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31/03/2020

Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie - la Chine : confinements, outils numériques et mobilisation industrielle

Coronavirus : l’Asie orientale face à la pandémie - la Chine : confinements, outils numériques et mobilisation industrielle
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis
 Viviana Zhu
Auteur
Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne

Cet article a été mis à jour le 9 avril. 

La Chine est à la fois le berceau de l'épidémie de Covid-19 et le pays qui a pris les mesures les plus fortes pour l’endiguer. Jusqu’à présent, ces mesures ont été couronnées de succès, en dépit d’un démarrage tardif et d’un nombre de dépistages qui reste insuffisant malgré les efforts déployés en la matière. L’approche chinoise se distingue par la rigueur des mesures de confinement, le recours à des outils numériques et la mobilisation des industries médicales. Le coût économique est très élevé. La Chine promeut désormais sa réponse à la crise dans le monde et émerge en tant que principal fabricant mondial d'équipements médicaux nécessaires à la lutte contre la pandémie. 

Chronologie

  • 17 novembre 2019 - Premier cas rétrospectivement détecté 
  • 8 décembre - Premier cas confirmé, selon la déclaration officielle chinoise à l'OMS 
  • 30 décembre - Avertissement émis par Li Wenliang, médecin travaillant à l'Hôpital central de Wuhan, à destination de ses collègues - le lendemain, il lui est demandé de rédiger une autocritique sur le thème “ne pas diffuser de fake news
  • 30 décembre - Publication, par la Commission municipale de la santé de Wuhan, d’un "avis urgent sur le traitement d’une pneumonie de cause inconnue (关于做好不明原因肺炎救治工作的紧急通知)", soulignant qu’un nombre croissant de patients présente des symptômes et invitant tous les établissements médicaux à communiquer toute information lui étant relative
  • 31 décembre - Arrivée à Wuhan d'une équipe d'experts de la Commission nationale de la santé pour enquêter sur cette épidémie, signalée à l'OMS le même jour
  • 3 janvier 2020 - Obligation faite à l’équipe d'un hôpital de Wuhan de ne pas échanger, par les voies de communication publiques ou privées, sur ce sujet 
  • 5 janvier - Séquençage complet du virus à Shanghai ; publication d'un rapport de la Commission municipale de santé de Wuhan avec les statistiques des cas mises à jour, mais "aucune preuve claire de transmission interhumaine"
  • 7 janvier - Instructions orales et écrites données par Xi Jinping lors de la réunion du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois, comme il l'a rétrospectivement précisé dans son discours du 3 février
  • 14 janvier - Premiers contrôles de température à Wuhan (aéroport, gare ferroviaire, gare routière et terminal ferry) ; installation de 35 thermomètres à infrarouge, complétés par environ 300 modèles de thermomètres à infrarouge portatifs
  • 20 janvier - Début de la grande migration du Nouvel an chinois, et premier discours public de Xi Jinping sur la situation de crise ; le Covid-19 reconnu comme une maladie infectieuse de catégorie B, avec la nécessité de mettre en application des mesures de prévention et de contrôle de catégorie A. Cette mesure permet aux institutions médicales d'isoler et d'observer les patients atteints. La Chine confirme la transmission interhumaine du virus. 
  • 21 janvier - Mise en place du mécanisme conjoint de prévention et de contrôle du Conseil des affaires de l’Etat (肺炎疫情联防联控工作机制), composé de 32 départements coordonnés par la vice-Première ministre Sun Chunlan
  • 23 janvier - Annonce du confinement de Wuhan, suivi par d'autres villes voisines (Xiaotao, Chibi, Huanggang, Ezhou) et de la construction, en urgence, d’un premier bâtiment temporaire à Wuhan, opérationnel dès le 3 février. Annonce d'un deuxième projet deux jours plus tard, opérationnel le 5 février
  • 24 janvier - Suspension des voyages de groupe à l'intérieur du territoire national. Le premier kit de test d'acide nucléique obtient l’autorisation légale 
  • 26 janvier - Première réunion du Central Leadership Group for Epidemic Response (中央应对新型冠状病毒肺炎疫情工作领导小组), présidé par Li Keqiang. Approbation, par l’administration nationale des produits pharmaceutiques (voie d’autorisation rapide pour les dispositifs médicaux), de quatre kits de dépistage d'acide nucléique
  • 27 janvier - Suspension des voyages de groupe à l'étranger ; les voyages individuels restent autorisés
  • 8 février - Le Conseil des affaires de l’État publie un avis sur la “reprise ordonnée de la production et la reprise de la production dans les entreprises”
  • 10 février - Publication d’une directive stipulant que les personnes porteuses du virus encourent le risque d’être accusées de mettre en danger la sécurité publique si elles refusent la quarantaine, en enfreignent les termes, si elles entrent dans des lieux publics ou si elles utilisent les transports en commun
  • 16 mars - Transfert de tous les voyageurs étrangers entrant à Pékin vers un point d'observation centralisé pour 14 jours d'isolement
  • 19 mars  - Pour la première fois depuis le début de l’épidémie, aucune recension officielle de nouveau cas local 
  • 23 mars - Déroutage de tous les vols internationaux à destination de Pékin vers 12 autres villes ; seuls les voyageurs autorisés peuvent alors poursuivre leur voyage vers Pékin
  • 25 mars - Obligation de tests par acide nucléique à tous les passagers arrivant à Pékin, ainsi que mise en quarantaine centralisée
  • 28 mars - Interdiction temporaire d’entrée des ressortissants étrangers titulaires d'un visa ou d'un permis de séjour chinois en cours de validité
  • 29 mars - Chaque compagnie aérienne chinoise n'est autorisée à garder qu'une seule ligne aérienne par pays étranger, chaque compagnie étrangère n'est autorisée à exploiter qu'une seule ligne vers la Chine. Application du plafond d'un vol par semaine et par ligne aérienne
  • 31 mars - le ministère du Commerce, l’administration générale des douanes et l'Administration nationale des produits pharmaceutiques publient conjointement un Avis sur l'exportation de matériel médical ("Notice on the Orderly Conducting of Medical Materials Export")
  • 8 avril - Fin prévue du confinement de Wuhan, mais maintien de certaines mesures de contrôle et de mesures préventives locales

