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24/03/2020

Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie - à Singapour, anticipation, surveillance et tests à l’arrivée

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Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie - à Singapour, anticipation, surveillance et tests à l’arrivée
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Institut Montaigne

Cet article a été mis à jour le 24 avril.

Singapour est la seconde étude de cas de notre série "Coronavirus: l’Asie orientale face à la pandémie", qui explore la boîte à outils des politiques publiques dans la lutte contre le virus. Le cas singapourien illustre comment les leçons tirées de la crise du SRAS de 2003 ont pu être immédiatement mises à profit. La réponse du gouvernement singapourien combine traçage numérique des patients et de leurs contacts, quarantaine, tests dès l’arrivée sur le territoire pour les individus présentant des symptômes même légers, et fermeture des frontières à partir du 23 mars. Le confinement a été, pour le moment, évité.

Chronologie

  • 2 janvier : alerte émise par le ministère de la Santé de Singapour à destination des médecins afin qu'ils identifient les patients souffrant de pneumonie et ayant des antécédents de voyages à Wuhan ; contrôles obligatoires de température à l’arrivée à Singapour
  • 23 janvier : premier cas détecté, un touriste de Wuhan. La santé publique passe du stade de "préparation" à celui de "préparation renforcée" : recherche des dernières interactions (contact tracing), mise en quarantaine des contacts proches, restrictions d'entrée pour les personnes ayant voyagé en Chine
  • 27 janvier : mise en garde par les Singapouriens contre les voyages non essentiels vers Wuhan, extension des contrôles de température à l'aéroport Changi, congé de 14 jours imposé aux personnes travaillant avec des populations vulnérables et passage au format numérique des activités d’éducation et d’enseignement
  • 29 janvier : suspension de tous les voyages entre Singapour et la province du Hubei et annonce d’une prise en charge, par le ministère de la Santé, des frais d’hospitalisation pour tous les cas suspects et confirmés
  • 1er février : interdiction d’entrée et de transit pour tout visiteur ayant effectué un voyage récent en Chine continentale au cours des 14 jours précédents
  • 14 février : réactivation des cliniques de préparation à la santé publique (PHPC)
  • 18 février : publication d'une Stay-Home-Notice (valant confinement pour une durée de 14 jours) pour tous les résidents de Singapour et les détenteurs de titres de long séjour revenant de Chine ; introduction d'un plan de relance par le gouvernement pour stimuler les secteurs économiques atteints par la crise
  • 18 mars : introduction d'un système de catégorisation des voyageurs sur la base de leur niveau de risque, interdictions d’entrée du territoire pour tous les non-ressortissants
  • 21 mars : mise en place d’une quarantaine de 14 jours obligatoire pour tous les résidents singapouriens revenant de l’étranger et les visiteurs de courte durée, avec l’obligation de communiquer leur localisation GPS au gouvernement
  • 22 mars : les visiteurs de courte durée ne sont plus autorisés à entrer ou à transiter par Singapour. Les détenteurs d'un permis de travail ne sont autorisés à rentrer que s'ils travaillent dans des secteurs qui fournissent des services essentiels (soins de santé, transports…)
  • 3 avril : confinement partiel, avec la fermeture, pour une durée d’un mois, des entreprises non essentielles, des écoles et des universités
  • 24 avril : annonce de mille cas supplémentaires en l’espace de quatre jours consécutifs, attribués par le ministère de la Santé à une recrudescence des cas parmi les foyers de contagion situés dans les dortoirs des travailleurs migrants

Analyse

A la mi-avril, Singapour était parvenue à contenir la contagion du coronavirus en anticipant, dès la fin du mois de décembre 2019, le potentiel de crise du virus. Le pays doit désormais affronter une deuxième vague de cas, principalement parmi les citoyens singapouriens de retour de l’étranger ; cette recrudescence des cas explique que l’État ait pris la décision inédite d’une fermeture des frontières à presque tous les visiteurs étrangers en séjour court. Au 9 avril, Singapour comptait 1 910 cas confirmés et seulement 6 décès, selon les statistiques du ministère de la Santé. Le pays a fait l’expérience d’une seconde vague de contamination, conséquence du retour sur le territoire de résidents singapouriens. Sur les 54 cas de la deuxième vague confirmés le 23 mars, une écrasante majorité (48) étaient des cas importés - c’est là la preuve de l'efficacité des contrôles aux frontières mis en place par Singapour, de la pratique des tests par écouvillon à l'arrivée, mais aussi de l'efficacité des mesures volontaristes visant à prévenir l'éruption de foyers de contagion localisés à l'intérieur de Singapour.

L'épidémie de SRAS avait abouti à la création du Centre national des maladies infectieuses. Ce centre équipé de 330 lits dans des chambres d'isolement, a ouvert ses portes en 2019.

