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13/09/2019

Elections législatives en Israël : Benjamin Netanyahou obtiendra-t-il un cinquième mandat ?

Trois questions à Dominique Moïsi

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Elections législatives en Israël : Benjamin Netanyahou obtiendra-t-il un cinquième mandat ?
 Dominique Moïsi
Conseiller Spécial - Géopolitique

À la suite des élections législatives du 9 avril, Benjamin Netanyahou a été dans l’incapacité de s’accorder avec les partis de droite, d'extrême-droite et ultra-orthodoxes qui lui permettaient d'obtenir une majorité parlementaire. En grande difficulté, il a fait voter la dissolution de la Knesset dans la nuit du 29 au 30 mai, provoquant des élections anticipées prévues pour le 17 septembre. C’est donc la première fois de l’histoire de l’Etat hébreu que les électeurs sont appelés à retourner aux urnes pour la deuxième fois de l’année. Le contexte politique en Israël a-t-il changé depuis les dernières élections ? La situation sécuritaire peut-elle jouer en la faveur du Premier ministre sortant ? Quelles seront les conséquences de ses affaires judiciaires sur le scrutin ? Dominique Moïsi, conseiller spécial géopolitique de l’Institut Montaigne, répond à nos questions.


Benjamin Netanyahou joue, le 17 septembre et pour la deuxième fois de l’année, son avenir politique. Quels ont été les principaux changements sur la scène politique israélienne depuis le mois d'avril ?

L’élément de changement principal entre les deux élections est l’émergence d’un acteur qui était beaucoup plus faible il y a quelques mois qu’il ne l’est aujourd’hui. Cette personne n’est autre qu’Avigdor Lieberman, le dirigeant du parti Israël Beitenou qui, d’après les derniers sondages, a doublé ses intentions de vote depuis le mois d’avril.

Benjamin Netanyahou est toujours légèrement en tête dans les sondages, mais en dessous de la majorité qui lui permet de gouverner seul.

Pour le reste, nous sommes dans une situation de statu quo : Benjamin Netanyahou est toujours légèrement en tête dans les sondages, mais en dessous de la majorité qui lui permet de gouverner seul. L’alliance Bleu-Blanc se maintient en deuxième position, mais son dirigeant Benny Gantz ne s’est pas imposé comme personnalité charismatique pour rivaliser de manière crédible avec le Premier ministre sortant. 

Cette extraordinaire stabilité ne fait que renforcer le côté dysfonctionnel de la démocratie israélienne, caractérisée par un système électoral qui, bien qu’adapté en 1948 pour traduire la diversité de la société, est aujourd’hui devenu un piège insurmontable. En effet, le système de proportionnalité intégrale est miné par les divisions profondes au sein de la société israélienne et par la centralité de la personnalité de Benjamin Netanyahou, qui attire et rejette tout à la fois. La conjugaison de tous ces éléments ne peut mener qu’à un mélange explosif.


Le Premier ministre sortant doit se présenter en octobre devant le procureur d’Israël qui décidera de son inculpation dans trois affaires de corruption. Sa situation semble donc plus périlleuse que lors des dernières élections. Quelles en sont les conséquences pour le scrutin à venir ?

L’implication de Benjamin Netanyahou dans ces affaires est l’un des grands enjeux du scrutin, mais j’ignore si cela déterminera véritablement le vote des Israéliens. Il y a une forme de cynisme grandissant dans la société israélienne qui amène les électeurs à penser qu’il n’est peut-être pas plus corrompu qu’un autre. En plus de cela, le calendrier lui est relativement favorable : le procureur général va s’exprimer le 3 octobre, soit 15 jours après les élections.
 
En même temps, Benjamin Netanyahou se trouve en plus grande difficulté qu’au mois d’avril, pour deux raisons principales : 

  • premièrement, les électeurs sont mécontents de revenir aux urnes après à peine 6 mois, du fait de l’incapacité du Premier ministre à former une coalition ; 
  • deuxièmement, les accusations de corruption ont fait augmenter les réticences,voire le rejet, des Israéliens à son égard, sans pour autant qu’elles atteignent son noyau dur.  