Analyse

La réponse globale de la Chine à la crise peut être résumée en trois phases : une période initiale de déni, marquée par l'absence de mesures appropriées pour contenir l'épidémie ; une volte-face politique le 20 janvier, à l’origine de mesures de confinement inédites (sans égal dans le monde) à partir du 23 janvier, adossées à des moyens et outils de contrôle résidentiel et de traçage numérique ; et à partir du 19 mars, la revendication d’une victoire contre le virus, l’accent étant désormais mis sur les cas importés. Alors que les capacités de production chinoises en matière d'équipements de protection individuelle sont extrêmement sollicitées, la Chine ambitionne de réécrire le récit mondial du Covid-19. Pourtant, ce récit ne peut faire l’impasse sur les origines de la flambée épidémique.

Le prix tragique du déni

La première phase de la réponse chinoise à la crise, ou plutôt son absence de réponse, est relatée par la Une de China News Weekly. Un certain nombre d’individus s’étant rendus au marché aux fruits de mer de Huanan (où des animaux sauvages sont également vendus) ont été contaminés dès le 8 décembre 2019. Mais ce n’est que le 31 décembre que la Commission municipale de santé de Wuhan a publié sa communication officielle ayant trait à des cas de pneumonie de cause inconnue au marché de Huanan. La fermeture du marché a été décidée le 1er janvier 2020. Une enquête ultérieure permet aujourd’hui d’établir l’existence d’un patient contaminé dès le 1er décembre, puis d’un autre dès le 17 novembre, sans qu'aucun lien avec le marché aux fruits de mer n'ait été établi. Le patient zéro n'a pas encore été identifié. 

Ce délai de 23 jours séparant les cas de contamination du 8 décembre et la fermeture du marché expose de nombreux habitants de Wuhan au virus, et est à l’origine d’une épidémie majeure dans la province du Hubei, puis en Chine et dans le monde entier. Bien que les autorités médicales nationales soient très tôt informées de la situation, ni le gouvernement provincial ni le gouvernement central n'agissent assez vite. Au niveau local, l'information n'est pas divulguée. Les rassemblements et les manifestations publiques se poursuivent jusqu'au 20 janvier. Li Wenliang, médecin travaillant à l'Hôpital central de Wuhan, est l'un de ceux qui a tiré la sonnette d'alarme auprès de ses collègues au sujet de cette maladie semblable au SRAS. On le fait taire. Après sa mort, due au virus et largement commentée, et la volte-face des dirigeants chinois à partir du 20 janvier, le prix du déni est aujourd’hui réévalué. Le 28 janvier, la Cour suprême chinoise fait explicitement référence au cas de Li Wenliang. Elle tempère l’utilisation du terme de "fake news" dont le médecin a été accusé, en soulignant que certaines des informations qu’il avait communiquées pourraient être vraies, qu’elles venaient combler un vide laissé par un manque de communication publique, et qu'elles n’étaient probablement pas malveillantes.

