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16/07/2019

[En chiffres] Pauvreté dans le monde : où en est-on ?

[En chiffres] Pauvreté dans le monde : où en est-on ?
 Julien Damon
Auteur
Professeur associé à Sciences Po

Sur une idée originale de Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Rueil.

Alors que le sommet du G7, qui se tiendra à Biarritz du 24 au 26 août prochains, aura pour thème les inégalités, celles-ci sont un enjeu de préoccupation mondiale - et française - constante. Dans un monde irrigué de fausses informations, où l’émotion l’emporte souvent sur la raison, il convient de dépassionner le débat public sur ce sujet, en particulier en France où les perceptions sont souvent éloignées de la réalité, dans un pays particulièrement passionné par l’égalité. C’est dans cette perspective que Julien Damon, sociologue et professeur associé à Sciences Po, nous livre son analyse de l’état de la pauvreté, des classes moyennes et des inégalités en France et dans le monde.

 

Adapté des dizaines de fois au cinéma, au théâtre, et même en manga, Les Misérables de Victor Hugo est bien la preuve que, si la pauvreté est une notion qui évolue, elle demeure au centre des préoccupations sociales. La pauvreté est une notion changeante, dans sa définition - qui peut-on qualifier de pauvre ? - mais aussi dans ce qu’elle reflète de la société - combien y a-t-il de personnes pauvres ? Bien entendu, chacune de ces deux frontières influence l’autre : plus le seuil de pauvreté est bas, moins il y a de personnes concernées. En France, comme à l’échelle mondiale, les débats sur les inégalités passent par ceux sur la pauvreté. Comment a évolué le niveau de pauvreté dans le monde ces dernières années ? Et à l’échelle de l’Hexagone, quelles évolutions observe-t-on ?

Dans le monde : baisse de la pauvreté extrême, augmentation de la pauvreté relative
 

Source : Banque mondiale

 

En 1981, alors que le seuil international de pauvreté était de 1 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat (PPA) - c’est-à-dire en capacité de consommation -, presque une personne sur deux dans le monde était considérée comme étant pauvre. Le seuil de pauvreté utilisé actuellement, et depuis 2014, est placé à 1,9 dollar par jour. À ce seuil, l’extrême pauvreté est passée, en 2015, sous la barre des 10 % de la population. S’il est évident que la situation d’un individu qui passe à 2 dollars par jour ne change pas radicalement, l’évolution globale vers un "désappauvrissement" du monde est nette.
 

carte des centres d'extrême pauvreté dans le monde
Source : Banque mondiale

 

Si le monde se dirige vers une réduction plus importante encore de l’extrême pauvreté, il existe des variations géographiques considérables.  On assiste à un déplacement de la pauvreté extrême, nourri par la considérable baisse de la pauvreté chez des géants démographiques devenus des géants économiques : la Chine ne compte, officiellement, "presque" plus de pauvres sous ce seuil extrême (10 millions seulement), tandis que ce volume se réduit rapidement en Inde (moins de 100 millions d’individus en 2017). La pauvreté se concentre aujourd’hui en Afrique subsaharienne, qui rassemble, en 2015, 90 % des personnes vivant sous le seuil de 1,9 dollar par jour. On compte aujourd’hui davantage de pauvres au Nigeria qu’en Inde, et ce sera bientôt le cas également de la République démocratique du Congo. Sur un continent très jeune et où le taux d’urbanisation, bien qu’il croisse rapidement, n’est que de 40 % (il est de plus de 80 % en France), la pauvreté extrême affecte principalement les enfants et les zones rurales.
 

Sources : Banque mondiale

 

Bien que les progrès économiques mondiaux aient permis de réduire l’extrême pauvreté, près de la moitié des habitants de la planète – soit 3,4 milliards d’individus – reste confrontée à de grandes difficultés pour satisfaire leurs besoins élémentaires. La Banque mondiale a proposé, en 2018, deux nouveaux seuils de pauvreté : le premier, à 3,2 dollars par jour, qui conduit à compter 25 % de pauvres sur la planète, et le second à 5,5 dollars, qui implique près de 50 % de pauvres. Néanmoins, les comparaisons internationales ne portent plus seulement sur la pauvreté absolue, même avec différents seuils, mais sur la pauvreté relative, qui recense les ménages vivant sous une certaine fraction du revenu médian.  Si la pauvreté absolue baisse dans les pays en développement (1,84 milliard d’individus en 1990 contre 766 millions en 2013), la pauvreté relative augmente (482 millions d’individus en 1990 contre 1,32 milliards en 2013) : le dénuement total y diminue mais les inégalités y progressent.
 

Source : Banque mondiale

 

Qu’en est-il de la perception de l’évolution de la pauvreté dans le monde ? 

