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20/09/2022

Budget 2023 : Tout comprendre sur les textes financiers avant leur examen au Parlement

Budget 2023 : Tout comprendre sur les textes financiers avant leur examen au Parlement
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice adjointe des études France et Experte Résidente

Le 26 septembre prochain, la future loi de programmation des finances publiques (LPFP), les projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023 seront présentés par le gouvernement en Conseil des ministres. Ces textes budgétaires doivent répondre à de multiples enjeux : crise énergétique et pouvoir d'achat des ménages notamment. D'autres sujets pourraient également y figurer, comme par exemple la réforme des retraites.

À ces défis de taille, s'ajoute cette année celui d’une période d'examen parlementaire sensiblement bousculée par la nouvelle composition de l’Assemblée nationale. La majorité relative dont dispose l'exécutif rend en effet l'exercice plus délicat que lors du dernier quinquennat : les compromis politiques seront désormais de rigueur, en témoignent les "Dialogues de Bercy" initiés par le gouvernement. Dans un tel contexte, le recours à l'article 49-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 n'est pas exclu et constitue même une hypothèse probable. Plus que jamais, l’automne s’annonce budgétaire.

LPFP, PLF, PLFSS : derrière les acronymes, de quoi parle-t-on concrètement ?

Les lois de programmation des finances publiques (LPFP), sont des lois ordinaires dont l'objectif est de fixer la trajectoire d'évolution de l'ensemble des finances publiques, sur plusieurs années. Elles ne sont pas des lois de finances (tels que le PLF ou le PLFSS), car non contraignantes, mais constituent un cadre, un engagement solennel, dans la gestion de nos comptes publics, à moyen terme, pour une période minimale de trois ans. Y figurent notamment le solde et la dette publics à moyen terme et des objectifs en matière de réduction de nos dépenses publiques. 

Les lois de programmation des finances publiques (LPFP), sont des lois ordinaires dont l'objectif est de fixer la trajectoire d'évolution de l'ensemble des finances publiques, sur plusieurs années. 

Dans les faits, le respect de ces engagements n'est presque jamais observé : en témoigne la dernière LPFP 2018-2022 en vigueur, qui prévoyait notamment une dette publique à 94,2 % du PIB en 2021 alors que celle-ci a finalement atteint 112,5 % du PIB cette même année en raison de la crise sanitaire mais aussi de la dynamique tendancielle des dépenses publiques. De façon générale, la récurrence des crises économiques et financières a entaché la légitimité et la crédibilité de ces lois, dont les objectifs ne sont, en pratique, jamais respectés. C'est la raison pour laquelle une nouvelle loi organique, une nouvelle "Constitution" des finances publiques, a été adoptée en décembre 2021 afin de renforcer ce pilotage pluriannuel.

Le gouvernement sera désormais tenu d'expliquer et de justifier tout écart dans la gestion des comptes publics, par rapport à la trajectoire budgétaire de cette LPFP.

Les projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sont des textes financiers présentés chaque automne par le gouvernement et qui prévoient, respectivement, le budget de la France et les dépenses sociales et de santé, pour l'année suivante. Ainsi, de début octobre à fin décembre 2022, ces deux textes seront soumis à l'examen de l'Assemblée nationale et du Sénat, afin de déterminer les recettes (fiscalité) et les dépenses (crédits budgétaires) de l'État pour 2023. Cette année, la situation de majorité relative pour le gouvernement implique des compromis politiques et budgétaires tangibles, beaucoup moins prégnants en période de majorité absolue. Mais jusqu’où le gouvernement sera-t-il prêt à reculer sur ses engagements ? Quelles seront les mesures les plus débattues et pour lesquelles les amendements des groupes d'opposition joueront un rôle décisif ? L'exécutif pourra-t-il se passer d'une utilisation de l’article 49-3 pour faire adopter le texte ?

PLF 2023 : un texte financier porteur d'enjeux politiques et sociétaux majeurs 

Un budget pour répondre à la crise sociale et économique

Face à une crise énergétique qui s'annonce durable et à une inflation qui devrait atteindre près de 4 % en 2023, le gouvernement a présenté de nombreuses mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages, adoptées dans la loi sur le pouvoir d'achat votée en août dernier.

