Ce retour obligé vers le passé, particulièrement évident lors du Sommet, constitue un frein à un autre aspect de l’ambition du Président français pour la relation avec l’Afrique : le rapprochement avec les pays africains non-francophones. C’est le cas notamment du Ghana, du Nigeria, de l’Ethiopie, du Kenya et de l’Afrique du Sud, où il a effectué des visites respectivement en novembre 2017, juillet 2018, mars 2019 et mai 2021. Si la délégation de jeunes qui ont dialogué avec le Président Macron le 8 octobre comptait une anglophone (parmi les 11), du Kenya, il s’agissait avant tout d’une discussion avec l’Afrique francophone, qui "demande des comptes à la France" comme l’ont noté certains, ajoutant même qu’une telle scène n’aurait pas lieu dans les autres anciens pays colonisateurs.
La diaspora, entre relation avec l’Afrique et enjeux électoraux
Le Président Macron a souhaité faire de ce qu’il appelle la diaspora, soit les près de 7 millions de Français (de 1ère ou 2ème génération) dont la vie est liée à l’Afrique, la pierre angulaire de la relation avec le continent. C’est ainsi qu’il a mis en place dès son arrivée au pouvoir le Conseil présidentiel pour l’Afrique, composé de personnalités issues de la société civile et pour la plupart de la diaspora, dont l’objectif est de nourrir la politique africaine du Président. Le Sommet de Montpellier (ville où l’université accueille une chaire des diasporas africaines) s’est inscrit dans cette même lignée, mettant à l’honneur "la part d’africanité de la France".
D’une part, il s’agit de miser sur un avantage comparatif de la France par rapport à ses concurrents russes et turcs par exemple, dont l’histoire n’est pas aussi imbriquée avec celle du continent. Le Président s’est ainsi engagé à travailler davantage sur la reconnaissance du rôle clé joué par la diaspora, notamment financier, en construisant un cadre pour les flux de financements privés avec l’Afrique, en lien avec l’AFD et les systèmes bancaires.
Mais cela répond d’autre part à des enjeux électoraux français, comme le démontraient déjà Antoine Glaser et Pascal Airault dans leur ouvrage paru en avril Le piège africain de Macron, et plus particulièrement encore en cette période préélectorale. Emmanuel Macron, probable candidat à sa réélection, se place ainsi en opposition radicale avec un autre probable candidat qu’est Eric Zemmour, notamment lorsqu’il fait référence, pour démontrer que la démocratie est fragile partout - même en France -, aux "gens qui pensent qu’on peut changer l’histoire, la falsifier, qu’on peut se mettre à relativiser des valeurs universelles y compris chez nous dans le débat français". Les jeunes franco-africains présents sur scène n’ont néanmoins pas manqué de le questionner sur le manque de représentants de cette diaspora parmi les ambassadeurs, les patrons de médias publics, les directeurs de théâtres, de musées. Avec à ses côtés sa Ministre déléguée franco-cap-verdienne Elisabeth Moreno - dont il a rappelé qu’elle avait rejoint le gouvernement à la suite de son intervention lors d’une réunion des diasporas organisée en 2018 avec le Président du Ghana -, il a concédé qu’il restait du chemin à parcourir et a repris à son compte la proposition d’Achille Mbembe d’une Maison des mondes africains et des diasporas pour abriter "la part africaine du génie français".
France-Afrique-Europe ?
Enfin, un aspect important de la relation renouvelée que souhaite le Président français avec l’Afrique est sa volonté de l’européaniser. Cela s’est manifesté y compris sur le plan sécuritaire par la création de la Task Force Takuba au Sahel, regroupant des forces européennes. La question se pose néanmoins de savoir de quelle manière cette relation de continent à continent s’articule avec la relation particulière qu’entretient la France avec le continent - ou du moins avec une partie de celui-ci. Si l’Elysée avait convié à Montpellier des représentants de la Commissaire Jutta Urpilainen et du Président du Conseil européen Charles Michel, il n’a pas été question d’Europe dans les discussions. La France a annoncé son intention d’organiser un Sommet Europe-Afrique dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’UE. Reste à attendre le mois de février 2022 pour avoir des réponses sur ce plan.
Il apparaît à la fin du Sommet de Montpellier que si Emmanuel Macron, qui est friand de ce type d’exercice, a su nouer un bon contact avec ces 11 jeunes sélectionnés, ceux-ci n’ont néanmoins pas donné quitus au chef de l’État français : ils ont insisté sur le fait que ce sommet était un point de départ d’une nouvelle relation, qu’il appartiendra aux Africains eux-mêmes de réinventer.
Copyright : Ludovic MARIN / AFP
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