Le 31 janvier, Ma Guoqiang, secrétaire du parti communiste de la municipalité de Wuhan jusqu'au 13 février, admet que si des décisions et des mesures de contrôle strictes avaient été prises plus tôt (comme, par exemple, le fait de confiner la population de Wuhan le 12 ou le 13 janvier et non le 23), la situation aurait été mieux maîtrisée. Il invoque les consignes du gouvernement central, qui l'auraient empêché de communiquer plus tôt sur le virus, car il n’aurait pas reçu l'autorisation de Pékin pour divulguer les informations. 

Le moment de vérité et la prise de mesures draconiennes 

Le 20 janvier, le virus est reconnu en tant que maladie infectieuse de catégorie B (au même titre que le SRAS et la grippe A), nécessitant l'application de mesures de prévention et de contrôle de catégorie A (au même titre que la peste et le choléra). Le passage des mesures de la catégorie B à la catégorie A est crucial, car la catégorie B exige un reporting plus rapide et des mesures d'isolement plus strictes. Le lendemain, un mécanisme conjoint de prévention et de contrôle du Conseil des affaires de l’État (肺炎疫情联防联控工作机制) est mis en place, comprenant 32 départements sous la coordination de la vice-Première ministre Sun Chunlan. Le 22 janvier, des directives sont émises à l'intention des établissements médicaux, les exhortant à garder le virus sous contrôle en leur sein. 

Le 23 janvier, alors que des centaines de millions de personnes sont déjà arrivées à destination pour les festivités du Nouvel An chinois, des restrictions de voyage commencent à Wuhan et sont successivement adoptées dans d'autres grandes villes. Les congés du Nouvel An sont désormais considérés comme une "fenêtre d'opportunité" pour l'isolement et la désinfection de masse (大隔离、大消毒) dans le cadre du plan de prévention et de contrôle publié par la Commission nationale de la santé le 28 janvier ; la période officielle de congé sera prolongée à plusieurs reprises. En réalité, une grande partie de la migration a déjà eu lieu à cette date : le maire de Wuhan estime que près de 5 millions de personnes ont quitté la ville avant l'application de l'interdiction de voyage. Il faut attendre le 27 janvier pour qu’une restriction des voyages de groupe vers l'étranger soit décidée, soit trois jours après la suspension des voyages de groupe au sein du territoire national. De nombreux “blocus” locaux informels viennent compléter l’application des interdictions de voyage. 

S’ensuit la décision d’un confinement complet, avec des degrés de sévérité variables selon le moment et l’endroit. L'isolement complet des cas suspects est appliqué. Les hôpitaux d'urgence sont livrés et mis en service sous 10 jours ; gérés par l'Armée populaire de libération, ils offrent 2 600 lits au total. Le 28 février, 16 cabin hospitals (方舱医院), espaces médicaux mobiles, sont également construits à Wuhan pour traiter les patients présentant des symptômes légers, ce qui ajoute 13 000 lits. A ce stade, l'objectif fixé par la Commission nationale est alors de concentrer les patients, les experts, les ressources et les traitements (“集中患者、集中专家、集中资源、集中救治”).

Les patients confirmés doivent être hospitalisés. Tout individu ayant eu un contact étroit avec un cas confirmé ou arrivant d'une zone à haut risque, est soumis à une quarantaine obligatoire. Il convient de se plier à l'enquête épidémiologique, aux dépistages, à la collecte d'échantillons et à l'isolement. Les organes de sécurité publique et les outils de surveillance numérique sont massivement utilisés. Les traitements médicaux sont gratuits et sont couverts par les assurances et certaines subventions gouvernementales. S’ils refusent de se plier à la quarantaine ou n’en respectent pas les termes, les cas confirmés et suspects sont accusés de mettre en danger la sécurité publique. 

Un bond dans la production des masques et d’autres équipements médicaux

Plusieurs provinces et plusieurs villes rendent le port des masques obligatoire. La pression sociale, importante en la matière, fait le reste. Par ses directives, le Centre chinois de contrôle et de prévention conseille également de porter des masques chirurgicaux ou des masques N95 dans les espaces publics et les transports en commun, ainsi que de conserver chez soi quelques masques, des thermomètres et du désinfectant, vus comme des "nécessités du quotidien". Pour garantir l’approvisionnement en masques, les droits de douane sur les dons de masques en provenance de l'étranger sont supprimés et des subventions sont accordées aux entreprises qui en importent. 

L'une des principales caractéristiques de la réponse chinoise réside dans la mobilisation ou la réorganisation des capacités de production dans un laps de temps resserré, afin de répondre à la demande intérieure d'équipements médicaux.