Ce PLF s'inscrit dans cette dynamique, en particulier sur le front du bouclier tarifaire, qui sera prolongé l'année prochaine. Comme l'a ainsi déclaré Elisabeth Borne lors de la conférence de presse du 14 septembre dernier : "L'écart ne sera pas sur les factures des consommateurs. En 2024, ou plus tard, il sera pris en charge par l'État". Le coût pour l'État de ce bouclier tarifaire - à destination notamment des ménages, des copropriétés mais aussi des plus petites entreprises - s'élèvera à 16 milliards d'euros net en 2023.

Ce PLF s'inscrit dans cette dynamique, en particulier sur le front du bouclier tarifaire, qui sera prolongé l'année prochaine.

S'ajoutent au bouclier tarifaire, les "chèques énergie", à destination de 12 millions de Français les plus modestes, qui pourraient bénéficier de 100 à 200 euros d'ici la fin de l’année, pour un coût estimé à 1,8 milliard d'euros en 2023.

Un moment de débats démocratiques

La période budgétaire qui s'annonce présage des débats parlementaires houleux. En effet, après son dépôt - au plus tard le premier mardi d’octobre - l'Assemblée nationale dispose de 40 jours pour adopter le texte en première lecture. Il est ensuite transmis au Sénat qui dispose de 20 jours pour adopter le PLF en première lecture. Le Parlement dispose, au total, de 70 jours pour voter le PLF, l'Assemblée nationale ayant le pouvoir de statuer définitivement en cas de désaccord entre les deux chambres. Dès lors, les positions des principaux groupes politiques - NUPES, Renaissance, LR et RN - feront face à deux défis : s'inscrire dans la cohérence idéologique des programmes présentés en mai et juin dernier par leurs principaux représentants politiques tout en ne bloquant pas l’examen de ce budget.

Sur le premier point, il importe en effet que les PLF et PLFSS s’inscrivent dans le projet présidentiel, tout comme les amendements qui pourraient être déposés par les parlementaires Renaissance. Ainsi, les promesses électorales du président-candidat Emmanuel Macron, tels que l'allègement des impôts de production, l'investissement dans l'emploi, la formation, l'éducation, ou encore le déploiement de politiques publiques fortes en matière de transition énergétique et environnementale devraient figurer, en partie du moins, dans les prochains textes financiers. Les mesures d’économies annoncées - sur les collectivités locales notamment ou sur les niches fiscales - ne devraient toutefois pas figurer dans les projets de loi financiers. 

Le renoncement de la mise en œuvre de certaines mesures dans ce PLF traduit cependant le peu de marges de manœuvre budgétaires dont dispose actuellement le gouvernement.

L'exécutif serait ainsi contraint, pour respecter ses engagements en matière de finances publiques - déficit à 5 % du PIB et dette publique à 111,2 % en 2023 - de renoncer, au moins temporairement, à certaines annonces clés du programme présidentiel, tel que l'allègement de la fiscalité sur les successions ou encore la suppression totale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Il ne s'agit que du premier budget du quinquennat et nul ne peut présager de l’application du programme d’Emmanuel Macron lors des prochaines années. 

Le renoncement de la mise en œuvre de certaines mesures dans ce PLF traduit cependant le peu de marges de manœuvre budgétaires dont dispose actuellement le gouvernement.

Du côté des groupes d'opposition politiques, en particulier de la NUPES, des LR ou du RN, l'enjeu est tout autre : imposer dans le débat parlementaire les idées programmatiques défendues lors de l’élection présidentielle. Ainsi, si la question de la taxation des superprofits - qui peuvent être définis comme des "profits exceptionnels" résultant d’un effet d'aubaine lié à des circonstances extérieures - devrait être introduite par les députés NUPES dans le débat parlementaire, les députés RN, pourraient quant à eux, refuser l’adoption de certains crédits budgétaires alloués en faveur du déploiement des éoliennes, stratégie énergétique contestée par Marine Le Pen en mai dernier. Enfin, les députés LR disposent d'un positionnement stratégique dans cet hémicycle fragmenté qui leur a d’ores et déjà permis d'obtenir gain de cause partiel cet été, notamment sur la mesure de protection des consommateurs face à la hausse des carburants. Si le débat d'idées et la discussion parlementaire doivent prendre toute leur place, il serait regrettable qu’ils se matérialisent par un pur blocage politique. L’exécutif pourrait alors avoir recours à un outil institutionnel utilisé au XXème siècle mais encore jamais au XXIème siècle en France sur un PLF : l’article 49-3 de la Constitution.

