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24/11/2017

Arabie saoudite ou comment guérir de la maladie hollandaise

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Arabie saoudite ou comment guérir de la maladie hollandaise
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Les récentes annonces du prince héritier Mohammed Ben Salmane, prononcées lors du forum économique "Futur Investment Initiative" visent à réformer en profondeur l’Arabie saoudite. Dans la droite lignée de son programme “Vision 2030” dévoilé en avril 2016, les déclarations de "MBS" - comme le dénomment désormais les commentateurs internationaux -  s’inscrivent dans un contexte de tensions grandissantes entre le royaume saoudien et l’Iran. L’actuelle crise au Liban en est la manifestation la plus pertinente et place le royaume wahhabite sur le devant de la scène internationale. 

Comment interpréter ces annonces ? Qu’attendre de ce projet de transformation du pays ? Hakim El Karoui, Senior Fellow auprès de l’Institut Montaigne et auteur du rapport Nouveau monde arabe, nouvelle "politique arabe" pour la France publié en août dernier, nous livre son analyse.

Dans quelle mesure et selon quelles orientations la diversification de l'économie saoudienne est-elle réalisable à court terme ? Quelles en sont les conditions ? 

L’Arabie saoudite souffre, comme beaucoup de pays pétroliers ou miniers, de la "maladie hollandaise" : des prix élevés et de faibles incitations à travailler en raison de l’importance de la rente distribuée par l’Etat. L'accroissement des recettes d'exportation entraîne par ailleurs l'appréciation de la devise, qui nuit à la compétitivité-prix des exportations non pétrolières du pays. L'effet est encore plus prononcé lorsque la rente s'amenuise voire disparaît : l’argent issu de la rente pétrolière est moindre mais les autres industries ne parviennent pas à prendre le relais, faute de gains de productivité nécessaires, et souffrent d’une monnaie trop forte pour  exporter efficacement.

Outre la baisse des cours du pétrole, l’Arabie saoudite est confrontée à un second problème : la taille de sa population. Le PIB par tête saoudien équivaut à celui du Portugal et de la Slovénie. Avec 30 millions d’habitants, la population de l’Arabie saoudite explose. 

Ce cadre étant posé et le diagnostic partagé, reste à mettre en œuvre la stratégie qui va permettre de guérir de cette "maladie". C’est là que les difficultés commencent : changer le modèle économique saoudien suppose quelques pré-requisqui peuvent bousculer une population habituée à vivre d’une rente et donc à ne pas, ou peu, travailler. La baisse des subventions publiques pour instaurer des prix plus proches des coûts de production est une priorité. L’augmentation du taux d’activité, masculin comme féminin, et de la productivité du travail des nationaux saoudiens - aujourd’hui très faible - en est une autre. Troisième impératif pour le pays : la baisse du déficit budgétairequi atteint des niveaux stratosphériques, près de 15 % du PIB en 2017. Enfin, l’investissement dans des productions destinées à la consommation locale doit être encouragé.

Que pensez-vous du projet d'investissement NEOM et de l'introduction en bourse de Saudi Aramco, compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures ? 

Les chiffres annoncés font rêver tous les investisseurs : 1 300 milliards de dollars pour Saudi Aramco, 500 milliards d’investissement prévus pour le projet NEOM de ville nouvelle. Toutefois, la cotation de la compagnie pétrolière nationale est très complexe, car elle impose de clarifier la gestion de cette entreprise publique, peu habituée à dévoiler ses comptes

L’introduction de Saudi Aramco au sein d’une bourse étrangère est en discussion, et les grandes bourses mondiales font tout pour attirer l’entreprise: la Bourse de Londres - London Stock Exchange, annonçait en juillet dernier son projet de créer un segment boursier particulier qui permettrait à Saudi Aramco de bénéficier du prestige d’une cotation premium, lui ouvrant l’accès à l’indice FTSE, sans toutefois devoir répondre aux critères d’ouverture minimum de capital et de gouvernance. En effet, Saudi Aramco ouvrirait seulement 5 % de son capital, alors que, selon la réglementation en vigueur à la bourse de Londres, un minimum de 25 % est exigé pour accéder au premium listing de la London Stock Exchange. Les investisseurs ne voient pas cet assouplissement réglementaire de bonne augure, en raison de l’absence de transparence des comptes.  

Ainsi, et bien que la cotation boursière de Saudi Aramco puisse permettre de clarifier sa valeur, mal prise en compte dans le calcul de la richesse nationale, l’exigence d’une gestion aux normes par les actionnaires risquerait de faire fluctuer le cours.

Quant à NEOM, il s’agit d’un projet de ville comparable à ceux que les acteurs du Golfe apprécient tant : grandiose, cosmopolite, sans identité affirmée. La question du financeur de tous ces projets reste néanmoins entière. L’Etat saoudien a des besoins considérables et certainement pas les capacités de dépenser 500 milliards de dollars en quinze ans.

Quelle compréhension faut-il avoir du discours de rupture avec l'ultra conservatisme religieux, prononcé par le prince héritier ? Est-ce un réel changement qui se profile ?  

C‘est probablement le sujet le plus important. Remettre en cause comme il le fait publiquement le wahhabisme, c’est aller contre l’alliance intime qui date de 1744 entre son aïeul Mohammed Ibn Séoud et le prédicateur hanbaliste Mohammed Ben Abdelwahhab. C’est, plus près de nous, remettre en cause l’alliance entre la famille Séoud et la famille Al-Cheikh, les descendants du prédicateur. Cela implique ainsi de briser la sainte alliance qui a permis la stabilité politique justifiée par le despotisme religieux.

En maniant le bâton, Mohammed Ben Salmane effraie un système politico-religieux plus habitué au consensus qu’au pouvoir autoritaire. En ouvrant de nombreux fronts à la fois, internes mais aussi externes - en Iran bien sûr, mais aussi au Yémen avec une guerre aux conséquences atroces, au Qatar et maintenant au Liban, il s’ouvre brutalement un accès au pouvoir qu’il entend conforter par l’appel à la cohésion nationale face aux menaces externes. Ce faisant, il prend de grands risques. Mais peut-être est-ce nécessaire pour permettre au pouvoir des Séoud de résister à la profonde et très rapide transformation que connaît aujourd’hui la société saoudienne.
 

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