L'une des principales caractéristiques de la réponse chinoise réside dans la mobilisation ou la réorganisation des capacités de production dans un laps de temps resserré, afin de répondre à la demande intérieure d'équipements médicaux. Le 21 janvier, le ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information publie un avis dont l’objectif est d’assurer et de coordonner les approvisionnements d'urgence pour la lutte contre l’épidémie. Pour encourager la production, une plateforme est mise en place afin de mettre en relation les fournisseurs et les acheteurs d'équipements médicaux essentiels. Répondant ainsi à la crainte soulevée par le risque d’une surcapacité de production, le gouvernement promet par la suite qu'il absorbera tous les produits excédentaires et les stockera après la crise. Une liste d’équipements considérés comme essentiels est publiée le 8 février ; elle comprend des vêtements de protection médicale, divers types de masques, des kits de dépistage à base d'acide nucléique et des thermomètres corporels automatiques à infrarouge. 

Une simplification apportée aux processus de certification permet aux entreprises d'acquérir de nouvelles lignes de production ou de détourner leurs lignes de production existantes pour prendre part à la production de masse d'équipements médicaux. En moins d'un mois, entre le 1er et le 29 février, la Chine multiplie par 5,5 sa capacité de production de masques, passant de 20 à 110 millions de masques par jour.  Ce nombre atteint 200 millions par jour début avril. Pour mettre les choses en perspective, en 2019, la production totale chinoise s’était élevée à 5 milliards d’unités, soit 13,7 millions par jour. Une tendance similaire est observée du côté de la production de vêtements de protection médicale, qui passe de 8 700 ensembles par jour le 28 janvier à 852 000 ensembles par jour le 12 mars. 

Pour les tests, le premier kit de dépistage à base d’acide nucléique obtient l’autorisation légale le 24 janvier. Deux jours plus tard, l’Administration nationale des produits pharmaceutiques chinoise crée une procédure d'autorisation rapide pour les dispositifs médicaux. Quatre kits de dépistage d'acide nucléique sont approuvés le même jour. Notons que deux types de kits de dépistage sont utilisés en Chine : le kit “acide nucléique” et le kit de test d'anticorps. Le 27 mars, 22 kits de test dépistant le Covid-19 sont approuvés. Au 11 mars, la capacité de production de kits de type acide nucléique est de 2,6 millions de kits par jour (contre 773 000 le 1er février) et la production de kits de test d'anticorps est de 1 million par jour. Le test d'acide nucléique est la méthode de détection du coronavirus la plus couramment utilisée, car les anticorps mettent du temps à se développer et ne peuvent être détectés au stade précoce de l'infection. La précision des tests d'acide nucléique varie néanmoins, et la précision de certains d'entre eux semble se situer dans la partie inférieure de la fourchette. Les médecins “en première ligne” de la lutte contre le virus préconisent plutôt le recours aux scanners pulmonaires, car les kits de dépistage ne parviennent souvent pas à identifier le virus même lorsque l'infection est déjà évidente. 

Le système de “crédit social”, qui est désormais qualifié de "clé maîtresse” (“万能钥匙") de la résolution des problèmes au moyen de récompenses et de punitions, est également appliqué aux politiques de prévention et de contrôle du Covid-19. La portée des mesures punitives et leur mise en œuvre varient considérablement selon les autorités locales et il n'existe pas de norme nationale. Mais les mesures punitives viennent souvent sanctionner la dissimulation des antécédents de santé et de contact, le refus de l’isolement et d'observation médicale, la violation de l'obligation de porter un masque ou le non-respect de l'interdiction des rassemblements, y compris à domicile. Il arrive que les autorités judiciaires lèvent temporairement les restrictions portées par le système de crédit social pour permettre aux entreprises opérant dans des secteurs critiques, mais faisant l'objet d'une enquête judiciaire, de reprendre la production. A titre d’illustration, le tribunal de Guangzhou a débloqué le compte bancaire d'un fabricant d’imageurs thermiques infrarouges afin qu'il puisse reprendre la production.

Réduire le risque d'exposition et de propagation en utilisant les données

L'utilisation du big data est bien une autre clé de la gestion de la crise du Covid-19. Depuis le 20 janvier, les autorités locales doivent communiquer quotidiennement les évolutions liées au virus, et la Commission nationale de santé publie un rapport quotidien des cas confirmés depuis le 21 janvier. Est également communiquée, sur les sites des autorités locales, une liste des hôpitaux disposant d'un service grippal compétent pour traiter le coronavirus. Les données officielles sont devenues la source des mises à jour majeures du Covid-19 sur les sites et les applications. Mais certaines entreprises vont beaucoup plus loin. Par exemple, la plateforme Baidu note l'emplacement des patients atteints de coronavirus sur ses cartes (sans révéler leurs noms ou leurs données personnelles), ainsi que l’historique de leurs déplacements, permettant ainsi aux usagers d'éviter les zones présentant un risque d'infection. La plateforme fournit des informations sur le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux. 

