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31/03/2021

Cinq leçons à tirer des élections néerlandaises

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Cinq leçons à tirer des élections néerlandaises
 Rem Korteweg
Auteur
Senior Research Fellow au Clingendael Institute

C'est une nette victoire que remporte le Premier ministre libéral Mark Rutte, au pouvoir depuis 10 ans, lors des élections législatives du mercredi 17 mars. Désormais commencent les discussions pour former une nouvelle coalition gouvernementale. Depuis La Haye, Dr Rem Korteweg, Senior Fellow et responsable des initiatives stratégiques et de la sensibilisation à l'Institut Clingendael, explique les cinq enjeux de cette élection pour les Pays-Bas et la place du pays au sein de l'Union européenne (UE).

1. Les Néerlandais choisissent la stabilité

Commençons par l'évidence. Le VVD, le parti du Premier ministre Mark Rutte, est le grand vainqueur de cette élection avec 21,9 % des voix et 34 sièges sur 150. Cela devrait lui permettre de diriger sa quatrième coalition gouvernementale, ce qui fait de lui le dirigeant resté le plus longtemps à la tête du gouvernement néerlandais

Après le départ de la chancelière allemande Angela Merkel, Rutte sera également le chef de gouvernement ayant la plus longue durée de service hormis Viktor Orbán, au sein du Conseil européen. C'est ainsi un visage familier qui reste aux sommets du Conseil de l'UE.

Quatre partis sont nécessaires pour former une coalition gouvernementale. Celle-ci comprendra sans doute le VVD, les libéraux-démocrates du D66 et probablement les chrétiens-démocrates, comme dans la coalition précédente. Mais qui sera le dernier partenaire de cette coalition ? 17 partis ont été élus au Parlement et chacun d'entre eux s'efforce actuellement de renforcer son poids dans les négociations. Le VVD flirte avec la droite, et le D66 avec la gauche. Les négociations ne se termineront pas de sitôt. 

2. La gauche perdante 

Le parti travailliste néerlandais PvdA n'a pas été en mesure de se remettre de son échec électoral de 2017. Les Verts ont perdu près de la moitié de leurs sièges. 

Le parti travailliste néerlandais PvdA n'a pas été en mesure de se remettre de son échec électoral de 2017. Les Verts ont perdu près de la moitié de leurs sièges.

En 2010, les partis de gauche disposaient de 55 sièges : il ne leur manquait plus que 21 sièges afin d’atteindre la majorité nécessaire pour former une coalition gouvernementale. Aujourd'hui, ils ne comptent plus que 25 sièges réunis. Pendant la campagne, les trois partis de gauche ont exclu de former un gouvernement s’ils n’en faisaient pas tous partie. Les sondages ont montré que leur victoire était peu probable, ce qui pourrait avoir incité certains électeurs de gauche à voter pour le parti progressiste, pro-européen et centriste de D66 afin que leur vote serve à former une coalition gouvernementale.

3. Il y aura des débats difficiles sur l'UE au Parlement 

Le succès électoral de D66 est un coup de pouce à la politique pro-européenne à La Haye. Un D66 renforcé devrait donner un tempo davantage pro-européen au gouvernement néerlandais. Ils seront encouragés par Volt, un parti paneuropéen promouvant un programme euro-fédéraliste, qui fait son entrée au parlement et qui en devient ainsi un acteur majeur.

Jamais auparavant la droite eurosceptique n'avait été aussi forte. Faisant campagne sur un programme anti-Covid-19 et anti-confinement, le parti Forum for Democracy - qui promeut également le Nexit, la sortie des Pays-Bays de l’UE - a quadruplé son nombre de sièges. Une émanation du Forum pour la démocratie, JA21, entre au parlement pour la première fois avec 3 sièges. Ensemble, ils font plus que compenser les pertes de Geert Wilders, bien que le PVV, son parti de droite nationaliste, demeure le troisième parti le plus représenté au parlement. Le bloc eurosceptique remporte 18,5 % des voix et 28 sièges.

