Lors du Berlin Forum organisé par la Körber Stiftung le 24 novembre, Mme Kramp-Karrenbauer a feint de nouveau de minimiser les divergences avec la France. Puis le modérateur lui a posé la question suivante : "le Président Macron n’a-t-il pas avancé que la Chancelière n’est pas sur votre ligne ?". Réponse de Mme Kramp-Karrenbauer : "je n’ai jamais entendu Angela Merkel considérer que l’OTAN est superflue" - suggérant que tel est bien au moins l’implicite de l’approche française.
On dit que l’ancienne candidate à la succession de Mme Merkel, sarroise, est en réalité la meilleure alliée des Français, car dans le débat allemand elle soutient la nécessité d’efforts accrus en matière de défense. Si tel est le cas, sa ligne ferait écho à celle que pratiquait le Premier ministre Blair après l’accord de Saint-Malo (décembre 1998), ou encore les conclusions sur la PESD adoptées au sommet de Nice en 2000 : affirmer que Londres avait fait un pas vers la défense européenne, mais surtout afficher que le Royaume-Uni avait réussi à bloquer la dérive anti-OTAN de la France. Ce n’est pas de très bon augure.
En tout cas, "l’affaire AKK-Macron" n’en en a pas fini de faire des vagues. Dans un article d’ailleurs très sévère de Politico (dont nous ne partageons pas les jugements), Rym Momtaz note que des commentateurs allemands, baltes ou d’Europe de l’Est se sont émus de voir que M. Macron ne mentionnait même pas dans son interview au Grand Continent le mot "transatlantique", "alors qu’une nouvelle administration américaine plus amicale arrive incessamment". Tara Varma, directrice du bureau parisien de l’European Council of Foreign Relations, indique que "cela rend les atlantistes européens inquiets au sujet de la position française". Quelques jours plus tard (le 24 novembre), Steven Erlanger, avisé correspondant du New York Times à Bruxelles, intitule son article : "Alors que Trump s’en va, les désaccords entre Européens s’élargissent de nouveau".
Dans le même registre, le dernier numéro de The Economist fait état de la "guerre des mots" entre Paris et Berlin, en déplorant l’effet que celle-ci peut avoir sur la nouvelle administration américaine.
Faut-il entrer dans un débat délétère sur les arrière-pensées ?
Du point de vue des autorités françaises, peut-on écarter d’un revers de la main ce qui apparaît largement comme un faux procès ? Ou un débat délétère dans lequel les suspicions et les arrière-pensées tiennent lieu d’arguments ? Nous sommes tentés de répondre que ce serait imprudent pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la sensibilité qu’exprime Mme Kramp-Karrenbauer est forte en Allemagne, au sein de la CDU en tout cas, et dans de larges secteurs de l’opinion en Europe. Or on ne peut vouloir faire de l’Union européenne un acteur majeur sur la scène internationale sans tenir compte des sentiments des autres Européens. Le procès en anti-américanisme du Président Macron est d’autant plus absurde que celui-ci, dans cette même interview au Grand Continent, relève explicitement que "c’est très dur de faire respecter les choses lorsque les Américains ne sont pas avec nous". En second lieu, les différents gouvernements européens se positionnent évidemment en fonction de la prochaine administration Biden. C’est là l’essentiel : une sorte de course à la faveur du futur président américain est de facto engagée. Insinuer ou laisser insinuer que les Français sont décidément incorrigibles dans leur habitude de vouloir affaiblir la solidarité atlantique revient à diminuer les chances d’un concurrent.
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