Les données et analyses fournies par les trois entreprises publiques de télécommunications chinoises (China Telecom, China Unicom et China Mobile) et par les opérateurs de services cartographiques sont utilisées pour surveiller les flux de population et pour prédire les tendances à venir, permettant une meilleure allocation des ressources de prévention et de soin. En raison de la pénurie de ressources humaines, les données sur la consommation d'électricité sont aussi utilisées dans la zone résidentielle de Hangzhou pour surveiller en temps réel et contrôler les résidents placés en quarantaine et les personnes âgées vivant seules. Afin de s’assurer que les utilisateurs restent connectés, l’approvisionnement en services et en télécommunications est assuré même en cas de factures impayées. 

En résumé, le gouvernement est capable d'avoir une vue d'ensemble de la situation grâce aux données et à l'analyse fournies à la fois par les autorités locales et par les entreprises.

China Electronics Technology Group Corporations (CETC) a publié une plateforme de ”détecteur de contact étroit”, basée sur les données fournies par, entre autres, la Commission nationale de santé, le ministère des Transports, China Railway et l'Administration de l'aviation civile, afin d'identifier les personnes ayant été en contact direct avec les individus infectés. Cette plateforme a été intégrée à des applications populaires préexistantes comme Alipay, Wechat, et QQ. Afin de faciliter les demandes, les utilisateurs peuvent avoir accès à la plateforme en scannant un code QR, et s'inscrire avec un numéro de téléphone, fournissant leur nom et leur numéro d'identification national. Chaque compte associé à un numéro de téléphone peut demander des renseignements sur un maximum de trois personnes. La plateforme est également utilisée par les autorités, les entreprises, les écoles, les espaces publics et les quartiers résidentiels. Le contrôle social de voisinage (très souligné dans les reportages internationaux) a également joué un rôle significatif dans le respect des règles de quarantaine et des autres directives.

Ces mesures font partie d'une démarche plus générale visant à dissuader les mouvements de population, à diminuer le nombre de rassemblements et à minimiser au maximum les interactions sociales. Dans les hôpitaux, des machines automatiques sont installées pour les médicaments et la désinfection. Pour éviter d'avoir des hôpitaux surpeuplés de patients avec des résultats positifs, des plateformes de services médicaux en lignes sont mises à disposition. Les hôpitaux publics et les compagnies privées commencent à fournir des consultations en ligne gratuites, diminuant le risque d'infections nosocomiales, qui avait considérablement aggravé la situation à Wuhan et dans les autres villes du Hubei. 

En résumé, le gouvernement est capable d'avoir une vue d'ensemble de la situation grâce aux données et à l'analyse fournies à la fois par les autorités locales et par les entreprises. En même temps, les individus peuvent aussi avoir accès à leur propre statut médical en utilisant différentes plateformes. La combinaison horizontale de données permet aux autorités d'identifier plus facilement les individus à risque (par exemple, un individu qui a voyagé dans une zone à haut risque ou qui a été en contact étroit avec une personne infectée) et de réaliser des dépistages de ce groupe ciblé. L'utilisation de données à des fins de surveillance suit le plan de prévention et contrôle publié par la Commission nationale de santé, qui met en avant l'importance de "découvrir, signaler, isoler et traiter à l'avance (早发现、早报告、早诊断、早隔离、早治疗)".

Comme certaines villes sont désormais en train de reprendre progressivement le travail et les autres activités, de nouveaux instruments de contrôle et de surveillance sont instaurés. Tencent comme Alibaba ont développé leur propre système de "code sanitaire (健康码)", qui fournit aux utilisateurs un code QR et un code couleur (rouge, jaune ou vert) pour prouver qu'ils sont éligibles à la “libre circulation”. La “carte d'itinéraire” (行程卡) en est un autre exemple ; elle peut être utilisée comme preuve d'un historique de déplacement “propre”. Les utilisateurs peuvent obtenir leur historique de déplacement des 14 derniers jours (au sein du territoire chinois comme à l'étranger), sur la base des données récupérées par les entreprises de télécommunications. Les utilisateurs se voient attribuer le code “rouge” s’ils se sont rendus dans la province du Hubei, “jaune” s'ils sont allés dans un des 58 pays étrangers listés (une liste mise à jour en permanence), et “verts” s’ils se sont rendus dans les pays restants. La carte d'Itinéraire est valide dans tout le pays. 

