Alors que le débat est très vif en Inde, la presse chinoise, à l’exception du Global Times, est très discrète sur les évènements. À ce jour, malgré la certitude de pertes du côté de l’APL, la presse militaire officielle n’a publié qu’un communiqué succinct, par la voix du porte-parole du commandement du théâtre d’opérations de l’Ouest, Zhang Shuili. Il accuse l’armée indienne d’avoir franchi la LAC malgré les efforts de désengagement, fait état de morts et mentionne une "souveraineté historique" (主权历来属我) de la Chine sur la vallée du Galwan, dont l’essentiel du cours est situé dans l’Aksai Chin, occupé par la Chine depuis la guerre sino-indienne de 1962.
Quelle a été jusqu'ici la politique du gouvernement Modi, et quel est le meilleur et le pire scénario pour l'Inde après cette grave escalade ?
Christophe Jaffrelot
Modi a d’emblée essayé de résoudre les litiges territoriaux qui empoisonnent les relations entre l’Inde et la Chine depuis la guerre de 1962 (et même avant, comme en témoignent certains échanges entre Zhou Enlai et Nehru en 1959). Dès le sommet des BRICS de l’été 2014, alors qu’il n’est Premier ministre que depuis quelques semaines, Modi cherche à aborder la question avec Xi Jinping - qu’il invite quelques mois plus tard pour une première visite officielle. Il n’est pas payé de retour - l’armée chinoise faisant même irruption en territoire indien (d’après New Delhi) pendant cette visite ! En 2017, à Doklam (Bhoutan), l’armée indienne fera face à l’armée chinoise pendant 89 jours - la première accusant la seconde d’avoir pénétré sur le territoire du Bhoutan, un pays qu’un accord de défense lie à l’Inde. Mais Modi persévère et prend même l’initiative (à moins que ce ne soit une idée chinoise…) d’un tête-à-tête avec Xi Jinping. Ce premier "sommet informel" a lieu à Wuhan en 2018 et le second en octobre dernier près de Chennai. Chaque fois, les deux leaders se félicitent de la franchise de leurs échanges, qualifiés de constructifs…
En fait, il n’y a guère d’avancées. La suspicion continue de régner de part et d’autre. L’Inde soupçonne la Chine de vouloir l’encercler. Elle s’inquiète en particulier de l’essor de la Belt and Road Initiative, une initiative lancée par Xi Jinping en 2013 et à laquelle l’Inde est restée extérieure, au grand dam de la Chine, qui annonce des investissements massifs (50 à 60 milliards de dollars) au Pakistan, l’ennemi héréditaire de l’Inde où les Chinois installent un port en eau profonde, à Gwadar, depuis longtemps suspecté de pouvoir être transformé à l’avenir en base navale. Au-delà du Pakistan, la Chine prend pied dans le voisinage immédiat de l’Inde : le Sri Lanka est en passe de perdre une partie de sa souveraineté vis-à-vis des intérêts chinois, le Népal n’est pas loin de basculer aussi et certaines îles de l’océan Indien (les Maldives, les Seychelles) pourraient faire de même. Chaque fois, l’Inde peine à résister à la puissance de feu chinoise qui combine investissements (notamment dans les infrastructures) et aide financière (sous la forme de prêts qui rendent ces pays dépendants de la Chine).
La Chine, elle aussi, soupçonne l’Inde d’essayer de l’encercler en resserrant ses liens avec ses partenaires du QUAD (États-Unis, Japon, Australie), une coalition relancée en 2018. Pékin s’est en particulier inquiété de l’approfondissement des relations entre l’Inde et les États-Unis – le rival de la Chine, de manière explicite depuis l’élection de Donald Trump (d’autant plus que la composante militaire de ce partenariat s’est affirmée au cours des années récentes). Mais une autre décision indienne a aussi alerté Pékin : la transformation du statut du Jammu-et-Cachemire, un État de l’Union indienne qui, en août 2019, a été coupé en deux, le Ladakh devenant un Territoire de l’Union indienne directement administré par New Delhi.
Ajouter un commentaire