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31/01/2022

Draghi, Johnson : le modèle et l'anti-modèle

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Draghi, Johnson : le modèle et l'anti-modèle
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Alors que le premier a réussi à redonner fierté et légitimité à ses concitoyens, le second s'enfonce chaque jour un peu plus dans une attitude indigne qui le décrédibilise. Un exemple et un contre-exemple qui prouvent combien le rôle des individus reste décisif dans l'histoire, analyse Dominique Moïsi.

Mario Draghi et Boris Johnson : tout oppose les deux hommes.

Le premier est réservé et digne, et fournit la preuve qu'un brillant économiste peut, après avoir présidé avec bonheur aux destinées de la BCE (Banque centrale européenne), devenir un Premier ministre exceptionnel, alliant sérieux et modestie.

Le second, BoJo, est flamboyant et excentrique, un journaliste entré en politique qui, dans ces deux activités, a développé un rapport très particulier avec la vérité. Le premier a tiré son pays vers le haut, le second vers le bas. Ils sont la preuve que le rôle des individus est décisif dans l'histoire.

Sur fond de crise en Ukraine, les deux hommes ont aussi été au cœur de l'actualité cette semaine. En lançant l'idée d'un référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne, David Cameron avait pris le risque de sacrifier l'unité de son pays pour préserver celle de son parti.

Vapeurs d'alcool

Boris Johnson, profitant du fait qu'il n'a pas de successeur qui s'impose au sein du Parti conservateur, prend le risque de sacrifier l'avenir de celui-ci à sa personne. Il s'accroche au pouvoir, en dépit des révélations toujours plus accablantes qui s'amoncellent contre lui et son entourage.

La question n'est peut-être plus de savoir si BoJo partira, mais quand il le fera. La chute de sa popularité dans les sondages est spectaculaire. De manière inéluctable, le temps viendra où les conservateurs voudront se séparer d'un leader devenu, pour eux, une machine à perdre.

La question n'est peut-être plus de savoir si BoJo partira, mais quand il le fera. 

Dans un épisode marquant de la série culte "The Crown", le vice provost d'Eton enseignait à la future reine Elizabeth II les fondamentaux de la politique britannique : "La Couronne doit faire preuve de dignité, lui disait-il. Le Premier ministre doit être efficace." Le problème est, qu'à l'heure du Covid-19, le Premier ministre doit lui aussi faire preuve de dignité.

La multiplication des fêtes privées dans le jardin du 10 Downing Street, la résidence publique et privée du Premier ministre, fait désordre. En particulier celle qui s'est tenue à la veille des funérailles du prince Philip. Les Britanniques ne pouvaient qu'être choqués par le contraste existant entre les images de la solitude de la reine, et l'atmosphère de fête régnant chez le Premier ministre. Les simples citoyens ne pouvaient dire un dernier adieu à leurs proches, victimes du Covid-19, au moment où, dans l'entourage de Boris Johnson, régnait un joyeux désordre au-dessus des lois.

Le pouvoir n'était plus seulement le privilège d'ignorer les embouteillages, par la grâce d'une escorte policière qui vous ouvre la voie, mais celui de continuer à "faire la fête", une activité interdite au commun des mortels.

Dans l'Angleterre du XVIIIème siècle, pendant les épidémies de peste, les pubs de Londres étaient remplis de buveurs qui avaient choisi délibérément de braver la mort et de partir en beauté, entourés des vapeurs de l'alcool. Le comportement irresponsable autour de BoJo s'inscrit-il dans cette tradition ? Il existe autour de lui une culture du défi, sinon du déni, au point que la police vient de se saisir du scandale. Une situation qui fait désordre alors que le Royaume-Uni s'est engagée aux côtés de Washington dans une escalade dangereuse en Ukraine.

Fierté et rigueur

En Italie, le dilemme est exactement inverse. Il ne s'agit pas de savoir comment se débarrasser d'un Premier ministre indigne, mais comment garder dans ses fonctions un président du Conseil si apprécié et méritant. Le pays peut-il se passer à ce poste d'un homme qui a su tout à la fois rassurer une nation traumatisée par la pandémie, conforter une économie qui vacillait sous le poids de la dette, et plus encore, unifier les Italiens, dans une culture - nouvelle pour eux ? - de fierté et de rigueur.

La question que se posaient ses compatriotes pouvait se résumer ainsi : valait-il mieux pour le pays conserver Mario Draghi pour un an au palais Chigi dans les fonctions centrales de président du Conseil, ou se résigner à l'avoir au Quirinal (la résidence du président de la République) pendant sept ans, dans des fonctions essentiellement symboliques ?

La réponse a été sans appel. Après une semaine de confusion totale, les grands électeurs italiens ont finalement fait le choix du statu quo. Le président Sergio Matarella est réélu triomphalement, quoique contre son gré. Mario Draghi va pouvoir demeurer dans ses fonctions de président du Conseil. C'est une bonne nouvelle pour l'Italie, c'est aussi une bonne nouvelle pour la France.

Laisser partir Draghi au Quirinal, c'était prendre le risque du retour de l'instabilité.

Dans les Conseils Européens, il existe une véritable complicité entre Mario Draghi et Emmanuel Macron. Laisser partir Draghi au Quirinal, c'était prendre le risque du retour de l'instabilité.

Sans Draghi au palais Chigi, l'Italie allait retomber dans ses péchés mignons, derrière une classe politique contaminée par l'habitude de jeux de pouvoir d'une sophistication qui font paraître les querelles d'hier au sein de l'Empire byzantin d‘une simplicité enfantine.

Un mal anglo-saxon

Au-delà du sort respectif de Mario Draghi et de Boris Johnson, il y a celui de leurs deux pays. L'Italie entend conserver le plus longtemps possible le surcroît de légitimité que lui a donné - sans doute pour la première fois de son histoire récente - l'ancien président de la BCE : un homme tout à la fois plus modeste que Mario Monti, plus sage que Matteo Renzi et plus expérimenté qu'Enrico Letta.

Si l'Italie a besoin de continuité, le Royaume-Uni a besoin de changement. Il peut exister autour de Boris Johnson l'équivalent politique d'une garde prétorienne, prête à tout, pour le maintenir au pouvoir malgré ses limites personnelles évidentes, ou peut-être même à l'inverse en raison de celles-ci.

Y aurait-il, au sein de nos sociétés démocratiques, un mal qui affecterait tout particulièrement le monde anglo-saxon ? C'est une hypothèse qui mériterait d'être considérée. En attendant, l'expérience britannique confirme le risque pour un pays de porter au pouvoir un dirigeant populiste plus soucieux de son avenir personnel que de celui de son pays.

La compréhension, sinon même l'affection qu'une partie des Britanniques semblait conserver pour BoJo s'est réduite comme une peau de chagrin. Le respect pour Draghi des Italiens, lui, continue de croître.

 

Avec l’aimable autorisation des Echos, 31/01/2022
 

 

Copyright : Andreas SOLARO / AFP

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