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07/02/2019

Crise au Venezuela – lignes de fracture

Crise au Venezuela – lignes de fracture
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Nicolás Maduro, le successeur de Chavez à la tête du Venezuela, figurait dans la galerie de portraits des "néo-autoritaires" publiée par le blog de l’Institut Montaigne. C’est Olivier Dabène, professeur à Sciences Po, qui en avait dessiné pour nous le profil.

À lire ou à relire l’article d’Olivier Dabène, on ne peut être surpris que la situation au Venezuela ait dégénéré en crise : M. Maduro a été réélu l’année dernière dans un scrutin boycotté par l’opposition et peu de pays s’étaient risqués à reconnaître le Président réélu. Depuis les élections législatives de 2015 et sa défaite électorale qu’il n’avait jamais acceptée, Maduro avait donné un tour de plus en plus répressif à son régime tandis que la situation économique se détériorait de manière dramatique, en raison notamment d’une inflation galopante. Le peuple vénézuélien manque de tout aujourd’hui : 2,3 millions d’habitants ont dû fuir le pays sur une population de 14 millions de personnes.

Pourquoi cependant les événements se sont-ils précipités ? La cause immédiate réside dans la décision du Président de l’Assemblée nationale, M. Guaido, de s’ériger en véritable Président du pays, en vue de convoquer de nouvelles élections présidentielles. Toutefois, tous les observateurs considèrent que l’initiative de M. Guaido était concertée avec Washington : ce sont donc les Etats-Unis qui, en fait, ont décidé de porter le fer dans la plaie. Cela soulève une autre question : pour quelle raison une administration Trump notoirement indifférente aux droits de l’Homme et à la nature des régimes politiques s’érige-t-elle soudain en protectrice d’un peuple opprimé ? La réponse tient sans doute en deux facteurs : en fond de tableau, le vieux réflexe des Etats-Unis de faire la police dans ce qu’ils perçoivent comme leur arrière-cour ; et plus immédiatement, des considérations de politique intérieure. C’est le sénateur Rubio, ancien rival Républicain de Donald Trump, qui donne le "la" sur la politique en Amérique latine de l’administration. M. Trump compte sur Marco Rubio pour contribuer à sa réélection et, plus généralement, vise le vote de la Floride.

L’un des aspects de la crise vénézuélienne est qu’elle fait apparaître une fracture au sein du club, il est vrai pléthorique, des "néo-autoritaires".

L’un des aspects de la crise vénézuélienne est qu’elle fait apparaître une fracture au sein du club, il est vrai pléthorique, des "néo-autoritaires" : l’Amérique de Trump se trouve du côté de la défense de la démocratie tandis que la Russie, l’Iran, la Turquie et, à un degré nettement moindre d’ailleurs, la Chine, soutiennent Maduro au nom de la non-interférence dans les affaires intérieures. Bolsonaro, le nouveau Président brésilien, autre "néo-autoritaire" de notre galerie, admirateur affiché de M. Trump, est naturellement aux côtés de celui-ci.

Le positionnement des différents soutiens de Maduro n’est pas exactement le même : seule la Russie, qui avait reçu Maduro à Moscou en décembre et s’est beaucoup engagée financièrement, manifeste un vrai militantisme. Elle fait même planer la vague menace d’un soutien militaire au régime de Caracas. Pour le régime de M. Erdogan, il s’agit surtout d’un prétexte pour dénoncer l’impérialisme occidental (même si les intérêts turcs au Venezuela ne sont pas négligeables). La Chine garde en fait ses options ouvertes, soucieuse de conserver à Caracas, quoi qu’il arrive, un pouvoir en état d’honorer les immenses dettes contractées par le régime de Maduro à l’égard de Pékin.

C’est le 23 janvier que M. Guaido s’est auto-proclamé président provisoire. Il a aussitôt été reconnu dans sa capacité de président par les Etats-Unis et d’ailleurs un certain nombre de pays d’Amérique Latine. Quelle a été l’attitude de l’Europe ?

