La nouvelle donne politique conduit à des prises de position à priori surprenantes. La culture "reflète la réalité nouvelle", observe la Nezavissimaïa gazeta, elle "met le cap sur l'isolement, l'enracinement et le conservatisme". Les récentes déclarations du directeur du musée de l'Ermitage, Mikhaïl Piotrovski, illustrent le virage pris par la Russie : "Nous avons reculé, et maintenant nous ne reculons plus. Un tournant est opéré, et il est clair qu'il est définitif. Tout a commencé en Crimée en 2014, la Crimée a créé une situation qui faisait qu'on ne pouvait agir autrement et qu'il fallait opérer un tournant". Certes, admet cet historien de l'art réputé, "la guerre c'est du sang et des meurtres", mais c'est aussi "l'affirmation des gens, l'affirmation de la nation [...] . Finalement, nous avons tous été éduqués dans la tradition impériale".
Le changement des règles du jeu
Les différents clans s'efforcent d'exploiter à leur profit la nouvelle situation. C'est d'abord le cas des structures de force (Siloviki) qui, comme l'explique le politologue Andreï Pertsev, entendent réécrire les règles de fonctionnement du système. L'un des changements c'est que le droit à l'impunité et à l'erreur reconnu aux soutiens du régime n'existe plus. Le cinquième département du FSB, alors en charge de l'Ukraine, a subi une purge en mars quand il est apparu qu'il avait livré de fausses informations sur les capacités d'action russe. Plusieurs hauts responsables policiers de Saint-Pétersbourg font l'objet d'enquêtes de la part du service de sécurité intérieure (FSB). Dans cette concurrence, le FSB se montre particulièrement actif. La répression, concentrée ces dernières années sur l'opposition libérale ("non systémique"), s'étend désormais à des membres de l'establishment, comme Vladimir Mau, économiste connu, proche du pouvoir. Le recteur de l'Académie présidentielle de l'économie nationale et de l'administration publique (RANEPA) - qui sert de vivier au recrutement des gouverneurs de région - est mis en cause pour détournement de fonds.
Le physicien Dmitri Kolker, directeur d'un laboratoire à Akademgorodok, a été accusé de "trahison", atteint d'un cancer, il est décédé en prison deux jours après son incarcération. Anatoli Maslov, autre scientifique réputé de Novosibirsk, a été arrêté fin juin, soupçonné également de collaboration avec Pékin. Au titre du nouvel article 207.3 du code pénal, qui punit "la diffusion de fausses informations sur les forces armées russes", Alexeï Gorinov, élu municipal de Moscou, s'est vu infliger le 8 juillet sept ans de prison. Vadim Cheldiyev, chanteur d'opéra originaire du nord du Caucase, vient d'être condamné à dix ans de prison pour avoir appelé à manifester en 2020 contre les mesures anti-Covid. L'intense activité législative de ces derniers mois a encore durci un arsenal répressif constamment renforcé depuis une décennie et criminalisé les contacts avec l’étranger. Ainsi, la qualification d'"agent de l'étranger" vient, une fois encore, de voir sa définition élargie, elle s'applique désormais à tout citoyen russe considéré comme "sous influence étrangère".
La souveraineté technologique - objectif affiché de la politique économique
Jusqu'au 24 février dernier, le respect des règles du système poutinien garantissait aux élites économiques russes la jouissance de leur fortune. Elles avaient pour habitude de transférer l'argent gagné en Russie en Occident, où elles bénéficiaient d'une plus grande sécurité juridique, elles pouvaient y ouvrir des comptes bancaires, investir, acheter des propriétés et y installer leur famille, leurs enfants étudiaient dans les universités européennes. Les différents paquets de sanctions décidés par les Occidentaux - gel des avoirs et interdiction de visa - ont mis fin à ce schéma, sans que les oligarques, démunis aussi bien à l'égard des gouvernements occidentaux que du Kremlin, soient aujourd'hui en mesure d'opposer une résistance à l'invasion de l'Ukraine et, plus généralement, de présenter un front uni face à V. Poutine.
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