Cet usage massif des données (collecte, stockage et localisation) dans la réponse à la crise est à l’origine d’inquiétudes quant au respect de la vie privée. Dans la plupart des cas, les plateformes développées reçoivent le soutien du gouvernement, et le caractère légal de l'utilisation des données est appuyé par les déclarations gouvernementales. Dans d'autres cas, l'entreprise concernée affirme que les données sont, soit anonymisées dans le but de donner à voir une tendance générale, soit sans relation avec une identité individuelle. En matière de contrôle et de prévention face au virus, la collaboration entre secteur privé et secteur public est très forte. 

Se fermer au monde tout en l’approvisionnant

Alors que la Chine parvient de son côté à aplanir la courbe du coronavirus, une troisième phase commence. Le 17 mars, 41 équipes de secours médicales envoyées dans la province du Hubei s’en retirent, ce qui donne un signal ainsi de retour à la normale. S’ensuit le retrait des restrictions de déplacement dans le Hubei à partir du 25 mars, avec Wuhan comme seule exception ; le confinement de la ville a pris fin le 8 avril, même si des mesures de contrôle et des mesures préventives locales sont maintenues. Le 19 mars, la Chine ne recense aucun nouveau cas local d'infection - une première depuis le début de l'épidémie. La déclaration de "0 nouveau cas d'infection locale" s’est poursuivie pendant deux jours, jusqu’à l’apparition, le 22 mars, d'un nouveau cas. Le 28 mars, la Chine rapporte 45 nouveaux cas confirmés, dont, parmi eux, 44 cas importés. 

Mais la bataille contre le coronavirus continue. À Wuhan, le personnel médical (plus de 4 000 personnes) expédié par l'Armée populaire de Libération depuis le 24 janvier reçoit l'ordre de rester sur le terrain "jusqu'à la victoire complète de la bataille". Le 23 mars, Li Keqiang exhorte les représentants à ne pas dissimuler les nouveaux cas. Il invite chacun à ne pas baisser la garde, car le combat contre le coronavirus est une bataille à long terme. Lors d'une réunion trois jours plus tard, il souligne la nécessité de prêter attention aux porteurs asymptomatiques. Selon une équipe de chercheurs chinois relayés par Science, 86 % des cas dans le Hubei avant le 23 janvier n'ont pas été détectés, et seul le confinement total a réellement réduit le taux de contagion. Au total, au 9 avril, la Chine a déclaré près de 81 907 cas et 3 336 morts, parmi lesquels 3 210 à Wuhan et d'autres villes du Hubei. Ces deux chiffres sont sujets à débat et il y a des doutes sérieux sur la fiabilité des statistiques chinoises en termes de nombre de cas et de décès. 

Le 7 février, la Chine avait décidé d'arrêter d'inclure les porteurs sains dans la liste des cas confirmés. Des données classées confidentiel, dévoilées par le South China Morning Post, estiment qu'un tiers des cas de coronavirus pourraient être asymptomatiques. Ces "porteurs sains", aussi qualifiés de “porteurs silencieux”, sont susceptibles de transmettre le virus à d'autres individus et, avec la reprise du cours normal des choses en Chine, les mesures de prévention et de contrôle doivent alors être maintenues afin d'éviter une résurgence des cas. Pour répondre aux craintes croissantes de l’opinion publique face à la contagion causée par les cas asymptomatiques, la Chine décide, le 1er avril, de signaler tout cas asymptomatique identifié. 

La Chine a su mettre à profit sa qualité de membre de l'OMS et son influence pour tenter de reprendre le contrôle du discours mondial autour du Covid-19, et lance une diplomatie publique bilatérale majeure en direction des pays où l'épidémie sévit désormais – principalement, l'Europe et les Etats-Unis mais aussi l'Afrique.

Dans le même temps, des efforts sont menés pour éviter l'apparition de cas importés. Le 26 mars, la Chine compte 541 cas importés au total. À partir du 16 mars, tous les voyageurs venant de l'étranger et arrivant à Pékin doivent remplir une carte de déclaration de leur état de santé et sont ensuite examinés. La falsification d’une déclaration de santé peut aboutir à une sanction maximale de trois ans de prison ou en centre de détention. Après les contrôles aux douanes, les voyageurs entrants à risque sont hospitalisés, tandis que les autres sont transférés à un point d’observation pour 14 jours. Les voyageurs doivent payer leurs propres frais lors de l'isolement. L'Hôpital Xiaotangshan est réactivé pour les dépistages et le traitement des cas importés, qu’ils soient confirmés ou simplement suspects. Plus tard, est ajoutée l’obligation de faire passer à tous les passagers entrants des dépistages d'acide nucléique. Shanghai applique des mesures similaires. 

