Ce double message – la souveraineté ne se définit plus aujourd’hui en termes exclusivement militaires et elle ne peut être restaurée qu’au niveau européen – faisait déjà partie de l’argumentation de l’interview à The Economist. Le Président l’a développé de nouveau à Munich, dans le grand hall du Bayerischer Hof, non sans crânerie compte tenu de son auditoire : un parterre de caciques de la relation transatlantique. Adepte d’un langage de vérité, il a de nouveau plaidé pour que l’Union européenne se ressaisisse en matière de normes, de technologies, d’environnement, de politique de voisinage etc. autant que dans le domaine militaire proprement dit. Comme dans les colonnes de The Economist, il a mis en cause les politiques de consolidation budgétaire en Europe qui ont pour conséquence le financement des investissements américains par l’épargne européenne.
Pour illustrer les conséquences diplomatiques de la dépendance européenne à l’égard des États-Unis, il a indiqué : "si nous n’avons pas bâti une vraie souveraineté financière, économique et militaire, nous ne pouvons pas avoir une diplomatie propre. On l’a vécu sur le JCPOA".
Emmanuel Macron, peut-être pour étayer son wake-up call à l’Europe mais plus sûrement parce que son constat relève de l’expérience acquise, n’a pas hésité une nouvelle fois à insister sur les menaces qui pèsent sur notre vieux continent. Alors que le secrétaire d’État américain, M. Pompeo, proclamait que "l’Occident est en train de gagner" (contre la Chine, la Russie, et l’Iran), le président Macron a développé le thème de "l’affaiblissement de l’Occident", du fait de l’émergence de la Chine et des "puissances régionales qui ne partagent pas nos valeurs mais sont dans notre voisinage" et du fait aussi d’une "forme de repli relatif de l’Amérique". Dans ce temple de la communauté transatlantique, le Président a insisté, avec plus de franchise encore que dans d’autres interventions, sur les divergences qui peuvent exister entre intérêts américains et européens ou simplement sur des hiérarchies de priorités différentes : "la politique méditerranéenne, la politique vis-à-vis de la Russie doivent être des politiques européennes".
Dans cette approche, les questions de défense sont traitées de manière au fond relativement classique pour un chef d’État français mais elles acquièrent une résonance nouvelle. La recherche d’un "pilier européen de défense", au sein de l’OTAN ou en complément de l’OTAN, appartient au répertoire français au moins depuis Jacques Chirac. Il est vrai que désormais, le Président peut mettre en avant quelques avancées, en fait plutôt fragiles, comme un fonds européen de défense ou l’initiative d’intervention, puis plus récemment les projets franco-allemands (à l’accouchement difficile) de char et d’avion du futur. La vraie force du raisonnement d’Emmanuel Macron se situe probablement ailleurs : dans l’évidence de l’éloignement américain, que même les "caciques de l’atlantisme" ne peuvent nier, et aussi dans une capacité peut-être sans précédent à "mettre les doigts sur les plaies". À Munich, Emmanuel Macron n’a pas caché les multiples divisions qui existent entre Européens et il a appelé ceux-ci à sortir de la crainte de l’avenir qui les paralyse actuellement. Il a fait état avec franchise d’un "double impensé" de la défense européenne : "le refus de la puissance" de la part de l’Allemagne de l’après Seconde Guerre mondiale, et la fixation des Centre-Européens sur la protection américaine. S’il faut une défense européenne, a-t-il assené, c’est parce que les Européens ont besoin d’une certaine "latitude d’action", et pour répondre à la demande américaine pressante d’un effort de défense plus fort des Européens.
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