Par ailleurs, l’origine de l’énergie est un facteur essentiel et pas toujours bien appréhendé. Ainsi, l’intensité en CO2 de l’électricité chinoise est de l’ordre de neuf à onze fois supérieure à la nôtre et celle des USA (417 gr/Kwh) sept fois supérieure à celle de la France. Si un équipement est fabriqué en Chine, son intensité carbone sera donc en grande partie liée à cette intensité propre à l’électricité chinoise. Cette empreinte serait très sensiblement inférieure si ce même équipement était fabriqué en France (ce qui n’est que rarement le cas). À une échelle différente, l’empreinte d’un utilisateur Netflix variera suivant qu’il regarde son film depuis un flux provenant d’un hébergement français ou norvégien (ce dernier à 50 gr/KWh, contre 65 gr/KWh en France) qu’à partir d’un flux américain (À noter que ce type d’entreprise exploite des technologies de cache (CDN) qui stockent les contenus les plus demandés au plus près de l’utilisateur. Ainsi, en France, Netflix dispose directement ou indirectement de plusieurs datacenters pour couvrir la demande des utilisateurs français, limitant la distance parcourue par les flux à quelques centaines de km). Il n’en reste pas moins que, le monde étant ce qu’il est aujourd’hui, au moins 70 % des équipements technologiques sont fabriqués en Chine, tandis que l’on estime qu’un peu plus de 50 % des centres de données se trouvent aux USA. Ces notions sont probablement amenées à évoluer, notamment du fait de la prise en compte progressive des enjeux environnementaux.
Enfin, notons que les stratégies d’amortissements des équipements ont une grande incidence sur la consommation énergétique de l’industrie numérique. Une société de leasing cherchera à renchérir légèrement son offre et, en contrepartie, à proposer un renouvellement accéléré des équipements qu’elle fournit. De même, un opérateur télécom peut décider de cesser de subventionner des terminaux et optimiser le remplacement de ses équipements en prenant en compte les externalités carbone, ce que peu font à ce jour. Dans la mesure où l’empreinte carbone liée à la fabrication représente entre 75 % à 95 % (ce dernier chiffre étant relatif à certains équipements passifs, dont les équipements optiques par exemple) de l’empreinte totale (incluant la fabrication et l’usage), on voit combien on gagnerait à considérer de telles approches.
Ces points mettent en exergue la complexité intrinsèque de ces enjeux dans le secteur numérique. Ils recouvrent des dimensions technologiques, scientifiques et économiques particulièrement sophistiquées, qui sont souvent sources d’erreurs méthodologiques. Si la complexité du sujet est importante, il n’est toutefois pas inaccessible. Pour donner crédit aux récentes études, dont certaines annoncent des chiffres inquiétants à l’égard des externalités numériques, il est indispensable de faciliter l’émergence d’une activité qui ne se développe pas au détriment de la planète. Pour cela, mieux comprendre la transformation des modèles productifs est essentiel.
D’une façon générale, le très fort développement individuel des technologies numériques (nous sommes de plus en plus nombreux à être connectés et de plus en plus multi-connectés) a pour conséquence structurelle une croissance de l’empreinte environnementale directe du numérique (achat de terminaux, développement d’infrastructures numériques, et dans une moindre mesure, usage). Néanmoins, l’enjeu principal, qui a été fondamentalement éludé par les travaux récents, concerne les externalités positives du numérique ; un point qui fait d’ailleurs l’objet d’une faiblesse de méthode car, sans doute pour rendre leurs travaux plus spectaculaires, nombres des auteurs de ces travaux n’ont pas hésité à mettre en avant les usages les plus désastreux du numérique. L’exemple du streaming, cité plus haut, est frappant. Les auteurs du premier rapport du Shift Project affirmaient que celui-ci représentait 1 % des émissions totales de CO2 ; un chiffre que l’association admettra comme faux par la suite, des travaux plus récents évoquant une empreinte de 22 à 57 inférieure.
Les externalités positives sont, elles, nombreuses et souvent méconnues. Ainsi du taux de remplissage des camions au sein de l’Union européenne, qui aurait cru de 14 % en l’espace d’une quinzaine d’années du fait du développement de systèmes d’information intégrés dans les chaînes logistiques d’après la Commission européenne. Si nombre de nations voient une baisse sensible de la consommation par kilomètre parcouru sur leurs routes, l’importance des GPS connectés, qui permettent d’éviter les bouchons, y est probablement pour beaucoup. Dans la même logique, si le gouvernement a prévu un dispositif pour financer les chauffages connectés (qui se mettent en veille lorsque personne n’est présent), c’est parce que leur efficacité rapportée à leur coût est inégalable, et ainsi de suite. On peut citer également le cas du télétravail dans le cadre de la crise sanitaire, qui a réduit considérablement l’utilisation de moyens de transport très consommateurs d’énergie.
Ajouter un commentaire