Lors de son spectaculaire déplacement à Beyrouth du 6 août, le Président Macron avait parlé un langage de vérité aux dirigeants libanais. Il avait aussi annoncé qu’il reviendrait dans la capitale libanaise le 1er septembre. Il n’a naturellement pas manqué d’être présent au rendez-vous, justifié de surcroît par l’anniversaire d’un événement fondateur pour la relation franco-libanaise, la proclamation du Grand-Liban en 1920.
Emmanuel Macron a-t-il raison de s’engager aussi résolument en faveur d’un changement au Liban ? La France peut-elle obtenir les réformes nécessaires d’une classe politique locale accrochée au statu quo depuis des décennies ? Pourquoi le président de la République s’est-il ensuite rendu, pour une brève visite, à Bagdad ? Assiste-t-on à une relance de la politique française au Levant ?
On retrouve dans la situation du Liban et dans celle de l’Irak des similitudes ou en tout cas des éléments communs. Il s’agit de deux pays "riches" qui sont maintenant des pays ruinés. Dans le cas de l’Irak, les conflits internes interminables, une gouvernance chaotique, puis depuis quelques mois l’effondrement des prix des hydrocarbures ont amenuisé les bénéfices de la rente pétrolière. Dans le cas du Liban, la puissance financière qui faisait la force de l’économie libanaise, s’est érodée ces dernières années, puis s’est effondrée. Au Liban comme en Irak, une partie de la société civile est entrée dans une véritable dissidence face à un système de répartition du pouvoir entre partis confessionnels corrompus, bloquant toute possibilité d’évolution. La répression a coûté la vie ces deniers mois à plus de 500 manifestants en Irak, ce qui n’est pas le cas au Liban.
Enfin, sur le plan géopolitique, les deux pays subissent le contre choc des phénomènes qui traversent toute la région : l’affaiblissement des communautés sunnites face à la montée en puissance des chiites, l’ascendant pris par les milices ou autres acteurs non-étatiques, l’hypothèque que fait peser la menace terroriste régionale et la prolongation du régime d’Assad en Syrie. L’Irak comme le Liban disposent, il faut bien le dire, d’une souveraineté limitée, en raison de leurs dissensions internes, mais aussi du fait des interférences dont ils sont le théâtre de la part de puissances tutélaires rivales – Iran, États-Unis, Arabie saoudite, Qatar et, de plus en plus, Turquie.
Le message sur la souveraineté inclusive
C’est d’ailleurs le thème du soutien de la France à la souveraineté des États du Levant qui a fourni une sorte de soubassement conceptuel aux propositions du Président lors de ses deux visites. Emmanuel Macron, quelques jours avant son déplacement, avait avancé l’idée d’une "souveraineté inclusive", dans une intéressante intervention au Forum Moyen-Orient Méditerranée de Lugano fin août. On peut voir dans de telles formules une tentative de réfuter implicitement le reproche fait à la France de pratiquer elle-même l’ingérence extérieure, ou un goût de la conceptualisation un peu décalé par rapport aux dures réalités régionales. Elles s’inscrivent cependant dans une tradition de la diplomatie française dans la région, qui a toujours estimé que le retour à la stabilité passait par un rétablissement de l’autorité de l’État. Les diplomates français actuels ajoutent : "pas n’importe quel État" – mais un État capable d’intégrer la diversité des identités propre aux populations locales et de répondre aux aspirations de la société civile.
Le message est courageux, il ne peut pas plaire aux puissances régionales – en particulier l’Iran, qui dispose d’instruments d’influence puissants au Liban (Hezbollah), en Irak (multiples liens) et bien sûr en Syrie. Il prend à contrepied les élites politiques qui se partagent le pouvoir dans les pays concernés ou les acteurs non étatiques comme les milices qui sont les relais des interférences extérieures ; mais il ne s’appuie que dans une certaine mesure sur les sociétés civiles puisqu’il s’agit bien in fine de rétablir un ordre étatique. Sur ce dernier point, notons par exemple que dans l’avion qui le menait à Beyrouth le 1er septembre, Emmanuel Macron a indiqué à Politico qu’il était le seul à pouvoir "sauver le système" au Liban, alors qu’il avait eu des mots très durs le 6 août pour dénoncer le dit "système". D’une visite à l’autre, son discours a paru s’infléchir, mettant désormais en avant les réformes administratives et financières plus qu’un "nouveau pacte politique".
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