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21/09/2018

Corée du Nord - Corée du Sud : un sommet pour la paix ? - Trois questions à Juliette Morillot

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Corée du Nord - Corée du Sud : un sommet pour la paix ? - Trois questions à Juliette Morillot
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Du 18 au 20 septembre, les deux dirigeants coréens, Kim Jong-un et Moon Jae-in, se sont retrouvés à Pyongyang pour leur troisième sommet en cinq mois, afin de relancer le processus de pacification initié depuis leur première rencontre historique d’avril dernier. A ce titre, le sujet de la dénucléarisation de la péninsule a occupé une place centrale lors de ce sommet. Pourtant, la Corée du Nord a poursuivi sa course à l’arme nucléaire selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, malgré ce qu’elle avait affirmé le 12 juin dernier lors de sa rencontre avec le Président américain. Juliette Morillot, spécialiste de la Corée du Nord et co-auteur avec Dorian Malovic de Le Monde selon Kim Jong-un, nous livre son analyse des enjeux de ce sommet.

A la suite de ce troisième sommet entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, un processus de paix durable s’est-il installé entre les deux pays ?

Le 17 septembre dernier, le Président sud-coréen Moon Jae-in annonçait sur Twitter : "Demain, je vais à Pyongyang". Qu’un Président sud-coréen puisse prononcer cette phrase si simple en apparence aurait été inimaginable il y a quelques mois encore. Cela montre à quel point les choses ont évolué entre les deux Corées. Ce troisième sommet qui s’est tenu entre Kim Jong-un et Moon Jae-in est caractérisé par une série de symboles importants, dont le fait que les deux dirigeants se soient tenus par la main en haut du mont Paektu, lieu à la signification mythique pour les deux pays. L’ouverture d’un bureau de liaison dans la ville nord-coréenne de Kaesong, qui agirait comme une sorte d'ambassade commune, constitue une étape importante vers la paix, de façon notamment à éviter tout conflit armé.

Tous ces gestes témoignent de la volonté des deux Corées de reprendre le destin de la péninsule en main, indépendamment des grandes puissances. Il s'agit de restaurer la confiance et de s’engager concrètement dans le but de nouer des liens extrêmement solides, même dans l'hypothèse où les relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord viendraient à se détériorer. L’un des objectifs de ce sommet est en effet d’engager Donald Trump et les Etats-Unis sur un chemin excluant tout retour en arrière. Il convient ici de différencier le Président Trump - qu'on le veuille ou non, il est le seul président américain a avoir réussi à apaiser la situation sur la péninsule - et l’administration américaine, qui regarde ces évolutions d’un oeil suspicieux.

Si une véritable déclaration officielle de paix est encore à venir, ces avancées donnent au sommet un air de déclaration officieuse de paix et les deux dirigeants parlent d’ailleurs d’une "paix commune pour le futur", véritablement ancrée dans la réalité, notamment économique.

L’annonce de la fermeture du principal site d’essai nucléaire nord-coréen, Yongbyon, et du site de missiles Tongchang-ri, constitue-t-elle un tournant dans le processus de dénucléarisation du pays ? 

Le Président Moon joue un rôle essentiel à cet effet. S’il n’a pas réussi à obtenir la liste des installations nucléaires et balistiques de la Corée du Nord, comme l'espérait Washington, les choses avancent par les symboles et sur le terrain par le biais du rapprochement avec la Corée du Sud. La volonté de dénucléarisation semble réelle même si elle dépend des gestes que feront à leur tour les Etats-Unis. Ces derniers constituent un acteur instable sur ce sujet. En effet, les ambitions exprimées par Mike Pompeo, secrétaire d’Etat, d’une dénucléarisation complète de la Corée du Nord d’ici 2021 sont tout à fait irréalistes. Il faudrait au moins entre 10 et 15 ans pour que cette dénucléarisation soit effective. Cela soulève la question : qui a le plus intérêt à cette dénucléarisation - ou tout du moins à son annonce formelle ? Dans la perspective des midterms, un tel succès constituerait assurément un avantage incomparable pour Donald Trump.  

En quoi le rapprochement des deux Corées redessine-t-il les équilibres géopolitiques en l’Asie de l’Est ? 

L'un des scénarios qui se dessine aujourd'hui est celui de deux blocs : l’un constitué de la Chine, la Russie et les deux Corées, l’autre regroupant les Etats-Unis et le Japon.

Il n’y a pas de retour en arrière possible, notamment dans le domaine des sanctions économiques. Le temps de la "maximalpressure" américaine semble révolue. Les choses avancent sur le terrain. 

Si les Chinois, pour des questions de défense, ne sont pas favorables à une péninsule coréenne réunifiée à leurs portes, ils sont prêts économiquement à tirer profit de cette situation et à avoir une réelle présence là-bas. Le plus pénalisé par un tel rapprochement est le Japon, allié des Etats-Unis, car cela augure la constitution d’un important bloc asiatique avec un fort sentiment anti-nippon. Le Japon a en effet un contentieux à régler avec les deux Corées, qui remonte à l’époque coloniale, mais qui porte également sur les îles Liancourt, sans oublier le problème des kidnappés par la Corée du Nord. 

Les dynamiques sont en train d’évoluer dans la région mais à terme, tous les positionnements se feront par rapport à la Chine, superpuissance régionale, qui embarrasse les Etats-Unis et peut aussi inquiéter ses voisins.

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