Le renforcement du clivage pro-UE et anti-UE laisse présager des débats houleux sur les politiques européennes du gouvernement et une polarisation croissante de la relation des Pays-Bas avec l'Union européenne

4. Au sein du Conseil de l’UE, le ton changera mais pas les positions

Le nouvel équilibre sur les questions européennes reste incertain. Malgré leur appartenance à la même famille politique pro-européenne, le VVD et D66 ont des opinions très divergentes sur beaucoup de questions européennes, notamment la migration, la politique d'asile, l’euro et le renforcement des compétences de l'UE. Même si D66 obtient les clés du ministère des Finances, ce poste revenant traditionnellement au deuxième plus grand partenaire de la coalition gouvernementale, il s'en tiendra à la ligne néerlandaise sur NextGenEU - le plan de relance de l'UE adopté suite au Covid-19 - et sur la mutualisation de la dette. Les Néerlandais resteront frugaux, mais peut-être avec un visage plus sympathique. 

Le nouvel équilibre sur les questions européennes reste incertain, le VVD et D66 ont des opinions très divergentes sur beaucoup de questions européennes.

Tout au long de sa décennie au pouvoir, Rutte s'est révélé être un gestionnaire politique avisé et pragmatique, mais pas un homme de grandes idées. Alors que s’ouvre pour la France et l'Allemagne une période d'incertitude politique quant à leurs dirigeants, Rutte, compte tenu de son ancienneté au sein du conseil de l’UE, pourrait se retrouver au premier plan dans les affaires européennes, en particulier sur la relance économique post-Covid-19. Mais il pourrait tout autant retomber dans ses travers en poursuivant principalement un programme étroit fondé sur les intérêts nationaux néerlandais.

D66 voudra sans doute nommer le prochain ministre des affaires européennes au sein du nouveau gouvernement. Mais qui serait le Clément Beaune néerlandais ? Selon toute vraisemblance, il s'agirait d'un proche du Premier ministre Rutte, étant donné l’importance du conseil de l’UE dans le processus de décision de l’UE. Et parce que tant de questions européennes sont maintenant des Chefsache, décidées au niveau des chefs d’États, Rutte restera le visage des Pays-Bas à Bruxelles.

5. Sur certains sujets, les Pays-Bas sont plus français qu'on ne le pense 

Sur les questions monétaires et financières, les Néerlandais continueront à prôner la discipline financière, ce qui pourrait conduire à des situations conflictuelles avec Paris, Madrid et Rome. La France et les Pays-Bas s’entendront davantage sur d’autres sujets. Les deux pays ont publié une note en 2019 sur le commerce et la durabilité. Ils ont également pris une position commune sur la réduction de la domination des plateformes de la Big Tech. Ceci indique un alignement franco-néerlandais plus étroit dans le domaine économique

Tous les partis susceptibles de participer à la prochaine coalition gouvernementale néerlandaise sont favorables à des politiques européennes plus robustes de promotion de la résilience économique. Le parti économiquement libéral VVD souhaite désormais "protéger le marché unique" en insistant sur les dispositions relatives aux conditions de concurrence équitables dans les accords commerciaux, en relocalisant les chaînes d'approvisionnement essentielles et en bloquant les investissements étrangers si nécessaire. Avec l’Espagne, les Pays-Bas publient une note sur l'autonomie stratégique indiquant qu’ils souhaitent améliorer le filtrage des investissements à l’échelle de l’UE, réduire les dépendances de l'UE en diversifiant les chaînes d'approvisionnement ou encore remédier aux déséquilibres des aides d'État. Ce soutien pour une plus grande intervention de l'État est un phénomène récent.

Traditionnellement, les Néerlandais partisans du libre-échange sont considérés comme les plus ardents défenseurs des politiques économiques libérales de l'UE. Mais aujourd'hui, sur ces questions, les Pays-Bas apprennent résolument à parler français.
 

Copyright : SEM VAN DER WAL / ANP / AFP 

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