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19/12/2017

Chine : la stratégie de 2021

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Chine : la stratégie de 2021

L’année 2017 restera marquée, en Chine, par la tenue en octobre du 19ème congrès du parti communiste, moment-clé dans l’histoire du régime, qui a mis en scène la "grande renaissance de la nation chinoise". Il correspond sans aucun doute à l’apogée du secrétaire général Xi Jinping, au pouvoir depuis cinq ans et dont personne n’aurait pu prédire, en 2012, quelle forme de dirigeant il deviendrait. Nous avons désormais la réponse. Le "quinquennat" de Xi n’a en aucun cas été celui de la libéralisation politique, ni même économique. Il a été celui de la consolidation du pouvoir du parti autour de valeurs nationalistes et patriotiques ; du renforcement de son dirigeant suprême qualifié de "central" (coreleader) ; de la répression des opposants ; et de l’utilisation de l’international à des fins domestiques. Car en Chine, même l’international répond à une logique de parti.

Ceux qui observent la Chine depuis trois décennies n’envisageaient pas une telle affirmation de la puissance chinoise quelques années après l’entrée dans le 21ème siècle. Cet empressement n’est pas sans surprendre.

"La Chine de Xi ne cache plus sa volonté d’assumer le leadership dans tous les secteurs, qu’il s’agisse du commerce, de la technologie, de la science, de la défense et même du modèle de gouvernance dont se targue Pékin."

Nous avons longtemps entendu de la part des dirigeants chinois – du "père de l’ouverture" Deng Xiaoping à Hu Jintao, en passant par Jiang Zemin- que l’ex-empire du Milieu n’aspirait qu’à une relation pacifique et constructive avec le reste du monde, y compris ses voisins. Le "monde harmonieux" évoqué par Hu Jintao, prédécesseur de Xi, était celui d’une société mondiale post-guerre froide, apaisée, et dont la Chine aurait été l’un des acteurs pacifiques, peut-être même un "partenaire responsable" comme l’appelait de ses vœux en 2005 Robert Zoellick, à l’époque secrétaire d’Etat adjoint américain. Cette aspiration s’est mutée en une ambition ouverte, celle du "rêve chinois" visant à rendre à l’ex-empire du Milieu la grandeur qu’il n’aurait jamais dû perdre du point de vue de la majorité de sa population, et surtout de ses dirigeants. Le Parti communiste, dont les structures sont parfaitement imbriquées avec celles de l’Etat et de l’économie, s’est donné pour mission de redorer le blason national. Sans doute y va-t-il de sa survie, et de la poursuite d’une croissance économique indispensable au maintien de la stabilité sociale en Chine. La dette chinoise et la surcapacité industrielle, résultats des interventions répétées d’un Etat qui soutient son secteur d’Etat, parfois à bouts de bras, ne sont pas étrangères à cette marche forcée.

Plébiscité le 18 octobre, le secrétaire général a donc déclaré dans son discours que "la Chine doit prendre une place centrale sur la scène internationale et offrir une plus grande contribution à l’humanité". La pensée Xi Jinping est désormais inscrite dans la constitution, de même que le "socialisme aux caractéristiques chinoises", à savoir l’introduction de l’économie de marché par Deng dans les années 1980 (même si les entreprises d’Etat gardent un rôle-clé dans l’industrie, les infrastructures et la finance par exemple).

La Chine de Xi ne cache plus sa volonté d’assumer le leadership dans tous les secteurs, qu’il s’agisse du commerce, de la technologie, de la science, de la défense et même du modèle de gouvernance dont se targue Pékin. Ce "consensus", mélange d’autoritarisme politique et de capitalisme, peut laisser songeur les historiens, mais il inspire nombre de dirigeants à l’étranger: du Caire à Phnom Penh, en passant par Belgrade, Ankara ou Islamabad, la tentation est grande d’entériner un tel système en dépit des particularismes de la Chine. En effet, quel pays peut sérieusement se comparer avec un tel mastodonte, tant sur le plan géographique, démographique et désormais économique ? Mais il est vrai que la faiblesse du modèle anglo-saxon en particulier (victoire du Brexit au référendum de 2016, puis élection de Donald Trump, résultats électoraux en demi-teinte de Theresa May et Angela Merkel) a offert une opportunité unique à Xi Jinping, l’année du congrès de son parti.

