La réalité du djihadisme est exactement inverse. C’est un mouvement qui s’est construit dans le temps, qui a émergé dans le cadre de la guerre en Afghanistan dans les années 1980, et qui s’est propagé d’abord dans tout le monde musulman puis en Europe dans le courant des années 2000. Cette projection définit une géographie qui est déterminée et qui fait émerger des dynamiques collectives qui lient les différents territoires du djihadisme entre eux. Strasbourg est un bon exemple de ces évolutions puisque, comme je le rappelais, les djihadistes algériens ont tenté d’y essaimer leurs idées dès la fin du XXe siècle ! Déjà, ils projetaient de s’en prendre au marché de Noël de Strasbourg (attentat déjoué en 2000) et ambitionnaient de semer les graines de la discorde au coeur de la société française à travers une campagne d’attentats, ce que Daesh cherchera à concrétiser 15 ans plus tard. En comprenant ces dynamiques,on comprend que ce n’est pas uniquement la France qui est touchée mais une évolution globale qui a des répercussions locales. La réponse se situe à l’interstice de plusieurs domaines. Elle impliquera forcément de comprendre les transformations internes à l’islam, le développement de l’influence islamiste sur cette période et sa traduction spécifique dans des contextes locaux en France, en Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne mais aussi à l'échelle de ces territoires, à l’intérieur de certains quartiers, comme celui de Neudorf où a été tué l’assaillant du marché de Noël à Strasbourg le matin du 14 décembre.
Quels moyens ont été déployés pour retrouver l'attaquant et comment expliquez-vous que cette traque soit si longue ?
L’individu, qui a pris la fuite, n’a pas cherché la mort dans un premier temps, ce qui est d’habitude l’apanage des djihadistes. Ils cherchent ce qu’ils appellent le "martyre". La traque en rappelle d’autres : celle de Mohamed Merah en mars 2012 qui s’était réfugié chez lui et avait fini par affronter les forces de l’ordre, mais aussi celle des frères Kouachi qui avait duré 48 heures. Il a eu aussi celle de Salah Abdeslam qui, après les attentats du 13 novembre, s’était réfugié à Bruxelles. Sa traque avait duré quatre mois mais il avait fini par être retrouvé à 400 mètres de la maison où il avait grandi, bénéficiant de la complicité de son entourage. Cela est très probablement le cas ici.
Les traques de ce type sont toujours délicates, parce que l’autorité de l’État est défiée. La France a désormais une expérience de ces situations, ce qui fait qu’elle est très réactive, quoiqu’en disent certains. Dès l’attentat, le plan blanc de prise en charge des blessés a été déclenché et la collaboration avec l’Allemagne a été immédiatement mise en place. Il ne faut pas occulter ces éléments qui doivent être réinsérés dans un panorama plus large où, malgré les attaques, la France ne se tient pas statique et n’est pas condamnée à subir.
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