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02/06/2020

En pleine tempête coronavirus, le Royaume-Uni garde-t-il le cap ?

Trois questions à Georgina Wright

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En pleine tempête coronavirus, le Royaume-Uni garde-t-il le cap ?
 Georgina Wright
Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident

Le Royaume-Uni a adopté une approche singulière face à la crise du coronavirus. Comment les Britanniques l’ont-ils vécue ? Quelles conséquences pour le gouvernement ? Pour le National Health Service (NHS) ? Georgina Wright, Senior Researcher Brexit à l’Institute for Government, répond à nos questions.

De l’extérieur, la stratégie du Royaume-Uni pour lutter contre le coronavirus a semblé erratique, y compris sur le plan de la communication. Comment les Britanniques l’ont-ils perçu et l’ont-ils vécu ?

C’est une excellente question. Au départ, le peuple britannique ne comprenait pas la gravité de la situation. Le gouvernement a introduit des mesures de distanciation sociale seulement le 12 mars – mais les métros restaient bondés et les restaurants aussi. Ce n’est que le 23 mars que le Royaume-Uni a imposé un confinement, à savoir deux ou trois semaines après ses voisins européens. Les quatre régions ont aussi adopté des mesures parfois très différentes.

Les attitudes dans le pays ont changé lorsque le Premier ministre s’est retrouvé à l'hôpital. On a vraiment senti un changement sismique au sein du pays : la Reine s’est adressé à la Nation, rappelant qu’il était le devoir de tous de respecter les règles du confinement. 24 millions de Britanniques ont regardé le discours en direct (en revanche, seulement sept millions ont regardé son allocution pour Noël). Elle a voulu remercier tous ceux qui restaient à la maison et qui suivaient les directives du gouvernement.

La Reine s’est adressé à la Nation, rappelant qu’il était le devoir de tous de respecter les règles du confinement.

Une des phrases qui a marqué sa prise de parole : "Nous nous retrouverons" ("We will meet again"), est une formule que son père, et Churchill, invoquaient lors de la Seconde Guerre mondiale.

Les sondages qui ont suivi ont montré que le Royaume-Uni était l’un des pays qui soutenait le plus les mesures du confinement. Jusqu'à l’histoire de Dominic Cummings, le Premier ministre et son gouvernement bénéficiait d’une grande popularité.

En France, la défiance envers l’exécutif s’est accentuée pendant la crise. Mais au Royaume-Uni, Boris Johnson bénéficie encore d’une grande popularité, malgré le contexte et notamment la dernière affaire Cummings. Comment l’expliquer ?

Il ne faut pas oublier que Boris Johnson a restauré une majorité de plus de 80 sièges pour le Parti conservateur au Parlement lors de la dernière élection en décembre – il a aussi réussi à obtenir des anciens bastions du Labour. Quand la crise du Covid-19 a commencé, le Premier ministre disposait toujours d’une grande popularité. Mais l’affaire Cummings a fait s’effondrer sa réputation – un Premier ministre qui s’est toujours présenté comme proche du peuple, élu pour servir le peuple, se retrouve tout d’un coup à défendre son conseiller principal qui aurait détourné les règles de confinement (que lui-même avait rédigées !). Il est très possible que cet épisode soit oublié d’ici la prochaine élection ; mais d’ici-là, le défi pour le Premier ministre sera d’essayer d’obtenir à nouveau le soutien de tous les électeurs qui ne lui font plus confiance. Ce qui est loin d’être facile...

Les mesures fiscales prises par le gouvernement sont un autre facteur qui explique la confiance du peuple envers l’exécutif. Le gouvernement britannique, par exemple, devrait dépenser, au cours des huit prochains mois, plus de 80 milliards de livres (soit 3,7 % du PIB annuel) pour soutenir le marché du travail. Ce soutien est l'un des plus généreux, et des plus élevés, parmi les pays développés. Le Labour lui-même soutient les mesures. Mais le régime de subventions salariales comporte un aspect indésirable pour les employeurs, les confrontant à un choix difficile : ne pas engager de coûts salariaux s'ils gardent un travailleur en congé ou assumer la totalité des coûts s'ils veulent qu'il effectue ne serait-ce qu'une petite quantité de travail. Le chancelier Rishi Sunak a défini vendredi 29 mai de nouvelles lignes directrices exigeant des employeurs qu'ils versent une part croissante des salaires des travailleurs mis à pied dès le début du mois d'août.

La NHS est un pilier du système de sécurité sociale britannique et une fierté nationale. Comment a-t-elle géré cette crise à date ? Quel sera l'impact du virus sur cette institution ?

Protéger la NHS est au cœur des mesures du confinement – et du déconfinement. Comme dans beaucoup de pays, la priorité numéro un était de s’assurer que le système de santé puisse répondre au nombre d’admissions dans les hôpitaux. Mais la NHS est un système de santé plutôt axé autour la réaction (c’est-à-dire pouvoir répondre aux urgences rapidement) – et non pas la prévention (limiter le nombre d’admissions).

La NHS est un système de santé plutôt axé autour la réaction et non pas la prévention.

Il a fallu repenser la manière de gérer cette crise. Le gouvernement a été clair en expliquant que le déconfinement n’aura lieu seulement lorsque le taux de mortalité et le taux d’infection auront baissé – ceci, le gouvernement l’assure, afin de protéger la NHS. À l’avenir, je pense que nous verrons un lien plus étroit entre le ministère de la Santé et la NHS – ainsi qu’une politique d’immigration plus ouverte. Après tout, beaucoup de nos infirmiers ne sont pas britanniques. En 2018, on comptait 1,9 million de personnes qui travaillaient dans le système de santé au Royaume-Uni (médecins, infirmiers, urgentistes mais aussi dans l’administration). 88 % sont Britanniques, 6 % de l’UE et 6 % hors de l’UE.

Le gouvernement a déjà présenté un nouveau projet de loi pour l’immigration – quelques parlementaires demandent que le projet de loi puisse inclure un fast-track pour le recrutement de personnels de santé. Avec le Brexit, la liberté de circulation cessera à la fin de la période de transition en décembre : dès le 1er janvier 2021, il n’y aura plus de distinction entre l’immigration européenne et celle du reste du monde. D’ici-là, le parlement doit adopter le projet de loi ; le gouvernement devra aussi s’assurer que toutes les modalités soient en place d’ici la fin de l'année. Il lui reste à peine sept mois...

 

Copyright : Glyn KIRK / AFP

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