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25/03/2019

Benyamin Netanyahu ou l'inquiétante droitisation d'Israël

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Benyamin Netanyahu ou l'inquiétante droitisation d'Israël
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a toutes les chances de se succéder à lui-même le 9 avril prochain. Il est porté par la sociologie d'un pays qui, sous son impulsion, flirte de plus en plus avec les démocraties illibérales.

"Une semaine est une éternité en politique", disait l'ancien Premier ministre britannique Harold Wilson. C'est une formule qui invite à la prudence. Pourtant, à un peu plus de deux semaines des élections du mardi 9 avril en Israël, les jeux semblent faits pour une majorité d'Israéliens qui appartiennent à l'opposition libérale de centre gauche. À moins d'un miracle de dernière minute, "c'est encore raté" pour eux. Benyamin Netanyahu et la coalition de droite, d'extrême droite et de petits partis religieux qu'il réunit autour de sa personne, vont l'emporter une fois de plus. Le fait qu'il fasse l'objet de poursuites judiciaires pour corruption ne semble pas le déstabiliser outre mesure. Au contraire l'audace d'un juge, qui prend au sérieux ses responsabilités, semble avoir galvanisé le noyau dur de ses partisans. Dans la tourmente "Bibi" a fait preuve de sang-froid et de culot, animé comme il semble l'être, par la conviction qu'il est le seul à pouvoir guider et mener à bon port Israël, dans le chaos du Moyen-Orient et du monde. Cette certitude semble partagée par son électorat, qui vote davantage pour l'homme que pour ses idées ou pour son parti. Le Benyamin Netanyahu de 2019 apparaît comme un mélange de Trump et de Poutine. Il a le talent marketing du premier et l'inflexible résilience du second, sans oublier le parfait cynisme et l'amoralité des deux. Le président américain lui a d'ailleurs fait un cadeau en se prononçant pour la reconnaissance de la souveraineté d'Israël sur le plateau du Golan.

Crise morale

À l'inverse l'opposant principal du Premier ministre israélien, Benny Gantz, un ancien chef d'état-major de l'armée, ne semble tout simplement "pas faire le poids". Il est apparu déstabilisé, par un rapport suggérant que son téléphone portable avait été piraté par les services secrets iraniens. Comment faire confiance à un homme qui n'est même pas capable d'assurer sa propre sécurité ?

En matière de politique étrangère, Israël est sorti de son relatif isolement diplomatique.

Scandale contre scandale, désinformation, fake news, le niveau de la campagne, reflète la crise morale d'un pays, malade de sa politique. Les scandales de loin les plus sérieux - ceux touchant le comportement de Netanyahu sont pourtant ceux qui semblent avoir le moins d'influence sur le comportement des électeurs. À l'inverse l'avantage de Benny Gantz et de ses alliés dans les sondages a fondu comme neige depuis le début de l'affaire l'affectant.

Il est vrai que ni l'économie, ni la politique étrangère, ni la démographie, ni même la sociologie d'Israël ne jouent en faveur de l'opposition libérale de centre gauche. Les performances de l'économie globalement très positives favorisent le pouvoir en place. En matière de politique étrangère, Israël est sorti de son relatif isolement diplomatique. L'alliance nouvelle entre Riyad, Washington et Jérusalem s'est accompagnée d'une série d'évolutions favorables.  L'Iran est affaibli de l'intérieur par une contestation qui se traduit par le durcissement du régime. Depuis l'explosion des printemps arabes, les divisions n'ont jamais été plus grandes dans le camp des adversaires arabes d'Israël. Plus globalement, de l'Afrique à l'Asie, de l'Amérique latine à l'Europe centrale, ou du Sud, du Brésil de Bolsonaro à la Hongrie d'Orbán, jusqu'à l'Italie de Salvini, Israël noue des alliances qui ne sont peut-être pas très "kacher" en termes de valeurs mais qui sont perçues par une majorité d'Israéliens comme autant de réussites diplomatiques.

Le mimétisme avec Trump

"Qui se ressemble s'assemble". En s'inscrivant, sous la conduite de Netanyahu, dans le camp des démocraties illibérales, Israël aurait-il tout simplement retrouvé sa géographie est-européenne ? En 1948, 20 des 25 signataires de la déclaration d'indépendance de l'Etat, étaient originaires de l'empire Russe. L'arrivée de plus de 1 million de juifs russes entre 1988 et 1998 a renversé les équilibres politiques, accompagnant et renforçant une tendance lourde à la droitisation du pays. Les Russes Israéliens sont moins "spontanément démocratiques", au moment où les Séfarades venus du Moyen-Orient et du Maghreb sont plus naturellement anti-arabes que ne le sont les Ashkénazes venus d'Europe. Or, Russes et Séfarades forment désormais la majorité du pays.

Ces variations, identitaires et géographiques, ne sauraient faire oublier l'essentiel et, pour les tenants de la démocratie libérale classique,  le plus inquiétant : le parallélisme entre les évolutions politiques actuelles d'Israël et des Etats-Unis. "Trump-Netanyahu" même combat, au point qu'il est difficile de savoir qui est le modèle et entraîne l'autre. Avec cette question lancinante : une victoire qui apparaît désormais comme possible de Netanyahu en Israël, laisse-t-elle présager de la réélection de Trump aux Etats-Unis ? Y aurait-il un zeitgeist, un esprit du temps, illibéral ?

Le plus inquiétant : le parallélisme entre les évolutions politiques actuelles d'Israël et des Etats-Unis.

Absence de scrupules

La même absence de scrupules, la même atmosphère de complot et de scandale autour de leurs personnes, la même brutalité, le même culot, la même stratégie de conquête et de maintien au pouvoir. Il s'agit d'utiliser la polarisation grandissante de la société, de s'en servir comme d'un tremplin. Pourquoi réunir autour d'un slogan du type "en même temps" le plus grand nombre possible quand on peut l'emporter en s'assurant qu'au jour des élections, 51 % des électeurs, au sens strict ou métaphorique du terme seront derrière vous ?

Un leader toxique

Il y a certes des différences entre Israël et les Etats-Unis, entre une puissance régionale toujours plus musclée et une puissance mondiale sur le déclin, de même qu'il y a des différences entre Netanyahu et Trump, le fils d'un universitaire et celui d'un magnat de l'immobilier.

Mais au bout du compte, ils sont, tous les deux à leur manière, aussi "toxiques" pour les intérêts à long terme de leurs pays respectifs, sinon pour la cause de la démocratie elle-même. Bibi et Trump sont tout à la fois, les symptômes et les facteurs aggravants de la crise qui affecte les modèles démocratiques, favorisant en leur sein le développement de comportements de types mafieux.

Comme s'ils étaient tous les deux portés par un même instinct, celui de divorcer du monde dans le cas de Trump,  celui de divorcer du Moyen-Orient dans le cas de Netanyahu. Une ambition aussi irréaliste que fondamentalement nuisible dans les deux cas.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 25/03/19).

Copyright : AMIR COHEN / POOL / AFP

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