À l'heure du coronavirus, le premier indicateur de la colère est le produit du sentiment d'inégalité devant le risque d'infection. La vulnérabilité des personnes les plus âgées est acceptée comme un fait, pour autant qu'elle n'apparaisse pas comme la traduction d'un darwinisme social où le "malheur aux vieux" remplacerait le Vae Victis (Malheur aux vaincus) des Romains. La colère explose par contre quand les plus exposés s'entendent dire, par des personnes qui le sont moins et occupent des positions de responsabilité, que la protection qu'ils exigent n'est pas nécessaire et peut même s'avérer plus dangereuse qu'utile. Le soupçon de mensonge, s'ajoute alors à celui d'incompétence. "La querelle des masques" en France est l'illustration la plus parfaite de ce phénomène. Comment des "cols blancs", souvent protégés par le télétravail, osent-ils dire à des "cols bleus" qui peuvent être des "blouses blanches" et qui sont en première ligne que leurs peurs sont exagérées ? Certes "des puissants et des nantis" sont morts du Covid-19, mais cela ne suffit pas à créer un sentiment de justice.
Sentiment d'inégalité de destins
Demander aux citoyens de "travailler plus" compte tenu des circonstances exceptionnelles que nous traversons, n'est pas en soi choquant. En 1998 alors que l'Asie faisait face à une grave crise économique et financière, la réponse d'un pays comme la Corée du Sud avait été de travailler beaucoup plus (précisément au moment où la France s'engageait dans la voie des 35 heures). Mais comment demander à certains des efforts supplémentaires alors que la confiance fait défaut et que n'existe pas un sentiment d'égalité devant les efforts à accomplir ? Comment en appeler à la responsabilité collective, si le sentiment d'inégalité de destins est trop fort et celui de solidarité trop faible ? Ceci est encore plus vrai, quand la colère des citoyens précède l'épidémie.
Le deuxième indicateur de la colère pourrait de fait se décliner autour du concept d'accumulation. Les colères, tout comme les peurs, s'additionnent les unes aux autres. La colère d'aujourd'hui devant la montée des souffrances rouvre les cicatrices des colères d'hier. Lorsque l'on est déjà partagé entre la peur et l'humiliation, il est si facile de basculer dans la colère.
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