. Djibouti offre aussi d’excellentes possibilités d’entraînement, en termes de terrains libres et de champs de tir, pour la préparation opérationnelle des militaires, dans des conditions climatiques et géographiques très proches de celles des théâtres d’opérations actuels, notamment dans la bande sahélo-saharienne (Opération Barkhane).
Compte tenu de ces liens forts et anciens, le Président Macron ne pouvait pas faire une tournée régionale sans passer par Djibouti. Il fallait en outre rassurer le pays sur le soutien de la France à un moment où le poids relatif de Paris décroît dans le pays, en même temps qu’augmente celui de Pékin, et où Djibouti craint de pâtir de la paix éthio-érythréenne, c’est-à-dire de la concurrence des ports érythréens – une crainte qu’il faut à mon avis relativiser. Assab et/ou Massawa n’ont en effet pas les qualités, à moyen terme, pour devenir des alternatives sérieuses à Djibouti. Mais cette crainte fait l’affaire d’Addis-Abeba en attendant, car cette concurrence psychologique fait pression sur Djibouti en termes de prix et de qualité de service.
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