Un dénouement plus qu'incertain des débats parlementaires budgétaires

La majorité présidentielle compte désormais 246 sièges, contre 351 en 2017. A contrario, les deux grands partis d'opposition aux élections présidentielles sont sortis triomphants de ce scrutin, avec 89 sièges pour le Rassemblement national (8 en 2017), 151 pour la NUPES dont 72 pour la France Insoumise (17 en 2017), tandis que Les Républicains ont obtenu seulement 61 sièges, contre 131 en 2017. Parmi la dizaine de groupes politiques identifiés à ce jour, trois étaient en mesure de déposer une motion de censure - moyen dont dispose le Parlement pour montrer sa désapprobation à l'égard de la politique du gouvernement voire le forcer à démissionner et dont le dépôt nécessite la signature de 58 parlementaires - et de recourir à une saisine du Conseil constitutionnel après l'examen d'un texte (60 signatures minimum). 

Le recours à l'article 49-3 - qui permet au gouvernement de forcer l'adoption d'un texte en engageant sa responsabilité, sauf si l'Assemblée nationale parvient à le renverser par le biais d'une motion de censure - pour le PLF 2023 demeure toutefois une hypothèse plus que probable. Au total, cinq gouvernements y ont eu recours lors de l'examen budgétaire du PLF au cours de la Vème République notamment les gouvernements Debré en 1960, Barre en 1979 et Rocard en 1990 sur le PLF pour 1991.

Le recours à l’article 49-3 [...] pour le PLF 2023 demeure toutefois une hypothèse plus que probable.

Ce dernier est un cas emblématique, l'adoption des articles 92 à 99 instituant la création de la Contribution sociale généralisée (CSG) ont nécessité trois recours à l'article 49-3, entraînant le dépôt d'une motion de censure que le Parti communiste accepta de voter pour la première et unique fois sous un gouvernement de gauche, en vain à seulement cinq voix d'écarts (289 contre, 284 pour). En 1991, la Première ministre Édith Cresson s’en servit à son tour pour adopter le PLF 1992, avant que Pierre Bérégovoy ne soit le dernier Premier ministre à y avoir recours pour imposer une loi de finances avec le PLF 1993. Dans chacun des cas énoncés, le gouvernement disposait d'une majorité étroite et l'opposition a systématiquement répondu par le dépôt d'une motion de censure - sauf pour le PLF 1990 sous Rocard - qui n'a jamais abouti à la démission du gouvernement.

À travers les "Dialogues de Bercy", le gouvernement espère initier une dynamique de discussions avec les oppositions, en amont de la présentation et du dépôt du PLF à l'Assemblée nationale. S'il n'y a rien de nouveau sur le fond - les consultations politiques sont légion dans les périodes de préparation des projets de loi de finances - cette initiative est originale sur la forme, en interpellant directement les groupes politiques, et envoie un message aux parlementaires et aux citoyens : le gouvernement souhaite le compromis et refuse un passage en force. Autrement dit, le message de l'exécutif est que le recours à l'article 49-3 ne serait nécessaire que si les groupes d’opposition s'obstinent à se montrer peu constructifs.

Pour le moment officiellement opposé à son utilisation, le gouvernement Borne pourrait cependant justifier cet acte en dernier recours en cas de paralysie parlementaire. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 autorise un recours illimité de l'article tant redouté en matière financière. Le 49-3 pourrait alors être utilisé à deux reprises, sur la première partie du PLF relative aux recettes puis sur la seconde relative aux dépenses. Une situation qui n’est pas sans rappeler l'épisode durant lequel Édith Cresson a engagé la responsabilité du gouvernement sur les recettes et les dépenses du budget 1992.

 

 

Copyright : Christophe ARCHAMBAULT / AFP

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