Pour les Anciens, la Chine n’a pas de véritable frontière utile avec l’Afghanistan. Le corridor du Wakhan - et la majeure partie de la route du Karakorum qui la relie au Pakistan - sont un environnement défavorable. La Chine a consacré plus d’énergie à sceller ces frontières en stationnant des troupes dans leurs parties hautes, y compris au Tadjikistan voisin, et à en croire certains avec des patrouilles dans le corridor du Wakhan. Au delà, il y a l'historique peu flatteur des relations économiques entre la Chine et l’Afghanistan : une annonce grandiose en 2007, mais sans suite, au sujet de la mine de cuivre de Mes Aynak près de Kaboul ; des projets ferroviaires qui n’ont jamais vu le jour, et même, en 2020, un projet conjoint avec le gouvernement afghan visant à construire une route dans le corridor du Wakhan. Les investissements chinois et le commerce avec l’Afghanistan ont décliné après 2007 et n’ont recommencé à augmenter qu’il y a très peu de temps. Un important contrat d’exportation de pignons de pin a certes une valeur économique, mais non stratégique… Surtout, la Chine est réputée rechercher la stabilité avant tout et non pas prendre des risques. Historiquement, elle a souvent été lente - et parfois parmi les derniers pays - à prendre acte des changements de régime. Au Pakistan, elle craint les actions de factions terroristes radicales qui pourraient mettre en danger ses travailleurs et ses intérêts. Le Pakistan a dû s’engager à mettre en place un régiment spécial de 10 000 soldats dans le cadre de la construction du corridor économique entre les deux pays (China-Pakistan Economic Corridor, CPEC), qui doit mener jusqu’au port de Gwadar.
Ces arguments impliquent que la Chine réagira avec prudence et sans activisme bilatéral, s’ajustant à ce que le ministère des Affaires étrangères chinois a appelé par euphémisme des "changements majeurs". On pourrait même affirmer qu’elle pourrait placer le terrorisme au rang des priorités partagées avec les États-Unis : Wang Yi a proposé le 16 août à Antony Blinken d’ouvrir un dialogue afin d’arriver à un "atterrissage en douceur" de l’Afghanistan, d’éviter une "guerre civile ou une crise humanitaire" et une "rechute qui ferait de nouveau du pays un foyer et un refuge pour des terroristes".
Certes, la Chine exploitera à des fins de propagande ce qu’elle appelle le "départ précipité" des Américains. Mais sa méfiance envers les talibans et sa crainte des répercussions régionales de leur prise de pouvoir l’inciteraient à s’en tenir à sa prudence habituelle.
Cependant, les Modernes ont des arguments solides et fondés sur les évolutions récentes. Tout d’abord, à l’exception du Panshir, qui est totalement enclavé et où les États voisins ont pour priorité de verrouiller les frontières, les talibans contrôlent complètement le pays. Il ne peut y avoir d’autre intervention étrangère après l’échec occidental. La Chine de Xi a décidé d’entrer dans une phase de confrontation frontale avec les États-Unis et plus généralement avec les démocraties occidentales - elle n’a plus peur de découpler son économie, ni de tester la détermination américaine sur plusieurs sujets. La Chine pratique ouvertement ce qu’Henry Kissinger appelait le strategic linkage entre les sujets de négociation : ainsi, Wang Yi répète au sujet de l’Afghanistan ce qu’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères avait dit en janvier 2021 au sujet de la crise climatique, à savoir que les États-Unis ne peuvent s’attendre à de la coopération alors qu’ils "font tout pour contenir et réprimer la Chine".
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