En 2017, 26 000 personnes dans 28 pays ont été interrogées à ce sujet. Sur l’ensemble de cette population : 

  • 20 % pensent, à raison, que, durant les 20 dernières décennies, la pauvreté extrême a diminué dans le monde ;
  • 28 % ne savent pas ou estiment qu’elle n’a pas évolué ;
  • La majorité - 52 % - pensent à tort que la part de la population vivant dans une pauvreté extrême a augmenté dans les deux dernières décennies. 
     
Sources : Ipsos - Our World In Data

 

92 % des Français interrogés pensent que la pauvreté a augmenté ou est restée stable depuis les années 1990. Seuls les Hongrois, les Italiens et les Japonais sont plus pessimistes que les Français sur ce thème. En clair, contrairement à ce que la totalité des expertises et chiffres démontrent, les Français ne croient pas à la baisse de l’extrême pauvreté dans le monde. Ce pessimisme français sur les évolutions sociales et économiques mondiales se retrouve au niveau national : 80 % des Français estimaient à tort en 2015 que les inégalités avaient augmenté en France dans les cinq années précédentes !

En France : une pauvreté transformée dans un pays qui demeure parmi les plus riches

Pourtant, et malgré un sentiment de déclassement, la France conserve une très bonne place dans le concert des nations en termes de PIB par habitant. Dans l’Hexagone, comme en Allemagne, en Finlande ou en Norvège, au seuil de pauvreté placé à 5,5 dollars par jour, seul 0,2 % de la population est concernée, contre 10 fois plus dans les pays à hauts revenus en général. Si en parité de pouvoir d’achat (PPA), la population française ne connaît pas les niveaux d’extrême richesse des Qataris, Suisses, Luxembourgeois ou Norvégiens, les Français, en PPA comme en monnaie courante, se trouvent toujours au-dessus de la moyenne de l’Union européenne ou de l’OCDE. En un demi-siècle, ce PIB par habitant aura été multiplié par presque quatre (en PPA).
 

Source : Banque mondiale

 

 

Source : Insee

 

La pauvreté n’explose pas en France, elle se transforme. Avec un seuil de pauvreté monétaire relatif fixé à 60 % du niveau de vie médian - soit 1 000 € par mois de revenus disponibles pour une personne seule et 2 500 € pour un couple avec deux enfants - la pauvreté est plutôt stable, autour de 14 % de la population. Mais plus que les chiffres sur une année donnée, ce sont les tendances et transformations longues qui importent. Après la Seconde Guerre mondiale, la pauvreté était un phénomène de personnes âgées. Aujourd’hui, le panorama est bien différent : elle affecte surtout les jeunes, est concentrée dans certaines zones urbaines problématiques, et concerne davantage les familles monoparentales que les familles nombreuses. Enfin, proportionnellement, elle touche de plus en plus de travailleurs pauvres et d’étrangers. Un taux de pauvreté stable déguise ces transformations et des problèmes concrets : la part croissante des dépenses contraintes des ménages, en particulier le coût du logement.
 

Source : Eurostat

 

Le taux de pauvreté monétaire (pourcentage de personnes vivant avec 1 000 € par mois de revenus disponibles) français - de 14 % - se situe en dessous de la moyenne européenne, qui est à 17 %. Au total, l’Union européenne compterait 87 millions de pauvres, dont 13 millions en Allemagne, 12 millions en Italie, 10 millions au Royaume-Uni… et 9 millions en France. Cette situation favorable en France par rapport à l’UE résulte notamment de l’importance des dépenses sociales et de la redistribution. 

Une autre manière d'apprécier la pauvreté consiste à mesurer la "privation matérielle" ou "pauvreté en conditions de vie", qui désigne l'incapacité à se procurer certains biens et services considérés par la plupart des individus comme souhaitables, voire nécessaires, pour un niveau de vie acceptable. Là encore, la France est en bonne place, avec un taux de pauvreté en conditions de vie de 13 % - similaire au Royaume-Uni et à la Belgique -, lorsque la moyenne européenne est de 16 %.
 

Source : Eurostat
 
 
 
 
 
 
 

 

Ainsi, contrairement aux perceptions, on assiste à un désappauvrissement du monde avec désormais moins de 10 % de la population mondiale vivant sous le seuil de pauvreté extrême. Néanmoins, la pauvreté relative, c’est à dire les inégalités, augmente, ce qui permet sans doute d’expliquer que 52 % des personnes interrogées pensent, à tort, que la part de la population vivant dans une pauvreté extrême a augmenté dans les deux dernières décennies. La France bénéficie d’une situation favorable dans le monde, avec des taux de pauvreté monétaire et en conditions de vie qui se situent en dessous de la moyenne européenne. Pourtant, lorsqu’il s’agit des perceptions, les Français ne font pas partie des plus optimistes. 

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