"Les initiatives chinoises sur la scène mondiale se déploient donc tous azimuts".

Son discours à Davos, en janvier 2017, était ainsi une ode au multilatéralisme, à la mondialisation et au commerce. Celui d’octobre était encore plus explicite : la Chine entend "occuper un rôle central dans le monde" mais "personne ne doit s’attendre à ce qu’elle accepte qu’on porte atteinte à ses intérêts". Une telle ambition n’a rien de surprenant, mais l’affirmer explicitement l’est davantage. Ce n’était pas dans la façon chinoise jusqu’ici, mais on décèle déjà une approche du monde plus sophistiquée, en phase avec les aspirations d’une génération post-Deng Xiaoping résolument tournée vers l’avenir. Les succès économiques indéniables des dernières décennies ne suffisent plus à cette génération, souvent formée dans les meilleures universités américaines et en tout cas parfaitement informée sur l’état du monde.

Les initiatives chinoises sur la scène mondiale se déploient donc tous azimuts : des Nations Unies, dont la Chine est devenue le deuxième contributeur budgétaire, à la Banque mondiale où elle occupe des postes-clés, ainsi qu’à Interpol, à l’ONUDI ou à l’Union internationale des télécommunications, organisations qu’elle préside, sans oublier la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures, qu’elle domine. Sur le plan militaire, Pékin est le premier pourvoyeur de casques bleus à l’ONU, et la Chine vient d’inaugurer une impressionnante base navale à Djibouti – la première hors de ses frontières. Aux Etats-Unis de Donald Trump, elle laisse entendre qu’un "G2" pourrait gérer le monde. A la Russie de Vladimir Poutine, elle fait les yeux doux et finance des projets énergétiques. A l’Union européenne, elle parle de "connectivité" tout en demandant le statut d’économie de marché et la mise en place d’un traité de libre-échange pour lequel les négociations piétinent – faute d’accord européen.

"Si les investissements chinois ont un peu marqué le pas en 2017, ils devraient reprendre de plus belle en 2018 car ils correspondent à une ambition non dissimulée de leadership technologique chinois".

Last but not least, il y a l’initiative Belt and Road (BRI), lancée en 2013 par Xi Jinping, et dont les objectifs demeurent volontairement vagues, voire obscurs. Vaste réseau d’infrastructures ferroviaires, portuaires, routières et énergétiques censé relier la Chine au reste du continent eurasiatique, la BRI regroupe désormais des projets encore plus vastes y compris dans la finance, les télécommunications, et bien sûr le développement des échanges commerciaux. Malgré les 65 pays affiliés (au total "un PNB consolidé de 21 trillions de dollars" explique-t-on à Pékin), la BRI ne reçoit que 100 milliards de dollars d’investissements chinois, au lieu des 3000 ou 4000 milliards nécessaires. Du Tadjekistan au Sri Lanka, les projets sont variés mais pas forcément cohérents entre eux. En outre, les aspects sécuritaires sont souvent passés sous silence. Directement piloté par Pékin, le Silk Road Fund (40 milliards de dollars) soutient des projets souvent opaques. Si le storytelling bat son plein autour de ce projet, on observe cependant que les investissements chinois se déploient surtout à travers des acquisitions de marques et technologies, principalement dans les plus grandes économies européennes (Allemagne, France, Royaume-Uni), en Australie, au Canada et aux Etats-Unis. Si les investissements chinois ont un peu marqué le pas en 2017, ils devraient reprendre de plus belle en 2018 car ils correspondent à une ambition non dissimulée de leadership technologique chinois (made in China 2025). Les acquisitions chinoises à l’étranger, ainsi que les fusions-acquisitions, participent grandement de cette stratégie.

https://ssl.gstatic.com/ui/v1/icons/mail/images/cleardot.gifParmi les rendez-vous prioritaires de Pékin dans les années à venir, il y a bien sûr 2022 – année du 20ème congrès du Parti. D’ici là, la pensée Xi Jinping et la BRI ont de beaux jours devant eux. Mais une année sera encore plus importante pour le régime : 2021, centième anniversaire de la création du parti communiste chinois. Nul doute que les instances du PCC nouvellement intronisées ne perdront pas de vue ce moment-clé qui pourrait bien définir l’avenir du parti unique, et de ses ambitions nationales – et internationales.

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