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03/06/2020

China Trends #5 - UE-Chine, plus de soleil que de nuages

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China Trends #5 - UE-Chine, plus de soleil que de nuages
 Viviana Zhu
Auteur
Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne

"Pour la bonne marche du progrès humain, la Chine et l'Union européenne doivent rester des partenaires stratégiques globaux, et éviter de devenir des rivaux systémiques. Notre interaction doit résider dans un cycle positif permettant notre succès mutuel, et non une lutte acharnée dont un seul pourrait émerger vainqueur", déclarait lors d’une conférence de presse Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, le 24 mai 2020.1 Cet appel à revenir à la notion de partenariat stratégique n'est pas nouveau : Wang Yi avait déjà insisté sur cet élément en décembre 2019, lors de sa rencontre avec Josep Borrell, Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.2 2020 marque le 45ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et l’Europe et correspond également à la première année d’une nouvelle équipe arrivée à la tête des institutions européennes. À Pékin, l’année est vue comme décisive pour la relation avec l’Union européenne (UE). Le communiqué de presse publié par le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) après cette rencontre a qualifié 2020 "d’étape importante dans les relations entre la Chine et l'Union européenne". Néanmoins, cette formulation est immédiatement suivie du rappel de l’existence de "sujets sur lesquels nous ne sommes pas toujours d’accord"3, dépeignant ainsi une vision plus pessimiste de l'état de la coopération. 

Trois sommets majeurs étaient cette année à l’agenda : le sommet Chine-pays d'Europe centrale et orientale (format "17+1"), le 22ème sommet UE-Chine, ainsi qu’une réunion spéciale des dirigeants UE-Chine (special EU-China Leaders Meeting). L'épidémie de Covid-19 a bouleversé ce calendrier. Face à l’épreuve de la crise sanitaire et à un moment critique, comment les relations UE-Chine vont-elles évoluer ?

Une amélioration constante, quelques conflits inévitables

Il y a très certainement un "avant" et un "après crise du coronavirus" dans la perception des relations sino-européennes par la Chine. Les perspectives optimistes présentées par Wang Yi fin 2019 reposaient sur une analyse des relations telles qu’elles étaient à l'époque : le 21ème sommet UE-Chine avait débouché sur une déclaration commune ; le format 16+1 avait été élargi pour accueillir la Grèce ; l'UE et la Chine avaient signé deux accords sur l’aviation civile et un accord sur les indications géographiques protégées (IGP). 

Il y a très certainement un "avant" et un "après crise du coronavirus" dans la perception des relations sino-européennes par la Chine.

L’édition 2019 du Livre bleu annuel de l'Académie chinoise des sciences sociales estime que les relations UE-Chine suivent une courbe d’amélioration constante (稳中向好).4 Le rapport fait valoir que la coopération UE-Chine s’appuie sur un socle solide et que les mécanismes sur lesquels elle repose ont une maturité croissante. Il décrit la politique chinoise à l’égard de l’Europe comme étant très cohérente et porteuse de stabilité pour la relation

Geng Shuang, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, souligne trois points clés constants (三个 "始终如一") : l'attitude de la Chine envers l'UE et son soutien à l'intégration européenne ; sa détermination à promouvoir une coopération pragmatique entre l'UE et la Chine ; et son engagement à défendre le multilatéralisme aux côtés de l’Europe.5

Les experts chinois reconnaissent toutefois d’autres évolutions dans cette relation. La communication publiée par la Commission européenne et le SEAE en mars 2019 a à l’évidence agi comme un signal d’alerte à Pékin. Le document pose que l'équilibre entre les défis et les opportunités présentés par la Chine a évolué. La Chine y est décrite comme un partenaire de coopération, mais aussi un "concurrent économique et un rival systémique". Wang Yiming, chercheur à l'université Renmin de Chine, attribue cette évolution à deux facteurs.6 Selon lui, la mondialisation fonctionne bien sous l’effet d’un triangle stable entre les États-Unis, l’Europe et la Chine, ces trois principales puissances remplissant leur rôle respectif : les États-Unis en tant que puissance innovatrice, l'Europe en tant que régulatrice, et la Chine en tant qu’exécutrice. Or la confrontation sino-américaine transforme ce triangle et contraint l'Europe à ajuster sa perception de la Chine. Cette évolution n’est pas dans l’intérêt de la Chine. Wang Yiming l’explique par la recherche par l’UE de la construction d’une Europe plus affirmée. Il estime par ailleurs que l’intégration européenne ralentit, par opposition à une intégration régionale asiatique qui s'accélèrerait, avec un impact direct sur le niveau d'intégration de leurs chaînes de valeur respectives. Cette divergence creuserait le fossé qui les sépare, désavantagerait l'Europe et expliquerait les critiques de plus en plus intenses formulées par l’UE à l’égard de la Chine. 

