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03/03/2020

Coronavirus : se préparer à la pandémie

Coronavirus : se préparer à la pandémie
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

L’épidémie du coronavirus SARS-CoV-2 est devenue une pandémie. Alors qu’elle semble stagner en Chine, elle se développe rapidement au Japon, en Iran, en Italie et ailleurs en Europe, y compris en Allemagne et en France. Aux États-Unis, le CDCP (Centre for Disease Control and Prevention), en charge de la prévention et du contrôle des maladies, a prévenu les autorités que le pays ne serait pas épargné, ce qui a provoqué une lourde chute des marchés financiers. La question du coût économique des mesures à prendre pour enrayer l’épidémie est entrée dans le débat politique. À ce sujet, et bien que les informations en provenance de Chine soient partielles, on ne doit pas les ignorer : la procrastination est la pire des politiques et le coût économique élevé des mesures radicales nécessaires à endiguer l’épidémie ne doit pas dissuader les autorités. Parallèlement, penser que des mesures économiques de stimulation budgétaire ou monétaire pourraient effacer le choc est une illusion.

La mort du Dr Li a causé un virage à 180° des autorités chinoises

Courant décembre 2019, les premiers cas d’infection par une nouvelle variante de coronavirus avaient été détectés dans la ville de Wuhan, mais les autorités avaient vite imposé un blackout, y compris en ordonnant la destruction de prélèvements sur des malades, par crainte d’une réaction de panique de la population ou, plus probablement, par crainte de déplaire en haut lieu. La mort du Docteur Li, l’un des premiers à avoir alerté de la menace tout en se dévouant au traitement des premiers malades, et qui fut ensuite arrêté par la milice, a immédiatement enflammé les réseaux sociaux chinois. La toute puissante censure digitale dut aller jusqu’à bannir le premier vers de l’hymne national chinois "Debout ! Les gens ne veulent plus être des esclaves !", utilisé sur les réseaux comme référence à celui qui était devenu, en quelques jours un héros national. Comme, de plus l’épidémie se développait de façon fulgurante dans la province de Hubei, les dirigeants chinois virèrent de bord mi-janvier, reconnaissant la gravité de la situation, mobilisant leurs équipes de recherche épidémiologiques de pointe, et, surtout, assignant à résidence la population d’un grand nombre de villes.

Le coût du confinement pourrait coûter cinq points de croissance à la Chine

Le coût économique d’une politique de quarantaine aussi radicale est énorme. Il est très probable que le PIB chinois se soit contracté au 1er trimestre : la production et les ventes d’automobiles se sont pratiquement arrêtées, la production d’électricité par des centrales à charbon a chuté de 25 % à 30 % selon Carbon Project. Les transports, aériens, ferroviaires ou routiers sont pratiquement paralysés, et les magasins en grande partie désertés. À ce stade, une baisse de 5 % du PIB par rapport au dernier trimestre de 2019 paraît une hypothèse conservatrice. C’est ce que la chute de l’indice PMI, de 50 en janvier (correspond à un rythme de production annuel de  6 %) à 35,7 en février suggère. Et, même si les dirigeants chinois encouragent dorénavant un redémarrage prudent de l’activité économique, il est probable que la reprise, tirée par la demande non satisfaite et restée latente, n’accélèrera véritablement qu’au second semestre.

Même si le coût économique à court terme de l’endiguement de l’épidémie est comparable à ce qu’une sévère récession économique peut entraîner, il est bien inférieur à celui que causeraient des atermoiements politiques et des demi-décisions prises tardivement.

Dans ces conditions, il est possible que la croissance chinoise, déjà en ralentissement structurel mais qui atteignait encore 6 % l’an dernier, tombe à 1 % cette année – une perte de cinq points de croissance – avant de ré-accélérer fortement en 2021. Même si l’épidémie était restée circonscrite à la Chine, l’impact mondial serait considérable, de par l’importance du marché chinois pour les pays exportateurs, mais aussi de celle de l’industrie chinoise dans les chaînes de production mondiales. Le seul effet Chine pourrait réduire la croissance mondiale d’un bon point de pourcentage, soit, la faire tomber entre 2 % et 1 % en 2020, un rythme qualifié généralement de récession. Pour mémoire, la croissance mondiale était tombée à -0,1 % en 2009.

