Non, décidément ; il y aura bien peu de raisons de se réjouir ce 9 mai sur la place Rouge à Moscou. La célébration du soixante-dix-septième anniversaire de la capitulation de l'Allemagne nazie y aura un parfum très particulier. Comment fêter la grandeur du passé, quand le présent est à ce point trouble et inquiétant ?
Pour l'URSS, la Seconde Guerre mondiale, au moins depuis l'été 1941 et l'invasion de son territoire par les troupes de Hitler, constituait une sorte de rédemption historique après le pacte germano-soviétique. On ne pouvait lui retirer ce moment d'héroïsme, cette parenthèse de grandeur.
L'isolement international croissant de Poutine
Je me souviens encore d'un débat que je fis à la télévision française avec le philosophe André Glucksmann à la veille du 9 mai 2000 alors que se déroulait la guerre en Tchétchénie. Les dirigeants du monde occidental devaient-ils se rendre à Moscou ? Je pensais que le présent ne devait pas prendre en otage le passé et j'étais favorable à cet acte de mémoire. André Glucksmann y était farouchement opposé. Pour lui, aller à Moscou, c'était pactiser avec le diable et lui donner un certificat de bonne conduite.
Avais-je raison, avait-il tort ? Qui pourrait le dire aujourd'hui ? Poutine dans son comportement semble vouloir conforter le réflexe éthique de Glucksmann. Il y a des moments dans l'histoire où il n'est plus possible de dissocier le passé du présent.
En 2022, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le problème ne se pose plus. La commémoration du 9 mai 1945 traduira aussi l'isolement international croissant de la Russie de Poutine.
Lors du vote des Nations Unies de mars dernier, seuls quatre États s'étaient clairement ralliés derrière les positions de Moscou, une quarantaine d'autres s'étant simplement abstenus de condamner l'invasion russe. Combien de chefs d'État étrangers seront-ils à Moscou ce lundi ?
Un usage nauséabond de l'histoire et du nazisme
Quel message restera-t-il de la cérémonie du 9 mai ? La démonstration de force de la parade militaire sera-t-elle perçue comme un ultime avertissement au monde ? Ou bien les observateurs mettront-ils l'accent sur le contraste existant entre les difficultés de l'armée russe sur le terrain ukrainien et l'apparente invincibilité des troupes qui défilent de manière impeccable ?
Le défilé ne serait-il qu'une version actualisée de ces villages Potemkine qu'avait fait construire l'un des favoris de l'Impératrice Catherine II pour convaincre la tsarine - à partir de simples décors de plâtre - de la grandeur de ses réalisations ?
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