Arabie saoudite, poids lourd du pétrole, Iran, poids lourd du gaz
Ajoutons encore un élément déterminant pour la dynamique du marché dans les années à venir. Par sa production, ses exportations et ses réserves, l’Arabie saoudite reste le poids lourd toute catégorie du pétrole. Mais pour le gaz naturel, dont la CEI domine le marché aujourd’hui, ce sont l’Iran et le Qatar qui auront le rôle central dans les années à venir, car, à eux deux, ils détiennent 30 % des réserves mondiales. Or le gaz naturel est le combustible fossile le plus "propre", au sens où il produit le moins de CO2 à valeur énergétique équivalente, comparé au pétrole et au charbon. Avec le développement des énergies renouvelables (solaire et éolien), le gaz naturel est promis à un bel avenir, étant le complément indispensable de ces sources intermittentes par nature.
Quelles conséquences peut-on d’ores et déjà anticiper ?
MICHEL DUCLOS
C’est donc vers la réaction des États-Unis et de l’Arabie saoudite que les regards se tournent maintenant.
Les premiers commentaires du Président Trump ont été, comme c’est généralement le cas, crûment révélateurs : ce sera aux Saoudiens de prendre la responsabilité de la riposte ; et s’ils demandent aux États-Unis d’intervenir, ils devront payer les frais que ceux-ci engageraient. C’est peut-être la première leçon de cet épisode : la "garantie de sécurité" des États-Unis à l’égard de leurs alliés n’a plus dans le monde d’aujourd’hui qu’un caractère relatif. Il est vrai que l’impopularité des Saoudiens au Congrès et dans la classe politique américaine ne favorise pas un engagement très net du gouvernement américain.
Puis, deux jours plus tard, le Président demandait à son administration d'accroître encore les sanctions contre l’Iran. Cela signifie que toute possibilité de rencontre Trump-Rouhani est encore moins plausible puisque l'intérêt d’une telle rencontre pour les Iraniens serait précisément un allégement des sanctions. Les Saoudiens eux-mêmes paraissent donner crédit à la revendication des Houthis, ce qui tend à "banaliser" l’incident, si grave soit-il. S’ils retenaient la thèse d’une responsabilité directe iranienne, il serait beaucoup plus difficile pour eux de ne pas laver l’affront.
Les autres acteurs internationaux se gardent de prendre des positions trop tranchées. M. Poutine maximise son atout d’interlocuteur de tous les pouvoirs de la région. On l’a vu à Ankara en compagnie de M. Rouhani, ironisant étrangement sur la faiblesse des systèmes anti-défense de l’Arabie saoudite ("ils peuvent acheter soit des S300 soit des S400"). Puis le lendemain, il appelait au téléphone le prince Mohamed ben Salman. Peut-être voit-il dans cette affaire, outre un développement positif pour les exportations russes d’hydrocarbures, une occasion de mettre en valeur la fiabilité de la capacité de "pourvoyeur de sécurité" russe face au manque de fiabilité de l’Amérique.
Les consultations et les manœuvres entre Riyad et ses alliés sont maintenant engagées. Il reste à voir si la réaction de Washington et de ses alliés restera vraiment minimale. Si tel était le cas, ce serait en fait un aveu de faiblesse étonnant : l’incitation serait forte pour les Iraniens de continuer à jouer de leur capacité de prendre en otage le marché mondial du pétrole. Moins d’une vingtaine de frappes très précises ont suffi à détruire en quelques minutes 5 % de la capacité de production mondiale du pétrole. On peut en déduire qu’en réalité, la capacité de production du premier fournisseur mondial est à la merci d’une attaque plus systématique.
ERIC CHANEY
La principale conséquence à long terme, de mon point de vue, est qu’il est rationnel de se passer des hydrocarbures, même si leur prix baisse.
Obsession des importateurs de pétrole après les embargos décidés par l’OPEP en 1973 et en 1979, la sécurité de l’approvisionnement en huile est à nouveau déstabilisée. Le rôle des marchés à terme du pétrole, qui, bien souvent, fournissent le fil directeur du marché spot est d’anticiper l’équilibre offre demande à moyen long terme et d’assigner une prime de risque à l’instabilité d’origine géopolitique de l’offre, celle de la demande étant plus d’origine économique. La pente normale de la courbe des prix futurs devrait donc être fortement ascendante, l’incertitude future ne pouvant qu’augmenter. Or c’est l’inverse qui se produit : le prix du baril de WTI livré en mars 2020, 56 $, est plus élevé qu’à l’échéance fin 2025 (53 $).
Même si le marché inclut une prime de risque croissante dans le futur, les fondamentaux de l’offre – surabondante — et de la demande – structurellement en stagnation, voire en baisse, notamment en raison de la prise de conscience du changement climatique –, l’emportent largement. Cela ne facilite évidemment pas la tâche des politiques économiques visant à réduire les émissions de CO2, la tendance à la baisse du prix venant contrecarrer l’affaiblissement structurel de la demande.
Voilà une raison de plus d’avancer vers la fixation d’un prix du carbone croissant dans le temps et prenant en compte les dégâts futurs des émissions de CO2, indépendamment des prix de marché. Et puisque les hydrocarbures servent aujourd’hui essentiellement aux transports, les technologies de substitution aux moteurs thermiques traditionnels, qu’il s’agisse de la filière électrique ou de la filière hydrogène, doivent être encouragées, à condition, bien sûr que l’encouragement ne soit pas lui-même une source de gaspillage.
Copyright : FREDERIC J. BROWN / AFP
Ajouter un commentaire