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20/01/2022

Après les sanctions de la Cedeao, quel horizon pour le Mali ?

Trois questions à Antoine Glaser

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Après les sanctions de la Cedeao, quel horizon pour le Mali ?
 Antoine Glaser
Journaliste et spécialiste des études africaines

Depuis le 9 janvier, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a soumis le Mali à un embargo économique sans précédent, limitant strictement les échanges commerciaux avec les États membres de l’organisation aux biens de première nécessité. Cette situation résulte de l’impasse politique dans laquelle se trouve le Mali depuis le coup d’État de la junte en août 2020, et son refus d’organiser les élections initialement prévues en février 2022. Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l’Afrique, nous livre son analyse de la situation politique, économique et militaire du pays. 

Quelles conséquences les sanctions prises par la Cedeao revêtent-elles pour le pays ? Pour les pays voisins ? 

Les sanctions prises à Accra le 9 janvier par les chefs d’État de la Cedeao contre le Mali sont extrêmement sévères - et d’application immédiate : fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Communauté et ce pays, suspension de toute aide financière et des transactions commerciales (à l’exception des produits de première nécessité) et gel des avoirs du Mali dans les banques centrales et commerciales de la Cedeao. Ce type de sanction a pour objectif une asphyxie financière du pouvoir pour peser sur le fonctionnement de l’État, notamment concernant le paiement des salaires, les dettes dues aux fournisseurs, les bourses d’étudiants, les missions de service public, etc. 

Les chefs d’État ont frappé très fort, persuadés qu’ils allaient obtenir de la junte un calendrier électoral très réduit de la période de transition.

Les chefs d’État ont frappé très fort, persuadés qu’ils allaient obtenir de la junte un calendrier électoral très réduit de la période de transition. Fin décembre 2021, des "Assises nationales de la refondation" organisées par le pouvoir avaient en effet fixé de 6 mois à 5 ans la préparation de nouvelles élections. Il y a donc une marge pour négocier. Ces sanctions - qui seraient immédiatement suspendues en cas d’entente avec le pouvoir sur un nouveau calendrier - ne sont pas sans conséquences sur les pays voisins.

Elles ont même un effet boomerang évident sur les économies du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Le Port de Dakar vit à 50 % des importations du Mali et celui d’Abidjan exporte la quasi-totalité des produits maliens, en particulier le coton. Sans même évoquer la communauté commerçante malienne très active dans ces deux pays et dont les activités sont entravées. Si cette situation perdure, elle pourrait conduire la junte au pouvoir à quitter la zone franc.

Les pressions extérieures que subit la junte pour l'organisation d'élections et le retour des civils au pouvoir sont-elles efficaces ? Sur quels soutiens extérieurs le Mali peut-il s'appuyer pour y faire face ?

Pour l’instant, les pressions de la Cedeao ont plutôt déclenché un vaste mouvement nationaliste en faveur du pouvoir. Le vendredi 14 janvier, on a assisté à une mobilisation populaire sans précédent à Bamako et dans plusieurs villes du pays. Les manifestants ont dénoncé les sanctions de la Cedeao mais s’en sont également pris à la France, accusée d’avoir instrumentalisé les chefs d’État de la région contre leur pays. 

Pour desserrer l’étau économique, une délégation ministérielle malienne s’est rendue le 17 janvier à Conakry, en Guinée. Elle a été reçue par le colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte guinéenne, d’autant plus solidaire avec ses frères d’armes maliens qu’il craint lui-même des sanctions de la Cedeao s’il se maintient trop longtemps au pouvoir. Des accords auraient été signés entre les deux pays. Le Mali souhaiterait notamment installer des dépôts d’hydrocarbures à Conakry. Une autre mission malienne s’est rendue en Mauritanie, qui n’appartient pas à la Cedeao et qui a déjà un commerce florissant avec Bamako.

Pour l’instant, les pressions de la Cedeao ont plutôt déclenché un vaste mouvement nationaliste en faveur du pouvoir.

Mais c’est sans doute l’Algérie, déjà très impliquée dans la vie économique malienne au nord du pays qui pourrait jouer un rôle majeur dans les prochaines semaines entre la junte et la communauté internationale. Le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a déjà fait savoir qu’il estimait raisonnable une période de transition de 12 à 16 mois. Il s’est proposé à aider à la mise en place d’un plan de crise. L’Algérie a toujours surveillé de très près ce qui se passait dans le nord du Mali afin d’éviter toute velléité irrédentiste dans le sud algérien.

Sur le plan militaire, quel avenir peut-on envisager pour les présences française et européenne sur le territoire malien, notamment face à l’intervention du groupe Wagner ?

La France est plus que jamais piégée au Mali. Les autorités ont confirmé qu’elles avaient bien reçu de la junte malienne une demande de révision des accords de défense. Ces accords avaient été confirmés par un traité de coopération signé le 16 juillet 2014 à Bamako. Ce traité encadre l'organisation, l'équipement et l'entraînement des forces, l'échange d'information ou encore l'organisation de transits, de stationnements temporaires, d’escales aériennes. Homme fort du régime, le Premier ministre Choguel Maïga reproche à la France d’entraver des opérations aériennes de l’armée malienne. La position française va vite devenir intenable vis-à-vis de ses partenaires européens qui s’interrogent de plus en plus sur le maintien de leurs militaires au Mali, en particulier les Suédois, bien que ce soit l’un de leurs officiers qui soit à la tête de "Takuba" (Forces spéciales européennes). Les Allemands du gouvernement de l’après-Merkel s’interrogent également sur leur présence dans la Minusma (Mission des Nations Unies au Mali) et EUTM Mali (Mission de formation de l’Union européenne Mali). Avec un ravitaillement aérien interdit et un ravitaillement terrestre bloqué par des manifestations, l’opération Barkhane va vite être coincée à Gao.

Quant à l’intervention du groupe Wagner, elle sert surtout de leurre à une nouvelle stratégie russe qui a longtemps eu une coopération militaire importante avec ce pays. À l’image de son arrivée en Centrafrique dans les négociations en 2019 entre les groupes armés de la Seleka et le pouvoir à Bangui du président Faustin Archange Touadéra, la Russie pourrait rêver de jouer le rôle de facilitateur entre le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) et la junte à Bamako.

 

Copyright : Thomas COEX / AFP

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