À la question : "concrètement, cela veut dire quoi ?", Emmanuel Macron répond en évoquant rapidement plusieurs pistes : le terrorisme, les conflits gelés, la cybersécurité. De manière surprenante - compte tenu des divergences sur la Syrie et la modicité des frappes russes contre Daesh - il mentionne le terrorisme comme un sujet "sur lequel on est alignés". Au-delà de ces pistes, le Président imagine une sorte de dialogue à cœur ouvert avec Poutine : "De quelles garanties a-t-il besoin ? Est-ce que c’est une garantie de non-avancée de l’UE et de l’OTAN sur tel et tel terrain ? Quelles sont leurs principales craintes, quelles sont les nôtres, comment on les appréhende ensemble, quels sont les points sur lesquels on peut travailler ensemble ?".
Pourquoi, là-aussi, les propos à The Economist ont-ils suscité des réactions négatives en Europe ?
- Il y a sans doute des raisons subalternes, le confort des habitudes, l’addiction au suivisme à l’égard de Washington, ou le regret que l’initiative soit venue d’un pays comme la France, qui n’est pas le plus directement intéressé par la question russe (la relation avec la Russie a beaucoup moins d’impact chez nous qu’en Allemagne ou en Pologne).
- La réaction d’un Donald Tusk, alors qu’il prend la direction du PPE, est symptomatique d’un malentendu plus profond :"Lorsque j’entends les paroles de Macron selon lesquelles nous devons reconsidérer notre position vis-à-vis de la Russie, repenser la relation stratégique, je ne peux qu’exprimer l’espoir que cela ne se fera pas au prix de notre rêve commun de souveraineté de l’Europe". Le président de la République ayant exprimé, dans son interview, le souhait que Viktor Orban l’aidera à convaincre les Polonais, M. Tusk indique "peut-être, mais pas moi, Emmanuel".
Ce qui frappe en effet dans les analyses de M. Macron, c’est une vision business like de la Russie, la rationalité qu’il prête aux décideurs du Kremlin. Une grande partie de l’opinion européenne – pas seulement en Pologne et dans les pays baltes mais dans les pays scandinaves et en Allemagne – voit d’abord les agissements d’un pays hostile, et hostile non pour des raisons d’erreurs politiques supposées des Occidentaux, ni non plus pour des raisons historiques, mais pour des motifs à la fois actuels et systémiques (tous les ressorts du système étant construits dans l’opposition au modèle occidental). Le vrai visage de la Russie, pour nos voisins, c’est l’annexion de la Crimée, que M. Macron mentionne en incidente, mais qui est quand même la négation de cette "Europe humaniste", dont le Président est le chantre – une négation récente, une plaie toujours ouverte pour les pays qui sont plus proches géographiquement.
Quel leader de l’Europe Emmanuel Macron veut-il être ?
On avancera que l’interview du président de la République à The Economist fait apparaître un double paradoxe. En premier lieu, les réactions négatives qu’elle a suscitées en Europe tiennent sans doute plus à la forme qu’au fond. Elles recouvrent peut-être en réalité un degré de consensus plus élevé qu’on ne le croit sur un certain nombre de points : l’OTAN, l’autonomie stratégique nécessaire, la souveraineté technologique, voire l’opportunité d’une ouverture calculée à l’égard de la Russie. Le paradoxe serait qu’en "disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas", Emmanuel Macron, par la brutalité de son expression et certaines maladresses, ait fait reculer l’émergence d’un large accord intra-européen ; l’espoir est qu’au contraire, lorsque la poussière sera retombée, probablement une fois passée l’épreuve du sommet de l’OTAN, un débat plus approfondi s’engage entre Européens sur les questions vitales qu’a soulevées le Président.
Le second paradoxe tient à la vocation évidente de leader de l’Europe qui incombe à Emmanuel Macron, et pas seulement par défaut, contrastant avec l’unilatéralisme qu’il paraît pratiquer de plus en plus (formation au forceps de la nouvelle Commission européenne, dialogue avec la Russie, élargissement et maintenant OTAN). Comment le Président français peut-il entraîner derrière lui les Européens s’il les traite avec aussi peu de ménagement ? Peut-on bâtir l’Europe sur des bases qui ne seraient que françaises ? Le commentaire le plus cinglant à cet égard est venu d’un journaliste russe, Vladimir Frolov, dans un article pour le Moscow Times du 14 novembre. L’éditorialiste estime que "Macron a pris le relais du président Poutine et de Donald Trump pour devenir la principale force de déstabilisation de l’ordre occidental". Ce commentateur considère que la vision géostratégique du Président français recoupe très largement celle du Président Poutine, s’agissant par exemple des responsabilités de l’Occident dans la déstabilisation du monde arabe et la crise migratoire qui en a résulté ou encore du rôle des États-Unis contraires aux intérêts russes en Europe.
Cependant, Vladimir Frolov conclut que "si Macron est de notre côté", ce n’est pas une raison pour Moscou de lui être favorable car "il est perçu comme un poids léger au Kremlin" et "il ne sera pas suivi par Merkel et d’autres dirigeants importants de l’Europe".
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