Zhang Ming, ambassadeur de la Chine auprès de l'UE, estime que ces frictions sont normales compte tenu de leurs différences, du point de vue de leur histoire et de leur niveau de développement. Il ajoute que les prochaines réunions au sommet fourniront davantage d’incitations à la coopération et traceront une trajectoire pour les cinq prochaines années.7 Selon Yang Fengmin, directeur de l'Institut européen de l’Université des sciences et technologies de la Chine de l'Est, dans la mesure où l'UE n'a pas l'intention de devenir une puissance hégémonique mondiale et qu'elle doit se concentrer sur ses problèmes internes, aucun obstacle politique majeur ne l’oppose à la Chine.8

Dans l'ensemble, la plupart des analyses chinoises offrent une image positive des relations UE-Chine ; les deux parties devraient continuer à défendre ensemble le multilatéralisme, le libre-échange et la coopération en matière d’enjeux environnementaux. 

Consolider l'amitié pendant et après la pandémie

La pandémie de Covid-19 a mis ce calendrier initial en suspens. Le sommet UE-Chine et le sommet 17+1 ont été ajournés, tandis que la "réunion spéciale des dirigeants" (Special Leaders meeting) UE-Chine suscite des doutes quant à sa nécessité et à son utilité. Or les décideurs et experts chinois sont attachés à la signification symbolique des dialogues et échanges officiels ; un report ou une potentielle annulation serait susceptible selon eux de nuire aux relations UE-Chine.

Dans l'ensemble, la plupart des analyses chinoises offrent une image positive des relations UE-Chine.

C’est aussi ce qui peut expliquer cette constante insistance sur la communication et sur les livraisons de fournitures médicales entre la Chine et les États membres de l'UE. "C’est dans le malheur qu’on reconnaît un véritable ami (患难见真情)"9 ; en cela, l’aide médicale apportée par la Chine au reste du monde est censée consolider l’amitié unissant la Chine et le pays ou la région concernés. La santé publique, auparavant peu débattue, fait désormais partie intégrante de la coopération entre la Chine et l'UE. Celle-ci se limite toutefois à des appels téléphoniques entre dirigeants et à l’approvisionnement en matériel médical. La "route de la soie de la santé" est davantage considérée comme un moyen de relancer l'initiative existante des "nouvelles routes de la soie" (BRI) que comme une forme de coopération à part entière. L'effort chinois en la matière, souvent qualifié de "diplomatie des masques", a reçu un accueil mitigé en Europe, certains dirigeants européens louant ce soutien, d'autres remettant en cause la qualité du matériel délivré ou interrogeant l'intention politique cachée derrière cet apparent soutien. 

De manière plus réaliste, Feng Zhongping, vice-président de l’Institut chinois des relations internationales contemporaines (CICIR), explique que la crise sanitaire a renforcé le sentiment d’impuissance de l’Union européenne sur le plan international, malgré ses intentions (有心无力).10 Il s'attend à ce qu’en conséquence, l'Union européenne sera contrainte d'adapter sa politique d’"intégration flexible (灵活的一体化)" et de devenir plus réaliste et pragmatique dans ses politiques publiques internes et externes. La crise a également mis en lumière sa dépendance à l’égard de la Chine en matière de matériel médical, à l’origine d’un débat plus large sur sa dépendance globale en matière d'approvisionnement. Dit autrement, la crise du coronavirus représente à la fois une opportunité et un défi pour les relations UE-Chine. Selon cette analyse, une Union européenne plus pragmatique signifie aussi une Union européenne plus proche de la Chine, en raison des avantages économiques que la Chine pourrait apporter. Ce débat de plus en plus prégnant sur la notion de dépendance est néanmoins vu comme une variable pouvant affecter négativement les relations bilatérales. 

En mai 2020, l'Académie chinoise des sciences sociales a publié son rapport annuel sur les grandes tendances internationales.11 Les auteurs estiment que si le contexte épidémique pèse sur les relations internationales, il est dans l'intérêt de chacun de maintenir des relations sino-européennes bonnes et stables. L’interdépendance entre la Chine et l'Union européenne est forte, et "la gloire de l’une amène la gloire de l’autre, alors que la chute de l’une entraîne celle de l’autre" (一荣俱荣 一损俱损). Cela signifie que la Chine ne veut pas d'un retournement de situation, ni même d'un recul dans les relations sino-européennes. Cui Hongjian, directeur des études européennes au China Institute of International Studies (CIIS), prédit également que l'Union européenne "regardera vers l'Est (向东看)" après la pandémie et ambitionnera de renforcer sa coopération avec la Chine.12 

Mais la Chine pourrait également être confrontée à une Union européenne plus exigeante et plus ferme d’une point de vue politique.