En France, les commentateurs ont beaucoup ironisé sur la réaction européenne. Celle-ci a d’abord été qualifiée de "suivisme" à l’égard de Washington : c’est un reproche largement infondé, car l’Union européenne n’a pas reconnu M. Guaido immédiatement, à la différence des Etats-Unis ; les Européens ont donné huit jours à M. Maduro pour convoquer de nouvelles élections. Ce n’est qu’à l’issue de cet "ultimatum" que les Européens sont passés à la reconnaissance du "Président par intérim".

Ils l’ont fait – seconde critique à l’égard de la diplomatie européenne – en ordre dispersé. Mais, est-ce si grave ? Il est évident, s’agissant d’un dossier éloigné de leurs préoccupations habituelles pour la plupart d’entre eux, que les Etats membres n’avaient pas le même degré d’intérêt ni exactement les mêmes vues. L’important est que Mme Mogherini ait eu la capacité d’exprimer une position commune. L’ironie a voulu que ce fût l’Italie – en raison d’un désaccord entre les deux partis au pouvoir à Rome – qui a retardé la formulation de cette position commune.

En France, les commentateurs ont beaucoup ironisé sur la réaction européenne. Celle-ci a d’abord été qualifiée de "suivisme" à l’égard de Washington.

Enfin, dernière réserve ou au moins interrogation : fallait-il que les Européens se mêlent d’une affaire qui reste une affaire intérieure, dans un pays qui n’est pas clef pour leurs intérêts géopolitiques ? Certains observateurs soupçonnent que, en Europe comme aux Etats-Unis, des considérations de politique politicienne internes ont pu présider aux choix effectués par les gouvernements. On a pu s’étonner aussi qu’un Orbán, par exemple, s’aligne sur la position européenne, à la demande apparemment du gouvernement espagnol. Là encore, peut-être faut-il relativiser la critique : il n’est pas en soi anormal que des décisions de politique étrangère soient en partie au moins conditionnées par des motifs de politique intérieure. De surcroit, la position de M. Guaido est soutenue par la très grande majorité des Etats d’Amérique Latine ; parmi les grands pays, seul le Mexique fait bande à part, non par soutien à Nicola Maduro mais pour préserver l’option d’une "médiation" entre les deux camps qui se déchirent au Venezuela.

Cette seule considération – sauf à paraitre totalement indifférents à la ligne adoptée par les pays latino-américains (et quels qu’aient été par ailleurs les motivations de ceux-ci) – était en elle-même une raison suffisante pour les Européens de prendre parti.

La vraie question est plutôt de savoir ce qui va se passer maintenant. Sur le plan interne vénézuélien, les deux parties cherchent à obtenir le soutien de l’armée, qui risque d’être décisif. Pour l’instant, l’armée bloque, sur ordre du gouvernement Maduro, les convois d’aide humanitaire envoyés de l’extérieur. Il reste à voir si la loyauté de l’armée au régime va se maintenir et quel sera l’impact de ce refus du régime de laisser entrer l’aide humanitaire dont la population a un besoin impérieux.

Un effondrement complet de l’économie vénézuélienne est désormais à l’ordre du jour.

Sur le plan extérieur, les pays hostiles à Maduro s’organisent ; des rumeurs se répandent sur une possible action militaire des Etats-Unis, s’appuyant sur tel ou tel pays de la région. En attendant, des sanctions américaines très fortes se mettent en place : les Etats-Unis sont le premier importateur du pétrole vénézuélien (40 000 barils par jour) ; ils ont pris des mesures pour que l’argent des ventes de pétrole vers l’Amérique ne bénéficie plus au gouvernement Maduro. Un effondrement complet de l’économie vénézuélienne est désormais à l’ordre du jour.

Cependant, dans les chancelleries de la région, c’est le "coup d’après" qui retient le plus l’attention : l’offensive américaine contre le régime Maduro ne laisse-t-elle pas présager une offensive du même genre contre le régime cubain ? L’enjeu serait cette fois beaucoup plus grave. La diplomatie européenne aurait intérêt à se préparer à un tel scénario afin d’être en mesure d’afficher une réaction unie et vraiment convaincante.

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