Ce succès relatif peut être attribuée aux initiatives gouvernementales visant à améliorer les infrastructures de santé publique après l'épidémie de SRAS de 2003, à l’origine d’une trentaine de décès. L'épidémie de SRAS avait abouti à la création, par le ministère de la Santé, du Centre national des maladies infectieuses. Ce centre de gestion des maladies, équipé de 330 lits dans des chambres d'isolement, a ouvert ses portes en 2019. Singapour avait, de plus, déjà mis en place des centres nationaux de quarantaine avant l’apparition du Covid-19.

Cette préparation préalable s'est accompagnée de mesures spécifiques prises dès l'annonce de l’existence d’une nouvelle pneumonie virale se propageant à Wuhan et dans le Hubei. À Singapour, le contrôle de la température des passagers arrivant de Wuhan commence dès le début du mois de janvier, et, le 23 janvier, tout vol en provenance de Wuhan est interdit. À partir du début du mois de février, Singapour impose des contrôles de plus en plus stricts aux voyageurs entrant sur le territoire ; les contrôles sont progressivement élargis aux différentes zones géographiques gravement touchées par le Covid-19, et finalement étendus à la mi-mars à tous les étrangers.

Une caractéristique majeure de la stratégie singapourienne d’endiguement du virus réside dans la réalisation de tests par écouvillon (swab tests) sur les passagers entrants présentant des symptômes même légers. Depuis la mi-janvier, le gouvernement s'est efforcé d'agrandir les salles de dépistage installées à différents points de contrôle. Les kits de tests qui y sont utilisés, qui présentent un taux de réussite de 99 %, sont conjointement développés depuis février par la Home Team Science and Technology Agency (HTX) - une agence publique créée début décembre 2019, qui a pour mission première le développement de nouvelles technologies au service de la sécurité intérieure - , et la société singapourienne Veredus, pour faciliter le diagnostic in vitro. Les tests sont désormais effectués sur la base d'un système de classification des passagers en fonction de leur niveau de risque.

Le 7 février, le gouvernement a fait passer son niveau d’alerte, intitulé Disease Outbreak Response System Condition (DORSCON), du niveau jaune au niveau orange. Cette nouvelle étape a impliqué la mise en place de mesures de précaution multiples encadrant les événements de grande ampleur et l’édiction de nouvelles règles pour le lieu de travail et le quotidien des individus, comme le contrôle régulier de la fièvre et des symptômes respiratoires.

Le gouvernement singapourien augmente alors son investissement sur la mise en place d’outils de pointe en matière de contact tracing (recherches des interactions récentes des individus), sur la création de laboratoires supplémentaires et sur le soutien aux sciences biomédicales et à la recherche clinique.

Comme d'autres pays d'Asie orientale, Singapour a concentré ses efforts sur la production, la disponibilité et le port des masques. Le 4 février, le gouvernement a ainsi lancé une opération massive de distribution hebdomadaire de quatre masques FFP2 par foyer, puisés dans un stock national d'équipements de protection individuelle (EPI) et de masques.

Un site web informe les citoyens des lieux et des moments où ces masques peuvent être récupérés. Cependant, Singapour a rapidement été confrontée à une pénurie de masques, en raison des restrictions à l'exportation imposées par les pays voisins. Elle parvient aujourd’hui à reconstituer ses stocks en collaborant avec des fabricants locaux du secteur privé comme Wellchem Pharmaceuticals. 1,6 million de masques non réclamés par les ménages singapouriens ont été de surcroît restitués au gouvernement. Le ministère du Commerce et de l’Industrie, qui gère la production et le stockage des masques, n'a pas révélé la taille du stock du pays. Parallèlement, le gouvernement prévient toute hausse des prix par le biais d’avertissements aux entreprises et en exigeant que les voyageurs entrants déclarent leurs masques et leurs équipements de protection individuelle dès leur arrivée.

Tracetogether, application développée par le gouvernement, enregistre grâce au système Bluetooth les autres utilisateurs qui ont évolué à proximité d'un utilisateur de smartphone. Si cet utilisateur est testé positif, les personnes à risque sont alors directement contactées.

La gestion de crise à Singapour se singularise également par un contact tracing extrêmement intrusif afin d'identifier de possibles foyers de contagion. Les professionnels de la santé sur le terrain sont formés pour interroger les individus testés positifs au virus, afin d'identifier ces foyers potentiels. Le corps médical singapourien est autorisé à utiliser un nouveau test sérologique, mis au point par la Duke-NUS Medical School. Le ministère de la Santé travaille en collaboration étroite avec les hôtels et les entreprises et va jusqu'à consulter les images de vidéosurveillance notamment fournis par ces derniers pour repérer et suivre les cas. Tracetogether, application développée par le gouvernement, enregistre grâce au système Bluetooth les autres utilisateurs qui ont évolué à proximité d'un utilisateur de smartphone. Si cet utilisateur est testé positif, les personnes à risque sont alors directement contactées.

