Han Lu, chercheur à l'Institut chinois d'études internationales, va dans le même sens que Wang : dans un article daté d’il y a bientôt deux ans et qu’il dédie aux faits marquants des relations sino-russes. Il y déclare que c’est en particulier la coopération militaire entre les deux pays qui a atteint un niveau nouveau. En 2017, la Chine et la Russie ont approfondi leurs consultations en matière de formation conjointe dans le domaine de la défense. Les deux pays ont signé une feuille de route commune pour la coopération et le développement militaires pour la période 2017-2020. Dans le même temps, souligne Han Lu, la Chine et la Russie ont réalisé trois exercices conjoints sur mer, sur terre et dans les airs. En mer, les marines chinoise et russe ont organisé un exercice naval conjoint (à Vladivostok, le "Joint Sea 2017") qui a notamment porté sur la lutte contre le terrorisme, la recherche et le sauvetage en lien avec la protection des lignes de trafic maritime. Sur terre, un exercice conjoint de lutte contre le terrorisme a quant à lui visé à renforcer leur capacité à répondre de concert aux menaces terroristes. Enfin, les forces armées chinoises et russes ont effectué des exercices de défense aérienne de six jours baptisés "Aerospace Security – 2017" (空天安全-2017), pendant lesquels ont été réalisé de nouvelles avancées en matière de coordination antimissile.
Le rapport annuel sur les relations entre la Russie et la Chine, publié conjointement par les milieux universitaires chinois et russe, note toutefois que la Chine et la Russie n'ont pas réalisé de progrès majeurs en matière de coopération militaro-technique en 2017 [2]. Le rapport souligne que la Chine et la Russie n’ont pas signé, en 2017 (et même jusqu’en mars 2018, date de rédaction du rapport), de contrat important dans le domaine de la technologie militaire. Mais selon les auteurs, il faut tenir compte de la longueur du processus de préparation de ce type de grands contrats de coopération militaire et d'un nombre important de spécificités techniques. Leur rédaction nécessite souvent trois à cinq ans, si ce n’est plus dans certains cas, ce qui explique à leurs yeux l'apparente stagnation des signatures de grands contrats.
Même en l'absence d’avancées majeures, les analystes constatent que la coopération technique militaire bilatérale entre la Chine et la Russie semble s'être accrue et étendue à des domaines à la fois nouveaux et plus sensibles. La réduction de la quantité d'informations pertinentes ou documentées disponibles dans les médias a pu, selon eux, être faite à la demande de la partie chinoise. À titre d’illustration, une réunion improvisée de la Commission intergouvernementale russo-chinoise de coopération militaro-technique (中俄政府间军事技术合作混合委员会会议) s'est tenue à Moscou en décembre 2017 ; elle pourrait indiquer une nouvelle coordination en vue d’un projet conjoint - dont le contenu spécifique n’a simplement pas été annoncé.
En attendant, les auteurs énumèrent les projets de coopération militaire en cours, comme la fourniture par la Russie d'un grand nombre de moteurs d'avion à la Chine, y compris un contrat portant sur 100 moteurs AL-31F et un nombre équivalent de moteurs D-30KP-2, pour un montant total d'environ un milliard de dollars. La coopération s'est poursuivie, bien qu’à un rythme lent, dans les domaines du développement militaire conjoint et de l'échange de technologies. Les négociations sur le développement conjoint d'hélicoptères lourds ont par exemple débuté entre 2008 et 2009, mais il a fallu attendre mai 2016 pour qu'un accord-cadre soit signé. La coopération dans le domaine des technologies à double usage, à savoir les avions gros-porteurs destiné aux vols long-courriers (C929), progresse plus rapidement. Les deux parties sont parvenues à un accord dès la fin 2016 et la société China-Russia Commercial Aircraft International Corporation Co, Ltd. (中俄商用飞机国际有限公司) a été créée.
Si l’on regarde quelques chiffres, la Chine représentait environ 14,4 % du total des commandes de l'industrie de la défense russe (6,5 milliards de dollars) en 2017, y compris les systèmes de défense antimissile et antiaérienne S-400, les chasseurs Su-35, et les hélicoptères Mi-171. Le nombre d'armes que la Russie a fournies à la Chine en 2017 a dépassé celles livrées à l'Inde pour la première fois depuis des années (même si plus de 50 % des ventes d'armes russes ont été réalisées au Moyen-Orient).
Un titre majeur de l’agence de presse Xinhua a récemment annoncé que "la Chine et la Russie [allaient] porter leurs relations militaires à un niveau nouveau", car "les deux parties renforceront leur soutien mutuel sur leurs intérêts fondamentaux respectifs et amélioreront les mécanismes d'échange et de coopération à tous les niveaux". Ce titre et ce sous-titre devraient faire la joie de Wang Haiyun, et les articles présentés ici confirment ce renforcement du lien militaire unissant la Chine à la Russie. Cependant, même si la coopération s'intensifie, il ne semble pas que la Chine et la Russie puissent atteindre une dimension de coopération militaire conjointe véritablement nouvelle. L'une des raisons réside probablement dans le fait que, même si les deux pays s'efforcent de se moderniser et de se doter d'une technologie militaire de pointe, ils continuent à le faire séparément.
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References:
[1] Wang Haiyun: Military relations reflect the 70 years of China-Russia diplomatic relations, Global Times, 3.6.2019
[2] "Sino-Russian military technology cooperation” (中俄军事技术合作), in the 4th annual report of “Russia China Dialogue: 2018 Modus operandi" (中俄对话:2018 模式), published by the Institute of International Studies at Fudan University, Russian International Affairs Committee, and Far Eastern Institute of the Russian Academy of Sciences, May 2018
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