Trois soldats arméniens ont été tués le 28 juillet lors de clashs frontaliers avec l’Azerbaïdjan, les deux pays s’accusant mutuellement d’avoir violé le cessez-le-feu de novembre 2020, qui avait mis un terme à la guerre de reconquête menée par Bakou. La Russie a joué son rôle de "gardienne de la paix" et a négocié un retour au calme.
Ce nouvel incident, qui fait suite à plusieurs autres ces derniers mois, doit servir de rappel à la communauté internationale : le conflit entre les deux pays est loin d’être réglé.
En cause, d’abord, bien sûr, les séquelles immédiates de la guerre éclair de fin 2020 (prisonniers de guerre) et de vingt-cinq ans d’occupation par l’Arménie de territoires juridiquement azerbaidjanais (présence de mines), tandis que les deux parties s’accusent mutuellement de destructions de sites religieux et culturels. Ces dernières semaines, elles ont toutefois fait preuve de bonne volonté en procédant à des libérations de prisonniers (côté azerbaïdjanais) et à la délivrance des cartes de champs de mines (côté arménien), dans des régions dévastées qui évoquent ce que devait être le nord-est de la France à la fin des années 1910.
Mais la question territoriale est plus brûlante.
Le problème frontalier
D’abord, le "retour à la frontière internationale", que les pays occidentaux appellent à juste titre de leurs vœux, ne va pas de soi. Les frontières du Sud-Caucase avaient été fixées dès 1921 (traité de Kars). Mais celle qui sépare l’Arménie de l’Azerbaïdjan resta mal démarquée, car il ne s’agissait que d’une simple ligne séparant deux républiques soviétiques.
Ensuite, le sort du Haut-Karabagh - petite république autoproclamée ("Artsakh") peuplée d’Arméniens et enjeu immédiat du conflit - reste incertain. Fin 2020, les forces azerbaïdjanaises ont dû s'arrêter avant que l’enclave soit entièrement sous leur contrôle : elles n'en maîtrisent qu’environ 25 %, au sud et à l’ouest. Or le statut exact de l'ancien oblast soviétique n'est pas décidé. Bakou ne parle que d'intégration et n'évoque plus l'autonomie culturelle autrefois promise. Tous les habitants arméniens du pays auront automatiquement la citoyenneté azerbaïdjanaise ; les quelques 20 000 "colons" arrivés depuis 1994 l'accepteront-ils ?
Et la complexité frontalière de la région ne s’arrête pas là. On pense bien sûr au Nakhitchevan, grande exclave azerbaidjanaise établie en 1921, mitoyenne de l’Iran et, sur quelques kilomètres… de la Turquie. Sa position stratégique n’a pas échappé à Ankara, qui salive depuis fin 2020 à la perspective de l’ouverture d’un corridor routier et ferroviaire - contrôlé par le FSB - lui permettant d’accéder directement à l’Asie centrale (voire jusqu’à la Chine), en longeant la frontière irano-arménienne. Le président Ilham Aliyev menace déjà de l’établir par la force… À celle-ci s’ajoutent quelques petites enclaves arméniennes en territoire azerbaïdjanais et azerbaïdjanaises en Arménie, à propos desquelles des négociations discrètes semblent avoir lieu.
Il est à espérer que l’accord de principe obtenu au printemps entre Bakou, Erevan et Moscou sur la création d’une commission de délimitation et de démarcation frontalière puisse porter ses fruits. Toutefois, comme c’est souvent le cas dans de nombreux conflits dits frontaliers, la frontière est davantage le symptôme du problème que le problème lui-même.
Un conflit identitaire ?
Car ce n’est même pas une guerre de trente ans, mais d’au moins cent : il y a un siècle (1922), les deux États étaient incorporés dans l’Union soviétique après trois années d’affrontements meurtriers entre nations nouvellement indépendantes. Et la mémoire de la cohabitation au sein de l’URSS s’efface désormais au bénéfice de récits nationalistes, souvent ancrés dans un substrat religieux. Difficile de ne pas penser à l’ex-Yougoslavie et, peut-être encore plus, au Proche-Orient avec son cortège de guerres et de réfugiés, de colonisation ou de libération de "terres sacrées", de "martyrs"…
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