Petit à petit, l'obligation de quarantaine met Pékin sous pression, face à la nécessité de gérer un nombre croissant de voyageurs assignés dans des lieux de résidence désignés. Pour réduire cette pression, à partir du 23 mars, tous les vols internationaux arrivant à Pékin sont déviés vers 12 autres villes. Après l'atterrissage, le voyageur n’est autorisé à continuer son voyage vers la capitale chinoise que s’il en remplit les conditions. Le 26 mars, le ministère des Affaires étrangères chinois annonce une suspension temporaire des entrées pour les citoyens étrangers possédant un visa chinois ou un permis de résidence, suspension effective à partir du 28 mars. Le 29 mars, toutes les compagnies aériennes chinoises sont autorisées à ne conserver qu'une seule ligne aérienne vers chaque pays étranger, alors que les compagnies étrangères sont autorisées à n’en garder qu’une seule vers la Chine. Un maximum d’un vol par semaine et par ligne aérienne est établi. 

Compte tenu de l'augmentation massive de la capacité de production en matière d’équipements médicaux et de leur pénurie à l’échelle mondiale, la Chine reçoit désormais des commandes émises par les autres pays touchés par le virus. Les producteurs de masques ont, cependant, toujours des difficultés à satisfaire la demande nationale, car leur production ne couvrirait que 70 % à 80 % de celle-ci. Maintenant que l’activité économique et l'école reprennent, la demande va encore augmenter. Cette carence est admise par Li Xingqian, directeur du Département du Commerce extérieur du Ministère du Commerce. Avec l’accroissement des demandes et commandes venant de l'étranger, il est intéressant d'observer comment la Chine prévoit d’y répondre. D'un autre côté, l'exportation de vêtements de protection médicaux est encouragée étant donné que l'offre chinoise a dépassé la demande depuis la fin du mois de février. L'exportation est aussi facilitée par d'autres mesures : par exemple, l'Administration de l'aviation civile augmente sa capacité de fret et ouvre un “canal vert” pour l'autorisation des vols affrétés pour l'envoi d’équipements médicaux. La Chine utilise sa capacité - inégalée - à tourner sa production vers les équipements de protection médicaux et les autres fournitures médicales afin de les mettre à disposition des pays étrangers, servant ainsi son discours politique visant à montrer sa supériorité par rapport aux régimes démocratiques. La Chine signe actuellement des accords commerciaux bilatéraux avec des pays en pénurie d'équipements médicaux. Le 29 mars, une première livraison de 5,5 millions de masques en France est effectuée, et le même jour, les Etats-Unis reçoivent également le premier avion d’un pont aérien, avec 12 millions de gants, 130 000 masques N95, 1,7 million de masques chirurgicaux, 50 000 blouses, 130 000 désinfectants pour les mains, et 36 000 thermomètres. La Chine indique avoir a exporté 3,86 milliards de masques entre le 1er mars et le 6 avril. Néanmoins, la qualité et la fiabilité de ces équipements médicaux exportés sont mises en doute. Par exemple, l’Espagne et la Slovaquie ont qualifié les kits de dépistage reçus de Chine d’insatisfaisants. Pour répondre à ces critiques, le ministère chinois du Commerce, l’Administration générale des douanes et  l'Administration nationale des produits pharmaceutiques publient conjointement, le 31 mars, un Avis sur l'exportation de matériel médical (Notice on the Orderly Conducting of Medical Materials Export) qui, pour certains équipements médicaux énumérés, fait de l’obtention de la procédure de certification chinoise une condition préalable à l'exportation internationale - ce qui n’était avant pas requis, et qui conduisait certains exportateurs à jouer avec les différentes procédures de certification. 

La Chine a su mettre à profit sa qualité de membre de l'OMS et son influence pour tenter de reprendre le contrôle du discours mondial autour du Covid-19, et lance une diplomatie publique bilatérale majeure en direction des pays où l'épidémie sévit désormais – principalement, l'Europe et les Etats-Unis mais aussi l'Afrique. 

Conséquences économiques et politiques 

L'épidémie du coronavirus surgit dans un contexte où il y avait, en Chine, déjà beaucoup de dette publique et quasi-publique (environ 250 % du PIB), une croissance plus réduite, et un impact des nouveaux droits de douane américains sur les exportations vers ce pays. Le gouvernement était contraint par ces risques financiers ; il avait réduit les investissements dans les grands projets d’infrastructures et était passé, ces deux dernières années, à une attitude de stop and go alternant relance et coups de frein du crédit, en particulier dans le contexte de la bulle immobilière. 

