C’est sans doute une leçon importante de cette crise, même si ce paradoxe doit être relativisé par le soutien qu’une large partie de la population continue d’accorder au gouvernement allemand. Une étude de l’Université de Heidelberg publiée en juillet dernier révèle ainsi que 68,3 % de la population allemande juge satisfaisante ou très satisfaisante la gestion de la crise par le gouvernement, alors que 64,7 % des personnes interrogées considèrent que les mesures adoptées étaient proportionnées à leur utilité sociale. Si le mouvement de contestation ressort de cette étude comme un phénomène relativement marginal - 24 % des personnes interrogées se déclarant insatisfaites de la gestion de la crise - cette étude met également en évidence le "biais conspirationniste" (Verschwörungsmentalität) dominant la majorité de répondants hostiles à la politique de lutte contre le virus.
La question du masque en Allemagne
La forte présence des théories du complot circulant dans ces manifestations a largement contribué à décrédibiliser le mouvement de contestation. Une attention particulière doit cependant être portée aux ressorts de cette mobilisation, et notamment à "l’incertitude" qui prévaut dans la prise de décisions politiques, dénoncée par une partie des manifestants comme le moteur de leur opposition. Durant la crise, le gouvernement allemand a cherché à présenter ses décisions non comme des choix politiques mais comme le produit d’une rationalité scientifique, mettant progressivement en lumière les incertitudes de la science vis-à-vis de l’épidémie.
En Allemagne comme en France, le changement de discours sur l’utilité du masque a ainsi alimenté la défiance vis-à-vis des mesures imposées par le gouvernement. Comme le rappelle le quotidien Die Zeit dans son édition du 13 août 2020, les experts furent unanimes, au début de l’épidémie, pour dénoncer l’utilité du port du masque par l’ensemble de la population. Le 29 janvier, l’Organisation Mondiale de la Santé jugeait ainsi que seules les personnes atteintes des symptômes devaient porter un masque et le célèbre virologue Christian Drosten, tout comme Lothar Wieler, le Président du Robert Koch Institut, continuent d’affirmer jusqu’en avril qu’il n’y avait "pas d’évidence scientifique que le port du masque par les citoyens présente une quelconque utilité". Encore aujourd’hui,un pays comme la Suède refuse d’encourager sa population à porter un masque dont l’utilité n’est pas scientifiquement avérée, craignant que le port du masque ne génère un faux sentiment de sécurité et un relâchement du respect des gestes barrières ou des règles de distanciation.
L’Allemagne n’a infléchi sa position sur le masque que progressivement. La ville d’Iena fut la première à imposer le masque dans l’espace public dès la fin du mois de mars, parvenant à démontrer une baisse importante du nombre de contaminations. Fin avril, le port du masque dans les magasins et les transports en commun est rendu obligatoire, et le 27 août 2020, l’État fédéral et les Länder (à l’exception de la Saxe-Anhalt) décident d’imposer une amende à ceux qui refuseraient de le porter. L’obligation du port du masque devient alors la mesure cristallisant en Allemagne l’opposition à la politique du gouvernement.
Les nouveaux visages de la radicalité
Ajouter un commentaire