Au cas où la pandémie se propagerait sans contrôle dans le reste du monde, ce que la situation dans certains pays comme la Corée du Sud, l’Iran le laisse craindre, l’impact en vies humaines et le coût économique pourraient être bien plus élevés, comme nous l’avions indiqué dans notre note du 20 février, mais dépendraient fortement des stratégies mises en œuvre par les autorités, comme vient de le souligner l’OCDE.

Si le virus est bien plus virulent que la grippe, les mesures de confinement sont justifiées

Même si le coût économique à court terme de l’endiguement de l’épidémie est comparable à ce qu’une sévère récession économique, du type 2008-2009, peut entraîner, il est bien inférieur à celui que causeraient des atermoiements politiques et des demi-décisions prises tardivement, dont le résultat serait un lourd bilan en termes de vies humaines et d’augmentation du chômage. L’économiste Jérôme Adda avait montré à partir de données historiques que les mesures de confinement comme la fermeture d’écoles ou de transports publics entraînent des coûts importants pour l’économie, y compris à long terme (les fermetures d’école réduisent le capital humain futur, par exemple), mais qu’elles sont justifiées si le taux de mortalité d’un nouveau virus est deux à trois fois plus élevé que celui des grippes saisonnières. Avec le nouveau coronavirus, nous sommes clairement dans ce cas, puisque son taux de mortalité est supérieur à 2 %, contre environ 0,1 % pour les grippes saisonnières. Adda ajoute dans une vidéo de l’Université Bocconi du 27 février, que contenir la propagation du virus par des mesures vigoureuses est d’autant plus justifié s’il paraît être de type saisonnier.

Ne pas céder aux lobbies sous prétexte d’éviter la panique

Il est souvent avancé à juste titre qu’une vague de panique au sein d’une population mal informée causerait de sérieux dégâts économiques, mais c’est une bonne raison pour informer scrupuleusement la population du développement de l’épidémie et cela ne doit surtout pas servir de prétexte à céder aux pressions – inévitables et compréhensibles – des acteurs économiques, inquiets des répercussions, par exemple, d’une politique de quarantaine.

Stimuler la demande serait une grave erreur…

La politique économique peut-elle amortir le choc d’une politique d’endiguement de la maladie menée à grande échelle ? Dans la mesure où le choc est avant tout un choc d’offre – les capacités de production inemployées le sont parce qu’on ne peut pas travailler, ou qu’on ne peut le faire dans des conditions normales – ni la politique budgétaire ni la politique monétaire ne sont adaptées, puisque qu’elles agissent essentiellement sur la demande. Stimuler la demande alors que la production est contrainte est évidemment futile.

… mais il faut limiter les dégâts pour l’offre

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien à faire du côté de la politique économique. D’une part, les baisses de production et de consommation entraînent inévitablement une chute des recettes fiscales et donc une augmentation du déficit budgétaire. Tenter de s’y opposer reviendrait à tirer sur l’ambulance.

Si les banques centrales ne peuvent pas produire de médicaments, il leur revient d’assurer que la liquidité ne vienne pas à manquer.

Il faut donc laisser jouer les stabilisateurs automatiques, sans contrainte, et ne pas hésiter à dépenser pour mettre en œuvre une politique active de prévention, de confinement et de soins. Les autorités italiennes en ont d’ailleurs déjà fait la demande à la Commission européenne, et elles ont raison. Ensuite, les fermetures d’entreprises, même temporaires, peuvent rapidement conduire à la faillite, déclenchant un cercle vicieux par la dégradation du bilan des banques. Si les banques centrales ne peuvent pas produire de médicaments, il leur revient d’assurer que la liquidité ne vienne pas à manquer, tandis que les autorités de contrôle des banques peuvent autoriser temporairement une augmentation du risque dans les bilans bancaires. Que les États viennent au secours des entreprises mises en difficulté par leurs liens commerciaux avec la Chine ou en conséquence de mesures locales, par des facilités de crédit par exemple, est également justifié, puisque des faillites causées par un choc externe et non pas par un manque de compétitivité, endommageraient durablement le potentiel économique du pays. C’est la voie que l’Allemagne a décidé d’emprunter. Il faut néanmoins anticiper que les mesures de soutien de l’offre de ce type peuvent également des conséquences indésirables à long terme, si, par exemple, elles permettent à des entreprises non rentables de rester à flot. Dans toute mesure générale, aussi justifiée soit-elle, il y a des effets d’aubaine, mais ce n’est pas une raison pour ne pas les entreprendre.