Au delà de ses affaires judiciaires, la droitisation de l'électorat en Israël peut paradoxalement défavoriser Benjamin Netanyahou. Bien qu’il ait intérêt à faire gagner des partis de droite ultra-orthodoxes pour obtenir plus de sièges à la Knesset, il ne peut pas demander aux électeurs de voter pour un parti plus radical que le Likoud. 
 
Ceci étant dit, les comportements électoraux de certains segments de la population ont tendance à favoriser Benjamin Netanyahou : les Israéliens ultra-religieux, fortement encouragés par leur rabbin, ont tendance à aller voter plus massivement que d’autres parties de la population, comme la communauté arabe par exemple. 
 
Les voix russes seront sûrement décisives durant ces élections : la communauté russophone, qui représente environ 15 % de la population totale, est majoritairement laïque et à droite. Le rapprochement entre le Likoud et les partis religieux peut choquer une partie de ces électeurs, qui votera alors pour le parti de Lieberman.


Selon les derniers sondages, le Likoud devancerait de peu le parti Bleu et Blanc mené par Benny Gantz et Yaïr Lapid. Pour rester en tête, de multiples facteurs doivent jouer en faveur de Netanyahou. Selon vous, quels en sont les principaux ?

Sur le plan de la politique étrangère, des facteurs tendent à favoriser Netanyahou. Il y a une forme d’alliance implicite entre le Premier ministre sortant, le Hezbollah et le Président iranien, dans le sens où chacun est le meilleur ennemi de l’autre. Tous ces acteurs ont intérêt à se maintenir réciproquement au pouvoir car c’est par leur présence qu’ils peuvent justifier leur rejet mutuel.

De plus, on assiste toujours à une montée des tensions au Proche et Moyen-Orient à la veille des élections législatives. Celles-ci n’échappent pas à ce rituel : Tsahal a récemment mené une action préventive contre des cibles militaires iraniennes en Syrie, tandis que le Hezbollah a annoncé lundi avoir abattu un drone israélien à la frontière entre Israël et le Liban. L’obsession de la sécurité est donc toujours très présente en Israël, et ce en particulier depuis la deuxième Intifada. Il ne faut pas oublier que les actes terroristes ont fait plus de victimes israéliennes que la Guerre des Six Jours.

La solution logique serait donc d’avoir recours à la "solution à l’allemande" : une grande coalition composée du Likoud et de la liste Bleu-Blanc.

Ce conflit reste ainsi la carte majeure de Netanyahou pour assurer sa réélection. Sans oublier bien sûr la carte du nationalisme le plus radical. Netanyahou vient d’affirmer que, s’il était élu, il placerait sous la souveraineté directe d’Israël la Vallée du Jourdain, qui représente environ un tiers de la Cisjordanie.

Dans ce contexte, Benjamin Netanyahou réussit toujours à s’imposer comme l’homme de la sécurité, ce qui est paradoxal car l’opposition est menée par Benny Gantz, l’ancien chef d’état-major des armées. Cependant, il est vrai que ce dernier n’a pas su changer d’image pour se fondre dans ce nouveau rôle de futur Premier ministre, alors que Benjamin Netanyahou occupe encore et toujours la "figure du commandeur". 

La situation électorale est tout de même sans précédent : si le pays est tout aussi ingouvernable qu’en avril à la suite des élections du 17 septembre, le gouvernement ne pourra pas demander aux Israéliens de voter pour la troisième fois. La solution logique serait donc d’avoir recours à la "solution à l’allemande" : une grande coalition composée du Likoud et de la liste Bleu-Blanc. Toutefois, les personnalités des différents acteurs rendent cela difficile : le parti Bleu-Blanc accepterait de créer une coalition avec le Likoud, à condition que Benjamin Netanyahou ne gouverne pas, tandis que les partis ultra-orthodoxes de droite refuseraient de gouverner avec des laïques radicaux. Si Avigdor Lieberman obtient, comme les sondages le prédisent, dix sièges à la Knesset, il sera le faiseur de rois de ces élections.

 

Copyright : Menahem KAHANA / AFP

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