Mais la Chine pourrait également être confrontée à une Union européenne plus exigeante et plus ferme d’une point de vue politique, qui cherchera à redéfinir ses relations avec la Chine. Le facteur américain continuera d'influencer la relation, mais Cui Hongjian croit en une Europe à l’autonomie stratégique plus affirmée après le coronavirus, une Europe qui tentera de trouver sa place dans la compétition sino-américaine plutôt que de simplement choisir son camp. 

Vers le redressement économique 

La plupart des analyses chinoises portant sur l'avenir des relations UE-Chine se concentrent sur leur dimension économique, l'épidémie ayant eu de graves répercussions sur l'économie mondiale et ayant provoqué un ralentissement économique. La stagnation des secteurs industriels et des transports, engendrée par les mesures de confinement visant à contenir la propagation du virus, l’illustre bien, et les pertes économiques sont visibles. Huang Ping, président exécutif de l'Institut chinois de Hong Kong au sein de l’Académie chinoise des sciences sociales, affirme que la crise accélère le déclin de l'économie européenne. Les pays européens doivent rester rationnels et pragmatiques dans leurs relations avec la Chine, et la coopération demeure la meilleure option pour l'Europe.13 Les deux parties devraient davantage explorer les moyens de leur collaboration dans un environnement concurrentiel. Dans une publication antérieure, l’auteur faisait néanmoins part de son inquiétude face à la demande européenne de réciprocité : Huang Ping mettait en avant l’argument classique de la différence de niveau de développements pour rejeter cette notion pourtant centrale aujourd’hui dans la politique chinoise de l’UE.14Cui Hongjian et Huang Ping pensent tous deux que les relations UE-Chine sont confrontées à un test crucial (大考). À l'interdépendance et à la coopération qui les unissent de manière croissante s’ajoutent des conflits inévitables et une concurrence accrue.

Certains experts chinois vont plus loin encore et affirment que la Chine est indispensable à la reprise économique de l'UE. Zhang Jian, directeur de l'Institut d'études européennes du CICIR, estime que la Chine et l'Europe ne pourront surmonter leurs difficultés économiques que par la coopération, et voit en une telle coopération un "rapprochement gagnant-gagnant" qui pourrait être érigé en modèle pour le reste du monde.15 Zhou Hong, directeur général de la division académique des études internationales de l'Académie chinoise des sciences sociales, affirme que malgré le soutien de l’opinion publique européenne à l’égard de l’idée d’une relocalisation des lignes de production au sein de la zone euro, toute restructuration industrielle menée à grande échelle ne pourrait s’avérer que chronophage et non rentable.16 Dans le contexte actuel, une intervention de l'État dans cette restructuration industrielle pour des raisons de "sécurité" pourrait certes être envisageable. Mais la loi du marché prévaudra à un stade ultérieur, car le marché chinois exerce un attrait irrésistible sur les entreprises européennes. Tang Zheng, vice-président de la China-Europe Association for Technical and Economic Cooperation (CEATEC), suggère que la Chine pourrait accroître ses échanges commerciaux avec l'Europe afin de faciliter la reprise économique et industrielle des pays européens.17 Par exemple, la Chine pourrait promouvoir une plus grande coopération commerciale avec l'industrie automobile européenne, qui a subi de lourdes pertes lors de la pandémie.

Pour conclure, en dépit des nombreux changements qui ont affecté la relation UE-Chine au cours de l’année précédente, conséquences de facteurs tout autant internes qu’externes, les experts chinois maintiennent qu'il existe de nombreux points de concordance entre l'Union européenne et la Chine. La mondialisation, le multilatéralisme et la protection de l'environnement sont, à leurs yeux, des terrains d’entente clés. Si la coopération économique a de nouveau pris le dessus, et si elle a toujours été importante pour les relations UE-Chine dans le passé, elle est désormais considérée comme indispensable en raison de la nécessité d'une reprise économique post-pandémie. Même si les experts chinois dont les analyses ont été reprises dans cet article semblent également s’accorder sur la présence d'un élément de concurrence dans la relation UE-Chine, concurrence et coopération peuvent coexister et, dans le cas de cette relation, de nombreux experts suggèrent que la logique de coopération devrait prévaloir sur la compétition, en raison selon eux de la nécessité objective, pour l’Europe, de coopérer avec la Chine. 
 

