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01/10/2018

Ça transite pour l’énergie française - Trois questions à Benjamin Fremaux

Ça transite pour l’énergie française - Trois questions à Benjamin Fremaux
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Mardi 4 septembre, François de Rugy a succédé à Nicolas Hulot en tant que ministre de la Transition écologique et solidaire. La succession intervient à un moment important pour le secteur énergétique et écologique français : la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie, feuille de route stratégique pour le gouvernement, va voir le jour d’ici la fin du mois. Benjamin Fremaux, Senior Fellow Energie et Climat à l’Institut Montaigne, nous livre son analyse.

François de Rugy, nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, ne tient pas la même position sur le débat énergétique que son prédécesseur. Quelles sont les différences de point de vue entre les deux ministres ?

François de Rugy a tout intérêt à prendre le contrepied de Nicolas Hulot, sur le fond comme sur la forme. C’est une personnalité peu connue des Français mais c’est un vrai politique, passé très tôt des Verts à son propre parti, Écologistes !, puis à la République en Marche. Si son prédécesseur a donné une image un peu idéaliste, lui aura à cœur de montrer que nous pouvons faire de l’écologie de manière pragmatique, pas à pas et non en déclenchant une révolution.

Sur le fond, les différences entre Nicolas Hulot et François de Rugy sont moins importantes que nous ne l’imaginons. Nous connaissons les convictions constantes du nouveau Ministre de la Transition écologique en faveur du vélo ou contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes (François de Rugy est né à Nantes et a été député de la 1ere circonscription de Loire-Atlantique) et son programme à la primaire de la gauche de 2017 résume bien sa pensée : "Mon projet est écologiste : par exemple, je propose de passer au 100 % renouvelable d'ici 2025 pour la transition énergétique avec des emplois et des activités sur tout le territoire. D'ici 2025, je propose que tous les véhicules neufs vendus en France soient électriques ou hybrides-électriques. Je propose un pacte avec la grande distribution pour que 25 % de tous les produits alimentaires vendus en grande distribution soient issus de l'agriculture biologique française."

De nouveaux retards ont été annoncés pour la fabrication de l’EPR français de Flamanville. Les délais et les coûts supplémentaires s’accumulent pour EDF, ajoutant sept années et presque huit milliards par rapport au projet initial. Pensez-vous que les EPR pourront maintenir le nucléaire français parmi les fleurons de notre industrie ?

Nicolas Hulot dans son interview "testamentaire" a fait de l’EPR l’une des principales causes des difficultés financières d’EDF, reprenant ainsi un argument récemment développé par Greenpeace. Lancé en 2007, le chantier de l’EPR de Flamanville a pris beaucoup de retard (prévu pour être livré en 2012, il ne le serait qu’en 2020) et les surcoûts que cela engendre sont importants (plus de 7,5 milliards d’euros).Les retards sont hors-normes pour une infrastructure hors-norme : un EPR est conçu pour durer 60 ans et sa puissance est de 1650 MW, ce qui permet de produire 13 TWh par an. C’est l’équivalent de plus de la moitié de toute la production éolienne en France en 2017 produite par 1700 éoliennes. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? D’abord, la technologie EPR fonctionne. Un premier réacteur EPR construit à Taishan en Chine a démarré en juin dernier (il n’est pas encore raccordé au réseau électrique). Ensuite, la filière nucléaire rassemble plus de 125 000 emplois très qualifiés en non délocalisables. Enfin, la technologie EPR peut s’exporter : c’est le cas en Finlande et au Royaume-Uni.

Pour que l’industrie nucléaire se maintienne parmi les fleurons de notre industrie, elle doit relever le défi de l’industrialisation de cette technologie et de la baisse des coûts. Bien que les technologies renouvelables ne soient pas comparables en termes de bénéfices car intermittentes (l’énergie nucléaire est mobilisable à toute heure), elles ont vu leurs coûts baisser fortement, notamment pour le solaire photovoltaïque. La technologie EPR doit faire face avec lucidité à cette concurrence nouvelle.

De mi-mars à fin juin, la consultation citoyenne sur la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie* (PPE) a eu lieu. Que faut-il attendre de la révision de ce texte, qui devrait avoir lieu d’ici la fin du mois d’octobre ?

*La Programmation Pluriannuelle de l'Énergie est un document de cadrage qui sert de schéma directeur à la mise en oeuvre de la loi de transition énergétique votée en 2015.

La première PPE, publiée en 2016, couvrait les période 2016-2018 et 2019-2023. La révision de celle-ci doit couvrir les périodes 2019-2023 et 2024-2028. 

Bien que l'objectif est de déterminer une stratégie de décarbonation de notre mix énergétique visant à ce que notre économie puisse se passer d'énergies fossiles, le débat a encore une fois porté sur la trajectoire de baisse du nucléaire dans le mix électrique. L'objectif de la loi visant 50 % de nucléaire en 2025 a été repoussé, par le Premier ministre, à 2035. Malgré ce report, la nouvelle PPE doit permettre la planification de la fermeture de plusieurs réacteurs nucléaires. Toute la question est de savoir si des décisions concrètes seront prises pendant le quinquennat, ou si les décisions difficiles seront remises à plus tard. L'autre enjeu est de s'assurer que ce document de cadrage répond bien à l'objectif de décarbonation du mix et est réaliste sur le plan industriel et financier. L'institut Montaigne va d’ailleurs engager une réflexion à ce sujet.

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