Le dépistage préventif et le suivi précis des interactions sociales récentes des individus s'accompagnent d’une politique de quarantaine très stricte. Les mesures de quarantaine adoptées par Singapour vont des congés autorisés par le gouvernement aux Stay-Home-Notice (SHN) ; toute infraction à cette quarantaine est sanctionnée soit par une lourde amende (10 000 dollars singapouriens, soit 6 900 dollars américains), soit par une peine de six mois de prison. Les Stay-Home-Notice sont assorties de l'obligation de communiquer sa localisation GPS au gouvernement, ce qui permet à ce dernier de pouvoir suivre les individus en temps réel. Pour vanter les mérites de la distanciation sociale, Singapour a adopté une approche "leading by example" : de nombreux députés singapouriens ont ainsi appliqué les règles de la distanciation sociale au cours de leurs déplacements.

Grâce à une réaction rapide, des contrôles aux frontières stricts, des tests à l'arrivée et des mises en quarantaine, ainsi qu’une recherche active des interactions sociales récentes des individus à risque, Singapour est jusqu'à présent parvenue à éviter le confinement général.

Sous l’effet de la panique qui a suivi la première vague de cas, les Singapouriens se sont mis à dévaliser les rayons des supermarchés. Pour atténuer les craintes de la population, dans une allocution prononcée le 8 février, le Premier ministre Lee Hsien Loong s’est exprimé dans les quatre langues officielles de la Cité-État pour rassurer ses concitoyens sur la capacité de Singapour à assurer les approvisionnements. D’une part, afin d’éviter ces achats excessifs, des limites d'achat (allant de 30 à 50 dollars singapouriens, soit 20 à 35 dollars américains) encadrent les achats dans les chaînes de supermarchés. Cette limitation répond à la fermeture des frontières de la Malaisie, principal fournisseur alimentaire de Singapour, entré en confinement partiel. D’autre part, le 17 mars, le ministre singapourien du Commerce et de l'Industrie a annoncé un ensemble de plans de stockage, de diversification des sources d'approvisionnement à l'étranger et de production locale.

Dans la seconde moitié du mois de mars, Singapour connaît une seconde vague de contagion ; 80 % des cas confirmés sont alors importés. En conséquence, à partir du 22 mars, la Stay-Home-Notice de 14 jours est étendue à tous les résidents permanents et aux détenteurs de titres de long séjour, quelle que soit leur provenance. Les passagers en séjour court se voient interdire l'entrée ou le transit. Le ministère de la Santé décrit cette mesure comme venant "garantir la conservation des ressources et l'orientation de l'attention médicale sur les Singapouriens".

Grâce à une réaction rapide, des contrôles aux frontières stricts, des tests à l'arrivée et des mises en quarantaine, ainsi qu’une recherche active des interactions sociales récentes des individus à risque, Singapour est jusqu'à présent parvenue à éviter le confinement général. En réponse à une nouvelle vague de cas, Singapour a mis en place un confinement partiel d’une durée d’un mois, considéré comme une mesure "court-circuit". La majorité des entreprises et des lieux de travail, à l’exception des services jugés essentiels, sont aujourd’hui fermés - nombre d’entreprises ayant aujourd’hui recours au télétravail. Les écoles se sont tournées vers des dispositifs d’enseignement à domicile. Les cas recensés pendant la première vague de contamination montraient une majorité d’individus jeunes, prouvant que les personnes âgées s’étaient suffisamment isolées ou étaient protégées par leurs proches. Néanmoins, à partir du 19 avril, une nouvelle recrudescence de cas a révélé l’existence de foyers situés dans des dortoirs accueillant des travailleurs intérimaires. Au total, à date, ce sont 21 lieux d’hébergement pour travailleurs étrangers qui ont été déclarés "zones d’isolement" par le gouvernement. En réaction, le 21 avril, le Premier ministre a annoncé une prolongation des mesures "court circuit" de quatre semaines, jusqu’au 1er juin. À travers un plan d’urgence, le 18 février, le gouvernement a annoncé un plan de relance d’un montant de 2,6 milliards de dollars US en soutien à l’inévitable ralentissement économique, avec un second plan annoncé le 26 mars, pour un total de 11,8 milliards de dollars US. Le 6 avril enfin, le gouvernement annonce un troisième plan de relance, doté de 3,6 milliards de dollars US en réponse à la persistance de l’épidémie.

 


Mathieu Duchâtel, François Godement, Vasudha Rajkumar et Viviana Zhu - Programme Asie de l’Institut Montaigne

 

Copyright : Catherine LAI / AFP

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