Dans le cadre de leur précédente contribution, publiée à la veille des élections générales allemandes, Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et directeur du Centre de Géopolitique de l'Énergie et des Matières Premières, et Jean-Paul Tran Thiet, Senior Fellow à l’Institut Montaigne sur les questions européennes et d’énergie, analysaient le coût de l’Energiewende, et notamment la charge importante imputée aux ménages et aux petites entreprises, modèle dont la soutenabilité est notamment questionnée par la Cour des Comptes allemande. Ces dernières semaines ont été dominées par la "crise européenne de l’énergie", avec une pression à la hausse sur le prix du pétrole, plus encore sur celui du gaz, et par contrecoup sur l’électricité. Nos deux contributeurs proposent ici un addendum analysant l'impact de ces tensions outre-Rhin, à mettre en perspective avec la place qu'occupe la problématique de l'énergie dans les discussions destinées à former la nouvelle coalition.
Pour mémoire, ce choc de prix énergétiques intervient alors que l’Allemagne est mise au défi du changement d’échelle de son Energiewende, à l’abord d’une période d’accélération impérative des efforts de décarbonation, sous contrainte de fermeture des dernières centrales nucléaires à partir de 2022, et d’avancées vers la sortie du charbon, processus dont l’achèvement en 2038 apparaît bien trop lointain depuis que la Cour Constitutionnelle a appelé le gouvernement à agir plus rapidement. Dans ce contexte de chocs énergétiques, l’objectif de produire cette accélération tout en contenant un prix de l’électricité pour les ménages qui atteint déjà les plus hauts niveaux européens semble peu réaliste.
À l’inverse de l’allègement recherché sur le budget des ménages, le prix de l'électricité en Allemagne pourrait passer du niveau actuel d'un peu moins de 32 centimes par kilowattheure, à 37 d’ici 2023, soit une augmentation de près de 16 %, selon l’analyse de Jürgen Karl de l'université de Nuremberg-Erlangen. Pour amortir la tendance, la réduction de la surcharge EEG (l’Erneuerbare-Energien-Gesetz/EEG, contribution destinée à soutenir le développement des énergiess renouvelables), amorcée depuis 2018, a été accélérée : l’annonce le 15 octobre dernier d’une diminution de l’EEG de 43 % témoigne de l’urgence (soit environ - 3c/kWh).
L’évolution générale est d’autant plus préoccupante que, selon les évaluations récentes de Detlef Stolten, de l'Institut de recherche Jülich, si les efforts de déploiement de renouvelables et d’efficacité énergétique restaient analogues à ceux de la décennie 2010 (effort déjà très volontaristes), en 2030 l’Allemagne pourrait pâtir d’un déficit structurel correspondant à environ 10 % de sa demande d’électricité. Cela impliquerait une dépendance plus marquée en termes d’importations sur la plaque européenne, avec des incertitudes liées à l’évolution des mix-électriques des voisins, eux-mêmes sous l’injonction d’accélérer leur transition, sans compter la pression engendrée sur les réseaux de transports, assortie de risques accrus sur leur équilibrage, donc sur la sécurité d'approvisionnement de toute la plaque Ouest-européenne.
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