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08/02/2018

De la paix et des jeux. Entretien avec Dominique Moïsi

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De la paix et des jeux. Entretien avec Dominique Moïsi
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Alors que s’ouvrent les XXIIIe Jeux olympiques d'hiver à Pyeongchang en Corée du Sud, Dominique Moïsi, conseiller spécial de l’Institut Montaigne, revient sur les enjeux diplomatiques de cette rencontre sportive après une année 2017 marquée par les tensions entre les deux pays. 

Dans quelle mesure les Jeux Olympiques revêtent une importance géopolitique, au-delà de la simple organisation d'une rencontre sportive internationalisée ?

Historiquement, les Jeux Olympiques ont toujours eu une dimension géopolitique. C’était déjà le cas dans la Grèce antique, dont les jeux marquaient une trêve dans les combats. Pierre de Coubertin a ensuite fondé, à la fin du XIXème siècle, le Comité International Olympique avec l’idée que les Jeux pouvaient être porteurs d’un canal de paix entre les nations.

Disons que ces rencontres sportives internationales remplissent deux fonctions majeures :

  • L’auto-célébration du pays organisateur, d’une part, qui utilise ces événements à des fins de propagande. Ce fut incontestablement le cas lors des Jeux de Pékin en 2008, symbole d’une puissance chinoise nouvellement établie et d’un soft power grandissant, tout comme pour les jeux de Tokyo (1964) et de Mexico (1968) : l’occasion de célébrer le retour des pays organisateurs sur la scène internationale. 
     
  • Le rapprochement voire la réconciliation entre les pays, d’autre part, sur le modèle de la “diplomatie du ping-pong” qui a permis, dans les années 1970, un renouveau dans les relations sino-américaines.

Mais la tribune offerte par l’olympisme peut parfois se retourner contre les pays organisateurs. En 1936, l’Allemagne nazie, organisatrice des Jeux, les exploite pour y célébrer l’image d’une Allemagne nouvelle, unie, au sein de laquelle triomphe la race aryenne. C’est cependant un sprinteur noir-américain, Jesse Owens, qui fut le héros de ces jeux en remportant quatre titres olympiques.

De même, si les Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 ne dérogent pas à la règle - celle de célébrer la grandeur de la Russie - ils ont été par la suite entachés par la découverte d’un système de dopage orchestré par l’Etat, ce qui a valu à la délégation russe une interdiction d’afficher son drapeau lors des Jeux de PyeongChang.

Quels sont les enjeux pour les deux Corée d'un tel rapprochement ? 

Le pouvoir sud-coréen sort d’une année 2017 politiquement désastreuse sur fond de tensions récurrentes entre son voisin et l’Amérique de Trump. Les Jeux Olympiques représentent ainsi une opportunité d’opérer un rapprochement avec la Corée du Nord afin de démontrer à son allié et soutien américain que la guerre n’est pas inévitable. La Corée du Nord joue d’ailleurs parfaitement le jeu de l’union sacrée de circonstance. Le message est clair : sans l’Occident et en particulier l’Amérique de Trump, un terrain d’entente est possible. Ainsi, les deux Corées défileront ensemble lors de la cérémonie d'ouverture et ne formeront qu’une seule équipe féminine de hockey sur glace.

Mais gardons-nous de  céder à la naïveté face à la dimension spectaculaire de ce rapprochement, quant au devenir de cette “union sacrée”. Si aux Etats-Unis, les déclarations du Président Trump alternent entre discours rationnels et propos provocateurs, entre les deux Corées, ce rapprochement provisoire n’est sans doute qu’un acte de propagande précédant un retour certain à de nouvelles tensions.

Alors à quoi bon opérer ce rapprochement qui semble autant illusoire qu'éphémère ? L’exemple de l’Allemagne, pays pour lequel le sport a été un véritable vecteur au service de la réunification, peut nous éclairer. Entre 1956 et 1964, les athlètes d'Allemagne de l'Est et d'Allemagne de l'Ouest ont ainsi concouru ensemble dans une équipe unifiée d'Allemagne, le Comité International Olympique (CIO) ne reconnaissant alors que l’Allemagne de l’Ouest comme comité olympique officiel. Cette équipe défile alors derrière le même drapeau et célèbre ses médailles au son de l'Hymne à la joie de Beethoven (devenu l’hymne européen) plutôt qu’à celui des hymnes nationaux respectifs. 

Alors que face au processus de réunification allemande (reconnaissance mutuelle en 1972, réunification effective en octobre 1990), on s’attendait à un effet similaire entre les deux Corées, l’inverse s’est produit, les Sud-Coréens ayant constaté le coût exorbitant de cette démarche historique. Si réunification coréenne il y a, il a toujours été clair aux yeux des Coréens du Sud - dans les années 1990 comme dans les années 2010 - que ce sera à la prospère démocratie du Sud d’absorber l'austère dictature du Nord.

Les Jeux d’hiver de 2018 annoncent-ils une réunification à long terme des deux Corées ?

Il est en effet légitime de s’interroger sur la portée réelle de ce rapprochement. Traduit-il seulement une volonté d’apaisement du régime sud-coréen, une volonté de propagande du régime nord-coréen ? 

A vrai dire, les Jeux comme parenthèse quelque peu artificielle ne changeront rien à court terme mais pourraient avoir un impact à long terme. On peut s’attendre à ce que le régime nord coréen - conscient de sa fragilité - continue d’alterner entre le froid (tirs réguliers de missiles balistiques) et le chaud (participation active aux jeux).

Sur le plan diplomatique, il est intéressant d’observer le regard que portent les puissances asiatiques sur l’évolution de ce conflit. Le Japon, par exemple, est inquiet face à ce processus et a notamment critiqué l’utilisation du drapeau unifié coréen qu’il voit comme une provocation, des îles qu'il considère comme lui appartenant figurant sur ce drapeau. D’autres pays voisins, malgré la menace que représente la Corée du Nord, ne sont pas moins circonspects à l’idée même d’une réunification des deux Corées. Ils préfèrent opter pour un scénario intermédiaire de dénucléarisation de la péninsule, avec des garanties à l’attention du régime nord-coréen.

D’un point de vue américain, la priorité est celle d’un renoncement nord-coréen à l’arme nucléaire or Washington n’est pas en mesure d’offrir une contrepartie suffisante pour un tel renoncement. Ainsi se pose la question du rôle de la Chine, seul pays véritablement en mesure de mener une diplomatie influente sur Pyongyang. Le scénario que craignent les Chinois est celui d’une implosion de la Corée du Nord. Cela mènerait assurément à la présence de soldats américains à la frontière chinoise ainsi qu’à une instabilité tant politique qu’économique et migratoire dans la région.

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