 

Publication en intégralité

 

 

1"State Councilor and Foreign Minister Wang Yi Meets the Press", Ministry of Foreign Affairs of the People’s Republic of China, 24 mai 2020,
2"Wang Yi: The China-EU relations are standing at a new historical starting point (王毅:中欧关系已站在新的历史起点上)", Xinhua, 16 décembre 2019, http://www.xinhuanet.com/world/2019-12/16/c_1125349884.htm
3"Chine : déclaration à la presse suite à la réunion bilatérale entre le HR/VP Josep Borrell et le Ministre des Affaires étrangères de la Chine Wang Yi", 15 décembre 2019, https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/72140/chine-d %C3 %A9claration- %C3 %A0-la-presse-suite- %C3 %A0-la-r %C3 %A9union-bilat %C3 %A9rale-entre-le-hrvp-josep-borrell-et-le_fr
4"China-Europe relations are generally stable and improving, and we are building a community of shared destiny (中欧关系总体稳中向好 共同构建人类命运共同体)", Xinhua, 19 décembre 2019, http://www.xinhuanet.com/world/2019-1/19/c_1210402089.htm
5"Foreign Ministry talks about Wang Yi's trip to Europe: Communicating the Three ‘Consistencies’ of China-EU Relations (外交部谈王毅欧洲之行:传递发展中欧关系的三个’始终如一)", The Paper, 18 décembre 2019, https://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_5272690
6"Wang Yimei: Opportunities and Challenges for China-EU Relations in 2020 (王义桅:2020中欧关系的机遇与挑战)", Huanqiu, 4 décembre 2019, https://opinion.huanqiu.com/article/9CaKrnKo8uu
7"Interview of Ambassador Zhang Ming, Head of Mission to the European Union, by China Youth Daily on China-EU relations (驻欧盟使团团长张明大使就中欧关系接受《中国青年报》专访)", Mission of the People’s Republic of China to the European Union, 6 janvier 2020, http://www.chinamission.be/chn/stxw/t1731626.htm
8"Scholars Roundtable - Where is the EU heading? Which way is the Sino-European relationship heading? (学者圆桌 | 欧盟向何处去?未来的中欧关系怎么走?)", Shanghai Observer, 7 novembre 2019, https://www.shobserver.com/news/detail?id=187077
9Shen Xiaoquan, "Eliminating disruptions, China-EU ties move forward in common fight against epidemic (排除干扰,中欧关系在共同抗疫中前行)", Fisnet.com, 6 mai 2020, http://comment.cfisnet.com/2020/0506/1319407.html
10Feng Zhongping, "Europe's Strategic Dilemma and China-Europe Relations under the Covid-19 Outbreak (新冠疫情下的欧洲战略困境与中欧关系)", Fisnet.com, 8 mai 2020, http://comment.cfisnet.com/2020/0508/1319441.html
11"CASS report predicts eight global trends for 2020, the Covid-19 crisis is the biggest uncertainty (科院报告预测2020年全球形势八大趋势 新冠疫情成最大不确定因素)", China Council for the Promotion of International Trade, 13 mai 2020, http://www.ccpit.org/Contents/Channel_4114/2020/0513/1260327/content_1260327.htm
12"Under the epidemic, China and Europe need to strengthen rational and pragmatic cooperation (疫情之下 中欧更需加强理性务实合作)", China Minutes, 15 mai 2020, http://www.oushinet.com/wap/china/chinanews/20200515/350153.html
13ibid
14Huang Ping, "An uncertain Europe? Certain China-EU relations? (不确定的欧洲?确定的中欧关系?)", Aisixiang, 3 septembre 2019, http://www.aisixiang.com/data/118022-2.html
15Zhang Jian, "Unprecedented urgency of Sino-European cooperation (中欧合作的紧迫性前所未有)", China Daily, 12 mai 2020, https://cn.chinadaily.com.cn/a/202005/12/WS5eba60efa310eec9c72b865d.html
16Zhou Hong, "Europe and EU-China relations in the context of the epidemic (疫情下的欧洲与中欧关系)", Aisixiang, 21 avril 2020, http://www.aisixiang.com/data/120968.html
17"Experts: the epidemic does not change the resilience of China-EU economic and trade relations (专家:疫情不改中欧经贸关系韧性)", China News, 11 avril 2020, http://www.chinanews.com/cj/2020/04-11/9153819.shtml

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