Matthew Pottinger est Distinguished Visiting Fellow de l'Institut Montaigne de juin à juillet 2022. Il a travaillé à la Maison Blanche pendant quatre ans au sein du Conseil de sécurité nationale, notamment en tant que conseiller adjoint à la sécurité nationale. Il a auparavant été journaliste pour Reuters et le Wall Street Journal, avant de s’engager dans les Marines en Irak et en Afghanistan et de fonder un cabinet de conseil en risques.
Dans cette contribution pour l'Institut Montaigne, qui marque le début de son Fellowship, Matthew Pottinger offre un décryptage de la politique américaine à l’égard de la Chine, aujourd’hui structurée par l’ambition d’endiguer les actions agressives de Pékin.
Le discours tant attendu du secrétaire d'État américain Antony Blinken sur la Chine, prononcé le mois dernier, a confirmé une tendance majeure : l’importance accordée à la rivalité avec Pékin, chez les Démocrates comme chez les Républicains, n'est pas une fixette passagère mais bien un nouveau socle stratégique qui guidera la politique américaine pour les années à venir.
Dans son discours du 26 mai, Antony Blinken s’est exprimé sans ambiguïté quant au principal défi de sécurité nationale auquel les États-Unis doivent aujourd’hui faire face :
"Alors même que la guerre du président Poutine se poursuit, notre attention continuera de se concentrer sur le défi de long terme le plus préoccupant pour l’ordre international - celui que pose la République populaire de Chine… La Chine est le seul pays qui a à la fois l'intention de remodeler l'ordre international et de plus en plus les moyens économiques, diplomatiques, militaires et technologiques d’y parvenir".
Antony Blinken a souligné que Washington avait renoncé à l’idée de changer la Chine, jetant ainsi par-dessus bord un objectif qui avait été central dans les politiques menées par les administrations Clinton, Bush et Obama : libéraliser la Chine par le biais du commerce et d'une approche globale. Pour reprendre les mots d’Antony Blinken : "Nous ne cherchons pas à transformer le système politique chinois. Notre tâche consiste à prouver une fois de plus que la démocratie peut relever les défis urgents auxquels nous faisons face, créer de nouvelles opportunités, faire respecter les principes de dignité humaine ; prouver que l’avenir appartient à ceux qui croient en la liberté ; et prouver que tous les pays seront libres de tracer leur propre chemin sans contrainte."
Cette dose de "réalisme" - terme utilisé par le secrétaire d’État lui-même - est conforme à d'autres communications officielles de l'administration Biden, à l’image des Orientations stratégiques provisoires en matière de sécurité nationale (Interim National Security Strategic Guidance) de mars 2021 et de la stratégie indo-pacifique dévoilée par les États-Unis en février 2022. Le langage d’Antony Blinken fait également écho à des documents de l'ère Trump, comme l'Indo-Pacific Strategic Framework de 2018 ou l'Approche stratégique des États-Unis à l'égard de la Chine adoptée par la Maison-Blanche en 2020.
Le fait que deux administrations américaines consécutives, l'une républicaine et l'autre démocrate, aient opté pour des politiques similaires à l'égard de la Chine est le signe d'un changement de paradigme amené à durer.
La guerre froide ne vous intéresse peut-être pas...
"Nous ne sommes pas à la recherche d'un conflit ou d'une nouvelle guerre froide", affirme Antony Blinken dans son discours, ajoutant "au contraire, nous sommes déterminés à éviter les deux".
L'administration Biden a des raisons légitimes, aussi bien nationales qu’internationales, d'insister sur le fait que l'Occident n'est pas en "guerre froide" avec la Chine. Washington ne veut pas s’aliéner ses partenaires en les forçant à choisir un camp. L'économie de la Chine d'aujourd'hui, contrairement à celle de l'Union soviétique au siècle dernier, est profondément intégrée dans l’économie mondiale. Davantage de pays considèrent la Chine comme leur principal partenaire commercial qu’ils ne le font avec les États-Unis. À l’échelle nationale, l'aile gauche du Parti démocrate, dont la voix se fait beaucoup entendre, est absorbée par son programme social fédéral et montre moins d'intérêt pour une lutte idéologique avec Pékin que les Démocrates centristes ou la plupart des Républicains.
Si l’on écoute avec attention les thèmes abordés par Joe Biden et Antony Blinken, on note toutefois davantage de similitudes avec Harry Truman et Dean Acheson à l'aube de la première Guerre froide, qu'avec leurs prédécesseurs plus récents du parti démocrate, Barack Obama et John Kerry.
Joe Biden a systématiquement présenté cette compétition stratégique comme une opposition entre autoritarisme et démocratie. Par exemple, dans l'introduction de son premier document d'orientation stratégique en mars 2021, il déclare par exemple que :
"Nous sommes je le crois au cœur d'un débat historique et fondamental qui concerne l’orientation future de notre monde. Il y a ceux qui soutiennent que, compte tenu de tous les défis auxquels nous devons faire face, l'autocratie est la meilleure voie.... Nous devons prouver que notre modèle n'est pas une relique de l’histoire, mais bien la meilleure façon de réaliser la promesse de notre avenir."
Le secrétaire d’État a repris ce thème dans son allocutionet a précisé d'autres éléments séparant les démocraties établies de Pékin, comme les droits de l’Homme -mentionnés sept fois dans son discours. Il a cité le "génocide et les crimes contre l'humanité" perpétrés par Pékin à l'encontre des Ouïghours et d'autres minorités comme un élément disqualifiant la prétention dont s’habille régulièrement Pékin pour affirmer que la Chine est une grande puissance responsable.
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