L'impact de l'épidémie est sans précédent depuis les années 1960. Les chiffres officiels pour janvier-février reflètent un déclin brutal, par rapport à la même période l’an passé : - 13,5 % de glissement annuel pour la production industrielle, - 13 % pour les services, - 20,5 % pour les ventes de détail aux consommateurs, - 24,5 % pour les investissements fixes, - 9,6 % pour le commerce extérieur, - 9,9 % pour les revenus fiscaux (et - 21,4 % pour le mois février seulement). À la mi-mars, les prévisions externes sont de l'ordre de 2 à 4 % en termes d’impact sur le PIB pour l’année 2020. 

La reprise de la production a commencé tôt mais reste jusqu'à présent incomplète : reprendre la production ne signifie pas atteindre la capacité totale de production. Les aciéries et les industries similaires n'ont jamais cessé leur production, mais ont des stocks plus importants encore qu'à l'habitude. 97 % des entreprises d'Etat déclarent avoir repris la production. Les entreprises high-tech étrangères, moins dépendantes des PMEs et des travailleurs migrants, sont souvent en reprise forte à la fin du mois de mars. Ce n'est pas le cas des PMEs jusqu'à présent, avec une reprise officielle du travail de seulement 71,7 %. La consommation d'énergie, les statistiques de trafic routier (statistiques au 26 mars) indiquent une légère hausse, mais pas encore un retour à la normale. Par exemple, l'utilisation des voitures dans les grandes villes a augmenté, mais pas l'utilisation du métro ; le trafic inter-urbain est toujours faible le 26 mars (22 trains sur 51 de Pékin à Shanghai, une situation similaire sur les vols en dépit des très grosses réductions de prix). 

Une interrogation majeure concerne désormais un second choc économique, avec l'impact d'une récession venue de l'Union européenne, des Etats-Unis, et potentiellement du monde entier. Il ne peut y avoir, dans ces conditions, de reprise des exportations excepté dans des catégories très limitées (équipement médical) au second trimestre de l'année. Certains prévoient un déclin de 21 à 45 % des exportations chinoise au deuxième trimestre : - 21 %  serait l'équivalent de la crise financière de 2008.  Et l'impact sur le PIB de 2020 se situerait serait entre – 3,7 % et - 8,1 %, selon Gavekal Research. Les interdictions d'entrée, les quarantaines et le déclin général du trafic aérien ne vont pas favoriser un rebond des investissements étrangers et des activités au deuxième semestre. Pour 2020 dans l'ensemble, un déclin du PIB est entièrement possible, étant donné la chute des deux premiers trimestres.

Certains prévoient un déclin de 21 à 45 % des exportations chinoise au deuxième trimestre : - 21 %  serait l'équivalent de la crise financière de 2008.  Et l'impact sur le PIB de 2020 se situerait serait entre – 3,7 % et - 8,1 %

La réponse économique du gouvernement reste conservatoire. L'allocation centrale à la lutte contre le virus a atteint 116,9 milliards de yuans (16,7 milliards de dollars US) le 13 mars. Des réductions de contributions sociales sont mises en place, ainsi que des prêts à taux réduits : 500 milliards de yuans (71,4 milliards de dollars US) le 15 février avec un taux préférentiel de 2,5 % à 4,5 % (au lieu de 6,8 %), mesure suivie par un quota spécial de 350 milliards de yuans (50 milliards de dollars US) redistribué aux entreprises, et en particulier aux PME par le biais des policy banks chinoises. Cela doit cependant être mis en comparaison avec les 36 000 milliards de yuans précédemment prêtés au secteur des PME (soit 5 138 milliards de dollars US)... Des subventions aux exportations sont mises en place à la mi-mars. Les dépenses en infrastructure (qui ont chuté en janvier-février) sont censées augmenter, mais à partir d'une base très basse en 2019, et elles ne vont pas atteindre les niveaux de 2008. Il n’y a pas d’helicopter money (c’est-à-dire de versements généralisés aux individus ), et il n'y a pas non plus à ce jour réduction générale des taux de base de la Banque centrale. Cependant, celle-ci annonce le 30 mars une réduction des taux d'intérêt de 2,4 % à 2,2 % dans ses conventions de prêt avec le secteur bancaire.

L'aide internationale chinoise, très vantée, s'est jusqu'à présent surtout focalisée sur la livraison (et souvent la vente) d'équipements médicaux. Le discours de Xi Jiping du 26 mars au sommet du G20 appelle à la “coordination” et à la “réduction des droits de douane, l'élimination des barrières, et la facilitation de la libre circulation des biens”. En d'autres termes, c’est une invitation à mettre fin au conflit commercial à l’adresse des Etats-Unis. Mais du côté chinois, Xi Jinping annonce seulement une “politique fiscale proactive et une politique monétaire prudente”. 

 

Copyright : STR / AFP

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