Devant les députés européens, Ursula von der Leyen prétend donc incarner un corps politique européen, et ainsi conjuguer un "je" qui tire sa force de cette cohérence ("I will stand for…"), et ce "nous" qui manque encore à l’Europe : "None of these options are for us", "Nous voulons le multilatéralisme, nous voulons le commerce juste", "we have to do it the European way", "if we are to go down the European path"… Il y a cinq ans, dans le même exercice, le "nous" de Jean-Claude Juncker était bien différent : "Le 25 mai (2014), les citoyens européens nous ont parlé. Ils nous ont envoyé des messages forts quoique parfois contradictoires. Aujourd’hui, et au cours des années à venir, nous devons leur répondre". Le "nous" dont il est ici question, c’est le "nous" des institutions européennes, le "nous" de la bulle bruxelloise.
Et le discours est centré sur cet univers clos sur lui-même, dont le citoyen européen est la référence sans cesse invoquée, mais aussi le spectateur impuissant. "Ne fatiguons pas ceux qui nous observent par des débats institutionnels qui nous éloignent de l’essentiel, c’est à dire du citoyen européen", disait Jean-Claude Juncker, qui consacrait pourtant tout le début de son discours de politique générale au système du Spitzenkandidat, et aux pouvoirs relatifs du Parlement, du Conseil européen et de la Commission… "La Commission est politique. Je la veux plus politique. Elle sera très politique" : Jean-Claude Juncker l’avait dit, on attend toujours. Ursula von der Leyen le fera-t-elle ?
Quelque chose, en tous cas, est en train de se passer en Europe, et d’abord en dehors de la bulle bruxelloise. Le rebond du taux de participation aux élections européennes de mai, de 42,6 à 51 %, presque partout en Europe, était déjà le signe que quelque chose se passait dans cet espace politique en devenir. Aujourd’hui, les soubresauts politiques en Italie, où la majorité se déchire autour du soutien de Cinque Stelle à la nouvelle présidente de la Commission, sont aussi le signe de cette réalité nouvelle en train de naître : Bruxelles devient un lieu politique, un lieu où s’élabore un "nous" européen, un lieu que commencent à investir les passions politiques. Macron, mais aussi Salvini et Orban n’y sont pas pour rien. Ni Angela Merkel, qui, à travers Ursula von der Leyen, offre à l’Europe un programme politique, en même temps qu’elle dessine l’avenir de son propre parti, en route vers une alliance avec les Verts. Se pourrait-il que l’on se passionne pour la politique bruxelloise dans les cinq années à venir ? Et se pourrait-il qu’on y envoie enfin, pour agir, les meilleurs d’entre "nous" ?
Copyright : LUDOVIC MARIN / AFP
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