En Afghanistan, au-delà des péripéties du quotidien, il est une fois de plus choquant de constater la légèreté avec laquelle des nations/empires, démocratiques ou pas, s'y sont engagées. Une légèreté qui n'a d'égale que l'irresponsabilité avec laquelle elles se retirent, laissant derrière elles un cortège de morts et de destructions. Les Soviétiques ont été inspirés par les écrits de Marx et Engels. Mais, en intervenant à la fin des années 1970 en Afghanistan, ils n'avaient visiblement pas présents à l'esprit les avertissements donnés dans un texte publié en 1858 par le jeune Friedrich Engels, à partir des échecs subis par les Britanniques à Kaboul. Les Américains - 11 Septembre oblige - pensaient avoir dépassé les cicatrices et traumatismes laissés par la guerre du Vietnam. Mais ils n'en avaient pas pleinement tiré les leçons fondamentales. On ne sauve pas un peuple contre lui et plus encore sans lui. Pour rendre leur tâche plus insurmontable encore, les Etats-Unis ont ajouté à la guerre de nécessité - que pouvait sembler être l'intervention en Afghanistan - une guerre de choix, en Irak. La seconde a constitué une distraction fatale pour la première. L'attention des Américains s'est reportée sur Bagdad, alors même qu'en dehors de Kaboul et de sa région la situation afghane était tout sauf stabilisée. En matière d'intervention, rien n'est pire que le désintérêt, succédant à des passions molles pour le sort de l'autre.
Un nouveau Vietnam
Il y a aujourd'hui deux risques majeurs en Afghanistan.Le premier est, qu'en dépit de différences bien réelles, le conflit ne devienne un nouveau Vietnam. Certes, Kaboul ne devrait pas tomber avec la même rapidité que ne le fit Saigon en 1975. Le régime en place est moins faible que ne l'était celui du Sud-Vietnam. Mais les troupes américaines, contrairement aux légions romaines, n'ont pas vocation à rester indéfiniment, pas plus en Afghanistan aujourd'hui qu'au Vietnam hier.
Le second risque majeur est d'une tout autre nature et peut se formuler ainsi. Comment préserver, face aux talibans, les progrès intervenus au cours des dernières années, en particulier en ce qui concerne la condition des femmes ? Aujourd'hui des millions de jeunes filles sont scolarisées, des femmes sont docteures, enseignantes, soldates… Plus de 400 femmes ont été candidates aux dernières élections législatives.
Éviter une retraite chaotique
C'est précisément parce qu'il faut sauvegarder ces acquis sociétaux essentiels que l'Amérique ne saurait passer brutalement des tractations secrètes les plus audacieuses, sinon les plus imprudentes, à la simple rupture brutale des négociations de paix. Garder le cap, c'est une manière aussi de ne pas rendre complètement inutile le sacrifice des soldats américains (2.300 morts) et alliés, dont plus d'une dizaine de Français, tombés en Afghanistan. Un chiffre sans commune mesure avec les pertes afghanes, civiles et militaires, qui sont très supérieures.
La Grande-Bretagne au XIXe siècle, l'URSS au XXe, les Etats-Unis au XXIe, l'Afghanistan ne réussit décidément pas à ceux qui ont l'imprudence d'y entrer avec leurs armées. Dans l'immédiat, la suspension des négociations ne doit pas conduire à un retrait chaotique et rapide des troupes américaines, avec pour seul but de satisfaire les promesses électorales de Donald Trump.
Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 15/09/2019)
Copyright : WAKIL KOHSAR / AFP
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