Faut-il craindre qu’un krach financier vienne s’ajouter aux dégâts de l’épidémie ?

Jusqu’au 24 février, les marchés financiers mondiaux n’avaient pas réagi significativement aux nouvelles venant de Chine. Implicitement, les investisseurs considéraient que, tant que l’épidémie restait essentiellement une affaire chinoise, l’économie mondiale ne serait pas trop affectée, et que les banques centrales viendraient de toutes façons à la rescousse, à commencer par le Réserve Fédérale américaine, ce que les marchés à terme de taux avaient commencé à intégrer. La spectaculaire augmentation du nombre de cas en Italie, et surtout le communiqué du CDC indiquant que l’épidémie allait selon toute probabilité se muer en pandémie et toucher les États-Unis changea radicalement la situation. Depuis, les marchés boursiers ont perdu entre 10 % (CAC 40) et 15 % (DAX 30), le marché américain (S&P 500) perdant quant à lui 12 %. Correction sévère, certes, mais sans signes de panique pour autant : les volumes de transactions ont augmenté, mais raisonnablement. En réalité, et jusqu’à présent, les marchés financiers suivent le flux de nouvelles, réagissant à l’inattendu (l’Italie) plutôt qu’à des scénarios noirs. Ainsi, alors que les obligations souveraines considérées comme des valeurs refuge prenaient de la valeur - le rendement à dix ans des obligations de l’État fédéral allemand a baissé d’environ 0,25 point de pourcentage, celles de la République italienne augmentaient de la même valeur.

Les marchés semblent avoir intégré une sorte de scénario moyen, où les profits des entreprises baisseraient significativement en 2020, par rapport aux prévisions précédentes du moins, avant de se reprendre en 2021, sans que l’économie mondiale ne soit prise dans une spirale descendante incontrôlée. D’une certaine façon, les marchés comptent sur une intervention des autorités pour limiter la casse en assouplissant momentanément les règles de crédit, comme on l’évoquait plus haut.

Si l’épidémie continue à s’étendre aussi rapidement, les autorités ne devront pas hésiter à prendre des mesures de confinement sévères, sans être dissuadé par leur coût économique à court terme, et sans céder aux lobbies économiques.

Que l’impact du coronavirus soit récessif est déjà dans les prix, est-on tenté de le dire. Ce qui ne l’est pas nécessairement serait une réaction inadaptée des autorités, que ce soit pour contenir l’épidémie, ou pour en limiter les conséquences sur la solvabilité des entreprises. Autrement dit, de mauvaises nouvelles sur la gestion de la crise pourraient provoquer une rechute des marchés d’actifs risqués, actions ou obligations d’entreprises et de pays à risque. Réciproquement, comme on avait pu le noter en 2009, les marchés seront prompts à se reprendre, dès lors que la probabilité d’un scénario noir paraîtra diminuer.

N’oublions pas que, par définition, les marchés sont spéculatifs, c’est-à-dire qu’acheteurs et vendeurs d’actifs financiers essaient dans la mesure du possible d’anticiper ce que sera l’avenir des entreprises ou des entités émettrices de ces actifs. Ce qui inclut nécessairement une estimation des probabilités qu’on peut assigner aux divers scénarios envisageables. Mais à mesure que le temps passe, les probabilités font place à des réalités, ce qui entraîne inévitablement un ajustement des prix. Il faut donc s’attendre à une plus forte volatilité des marchés durant la période d’expansion de la pandémie, suivie d’un retour à plus de calme une fois la réalité mieux cernée, et même à une remontée des marchés dès que la crise aura passé son pic.

On ne peut évidemment que souhaiter que l’épidémie qui se développe maintenant en Europe soit enrayée le plus rapidement possible. Il est même possible qu’un printemps précoce se révèle être le meilleur barrage au coronavirus. Mais si l’épidémie continue à s’étendre aussi rapidement qu’elle l’a fait au cours des derniers jours, en Italie notamment, les autorités ne devront pas hésiter à prendre des mesures de confinement sévères, sans être dissuadé par leur coût économique à court terme, et sans céder aux lobbies économiques.

 

Copyright : Philip FONG / AFP

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