Si l’on regarde les choses avec un peu de hauteur, trois résultats politiques marquants caractérisent la rencontre de Biarritz, dans lesquelles encore une fois on retrouve la marque personnelle d’Emmanuel Macron.
- UN PROGRÈS DANS LA MÉDIATION FRANÇAISE SUR L'IRAN
Les contacts que le président de la République et ses collaborateurs ont multiplié avec Téhéran et Washington depuis des semaines (M. Zarif a été reçu par M. Macron à Paris à la veille du sommet) ont conduit à se rapprocher des conditions dans lesquelles une rencontre Trump-Rouhani devient possible à New York à la fin du mois à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Les conseillers de l’Elysée restent à juste titre à la fois très discrets et très prudents. Il paraît difficile que Rouhani franchisse le pas d’une rencontre sans un minimum d’assouplissement des sanctions américaines. Beaucoup d’autres questions pratiques de ce type restent en suspens. Ce qui paraît central, c’est qu’Emmanuel Macron a compris que M. Trump souhaite à un moment ou à un autre reprendre la discussion avec l’Iran : avec Biarritz, ce souhait a en quelque sorte été officialisé ; on peut faire le pari que les Iraniens seront obligés eux aussi de faire mouvement. Le rôle que s’est attribué la diplomatie macronienne, dans un premier temps, est de faire en sorte que les deux parties puissent bouger sans que ni l’une ni l’autre ne perde la face. Si une "photo-opportunity" a bien lieu à New York (les premières réactions de M. Rohani sont mitigées), un immense travail de fond restera à faire, pour lequel la diplomatie française pourrait trouver à s’employer.
- LA PRÉSERVATION D'UNE PISTE MULTILATÉRALE
C’est apparemment sur ce point un résultat limité, mais il faut se souvenir qu’il y a un an, la faisabilité d’un sommet du G7 n’était pas assurée.
Or, en cette année 2019, comme les années précédentes, la venue d’un certain nombre de dirigeants tels que M. Modi, M. Kagamé, M. Piñera, M. Sissi, M. Sall ou M. Kaboré, les projets concrets qui ont été lancés ou abordés, la mise en scène de l’affaire des incendies en Amazonie – qui a permis de contraindre M. Trump à faire cause commune avec ses pairs sur un aspect vital de la gestion du changement climatique –, tout cela démontre que la pertinence d’une coopération multilatérale reste d’actualité. Ce sommet de Biarritz d’un groupe réputé démodé a fait jaser toute la planète.
À partir de là, il est possible que le G7 ne survive pas à son édition de 2020 et que Donald Trump fasse exploser ce "format" comme disent les diplomates. Il n’est pas exclu que le Président américain trouve cependant suffisamment d’intérêt à l’exercice pour en assurer la pérennité. On ne peut non plus complètement écarter l’hypothèse qu’un Démocrate succède en 2021 à l’actuel locataire de la Maison Blanche. Dans ce cas, la diplomatie macronienne, sur la même ligne que celle des autres membres du G7, aura eu le mérite de faire traverser une passe difficile à une enceinte qui constitue un des rouages de la délicate mécanique de la coopération internationale – rouage d’autant plus important précisément en ce moment où cette mécanique est largement enrayée ou soumise à des pressions très fortes.
- UN DÉBUT DE LEVÉE DE L'HYPOTHÈQUE RUSSE
Les commentaires français insistent beaucoup sur le ralliement explicite du Président Macron à la thématique qui est celle d’un courant dominant dans l’establishment français, allant de Nicolas Sarkozy à Philippe de Villiers, en passant par Hubert Védrine, Dominique de Villepin, Jean-Pierre Chevènement et beaucoup d’autres.
Selon cette thématique, l’Europe aurait commis une erreur stratégique en laissant la Russie s’éloigner ; persister dans cette erreur conduirait à la pousser dans les bras de la Chine. De surcroît, la Russie serait au cœur de la plupart des crises – Afghanistan, Syrie, Libye, Ukraine – qu’il serait impossible de vouloir régler sans elle. Hubert Védrine s’indigne que nous ayons de plus mauvaises relations avec la Russie actuelle qu’avec l’URSS à la fin de la Guerre froide : il n’en tire pas la conclusion que les derniers dirigeants soviétiques avaient peut-être plus de considération, ou en tout cas d’intérêt pour l’Europe que n’en a l’actuel chef du Kremlin, mais celle que la charge de la preuve revient aux Européens. De quels leviers disposent les démocraties pour adresser des signes de réconciliation à un pays qui détient toujours des marins ukrainiens, soutient les séparatistes dans ce pays, l’Ukraine, qu’il a amputé d’une partie de son territoire, bombarde allégrement des populations civiles en Syrie, a plus ou moins réduit le Conseil de sécurité des Nations Unies à l’impuissance ?
Le retour de la Russie dans le Conseil de l’Europe, effectué au printemps, faisait partie de ces signaux de réconciliation. Un geste plus spectaculaire serait sa réintégration dans le G7 qui redeviendrait le G8. Il se trouve que c’est de toute façon le vœu de M. Trump. On ne peut donner tort à M. Macron d’avoir procédé à Biarritz à un tour de table sur la question : seul le Président du Conseil italien a soutenu la position de Donald Trump. Emmanuel Macron s’en est tiré par l’une de ces motions de synthèse qui font le charme éternel de la diplomatie la plus classique : la candidature de la Russie pourrait être réexaminée si des progrès sont accomplis sur le dossier ukrainien (dans l’une de ses conférences de presse, il a aussi mentionné la nécessité de progrès sur l’affaire Skripal, sans doute sous pression de la délégation britannique). Un sommet dans le format dit "Normandie"(Allemagne, France, Russie, Ukraine) va être organisé très prochainement. Ce sera donc un test important.
Cela n’empêchera pas le Président Trump de convier Poutine au sommet de l’année prochaine des grandes démocraties industrialisées - mais en tant qu’invité et non en tant que membre du groupe. Une réintégration proprement dite, selon la thèse formulée par Emmanuel Macron, suppose un changement de comportement de la part de Moscou, au moins sur le dossier ukrainien.
Les commentateurs français ont beaucoup glosé sur ce qui leur apparaît comme un tournant de la diplomatie macronienne. Certains ont été frappés de ce que, à plusieurs reprises, notamment lors de son allocution devant la conférence des Ambassadeurs, le Président ait mis en garde ce qu’il a appelé "l’Etat profond" contre une prudence routinière hors de saison, notamment sur ce sujet russe. Il est assez classique sous la Vème République que le président de la République marque de l’impatience devant des "résistances" venant des services (même si celles-ci sont moins redoutables que des excès de zèle des mêmes services). M. Macron partage-t-il pour autant l’illusion de ceux qui croient qu’il suffit de "parler aux Russes" pour que ceux-ci se révèlent coopératifs ? Le fait est que, jusqu’ici, sa démarche est plus prudente : il a fait des gestes symboliques ; il est prêt à en faire d’autres (se rendre à Moscou l’année prochaine pour le 75ème anniversaire de la victoire de la Seconde Guerre mondiale) ; il n’en attend pas moins des mesures concrètes de la Russie sur l’Ukraine avant d’aller plus loin.
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