S'agissant des briques d'un éventuel projet européen, relevons deux aspects. Sur le plan institutionnel, le Chancelier se place dans la perspective d'un élargissement ou d’une série d'élargissements à terme de grande ampleur. Il en déduit toute une série de réformes à discuter concernant l'extension de la majorité qualifiée au sein du Conseil, la taille du parlement européen, le nombre et le rôle des Commissaires, ou encore le renforcement des instruments communautaires pour faire respecter l'état de droit par tous les États-Membres. Implicitement, la démarche contraste avec l'approche française qui reste toujours timide lorsqu'il s'agit des élargissements : tout en rappelant que la Communauté politique européenne ne doit pas être une alternative à l'intégration de nouveaux Membres, M. Macron a relevé dans son allocution aux Ambassadeurs qu'il s'agissait aussi "de stopper cette logique d’expansion infinie de l'Union européenne… qui a plutôt besoin d'être plus forte, plus souveraine et plus autonome".
Sur les questions de défense, la réflexion allemande apparaît particulièrement poussée et orientée vers les voisins orientaux de l'Allemagne - alors que les relations entre Berlin et Varsovie sont particulièrement détériorées en ce moment. Notons par exemple la suggestion d’une sorte de spécialisation des efforts au sein de l'Europe, l’Allemagne envisageant d'investir massivement dans la défense aérienne pour elle et les pays voisins, et la possibilité à ce sujet de développer un système avec une dizaine de pays de l'Est et du Nord (sans mention de la France alors que les deux pays travaillent entre autres à un projet de défense anti-missile dit Twister). D’autres propositions précises émaillent le discours de M. Scholz en matière économique ou d’immigration.
Encore une fois, la France doit se féliciter de l'élan que le Chancelier paraît vouloir donner à un débat sur l'avenir de l'Europe. Peut-être ne convient-il pas pour autant de laisser à Berlin le monopole du leadership intellectuel sur le sujet. Par ailleurs, lorsque le président Macron s’est exprimé devant le parlement européen le 9 mai - lançant l'idée fructueuse de la Communauté politique européenne - il était trop tôt pour avancer un grand projet. Le moment vient où l'Europe devrait réfléchir à un renforcement de son intégration, de son périmètre et de ses structures dans l'après-guerre en Ukraine comme ce fut le cas avec Maastricht après la réunification allemande. Un tel projet aujourd’hui ne peut plus seulement résulter d'un accord franco-allemand comme ce fut le cas pour Maastricht fin 1989 entre Kohl et Mitterrand (et Delors). Mais il serait opportun que Français et Allemands se concertent avec d’autres - y compris les Polonais, les Baltes et les Scandinaves - pour que l'Ukraine ne soit pas seulement un drame, une épreuve, mais aussi une opportunité pour l'Europe.
Comment organiser cette concertation ? Sans que cela soit exclusif du traitement des problèmes immédiats, on peut imaginer une "tournée d’écoute" du Président à Berlin, Varsovie, Vilnius, Stockholm par exemple - ainsi qu'à Prague, en amont de la rencontre prévue par la présidence tchéque en novembre au titre de la CPE. C'est aussi au niveau des officiels - Secrétaire d'État aux affaires européennes, hauts fonctionnaires, conseillers - que des séminaires pourraient être organisés en Europe Centrale, dans les pays baltes, en Scandinavie, et dans l'Europe du Sud - non pas à ce stade pour promouvoir des "idées françaises" mais pour entendre nos partenaires.
Copyright : Ludovic MARIN / AFP
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