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23/06/2022

71 % : L'abstention des jeunes, premier grand défi démocratique du pays

71 % : L'abstention des jeunes, premier grand défi démocratique du pays
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Italie, Démocratie et Populisme
 Olivier Galland
Auteur
Directeur de recherche émérite au CNRS

L’abstention aura été l’une des grandes caractéristiques des élections présidentielles et législatives de cette année  : 26,3 % au premier tour de la présidentielle et 28,1 % au second, ce qui place ce scrutin juste derrière le record de faible participation atteint en 1969. Pire encore, au premier tour des législatives, l’abstention s’élève à 52,9 % un pourcentage inédit sous la Ve République, et 53,7 % au second tour. Et c’est notre jeunesse qui, massivement, nourrit les rangs de l’abstentionnisme. 

Ainsi, le diagnostic avancé dans le rapport de l’Institut Montaigne, Une jeunesse plurielle, d’une désaffiliation politique d’une grande partie de la jeunesse se trouve largement confirmé par ces résultats. Selon un sondage IPSOS réalisé du 6 au 9 avril 2022 auprès d’un échantillon de 4 000 personnes inscrites sur les listes électorales, 42 % des 18-24 ans ne comptaient pas se rendre aux urnes au premier tour de l’élection présidentielle (46 % des 25-34 ans). Pire encore, au premier tour des élections législatives du 12 juin, 69 % des 18-24 ans ont boudé les urnes (71 % des 25-34 ans) (sondage IPSOS auprès de 4 000 personnes inscrites sur les listes électorales). Et toujours selon IPSOS, ils étaient 71 % au second tour. 

Il en résulte que seul un petit tiers des jeunes a considéré utile d’exprimer un choix politique lors de ces législatives alors que l’offre politique était abondante et diversifiée. C’est d’autant plus remarquable que la gauche, dans la plupart de ses composantes, s’était électoralement unie pour cette élection. Son programme économique et social proposant des nationalisations, des augmentations généralisées des salaires, d’importantes dépenses publiques notamment pour l’éducation et la recherche, et un volet écologique extrêmement consistant et détaillé semblait pouvoir séduire une part importante de la jeunesse de ce pays. La promesse qu’un autre monde est possible, pour reprendre la formule des altermondialistes que Jean-Luc Mélenchon a repris durant sa campagne présidentielle, offrait à ceux qui contestent le pouvoir actuel la possibilité de peser réellement sur le résultat, d’envisager même une majorité à l’Assemblée nationale, d’avoir Jean-Luc Mélenchon à Matignon et de commencer à œuvrer pour une alternative globale aux politiques actuellement mises en œuvre.

Au premier tour, 42 % de ceux âgés de 18 à 24 ans qui ont accompli leur devoir électoral ont choisi la NUPES, mais 42 % des 30 % qui ont effectivement voté, cela représente moins de 13 % de l’ensemble de ces jeunes. Aussi, entre les deux tours, Jean-Luc Mélenchon n’a pas hésité à sonner la mobilisation générale. Le 13 juin sur France 2, il admonestait ceux qui s’abstiennent  : "Je veux dire aux jeunes qu’il faut qu’ils se mêlent de leurs affaires.  Ce n’est pas la peine de venir râler sur Parcoursup si après on ne vote pas pour ceux qui veulent l’abolir".  et il ajoutait que s’ils se soucient de l’avenir de la planète "c’est le moment d’envoyer à l’Assemblée nationale des gens qui vont s’y prendre pour de bon et pour de vrai".

Seul un petit tiers des jeunes a considéré utile d’exprimer un choix politique lors de ces législatives.

Pourtant, cet appel n’a manifestement pas constitué un élément mobilisateur suffisant pour attirer des flux de jeunes aux urnes comme d’ailleurs d’autres segments de ses partisans qui se sont davantage abstenus qu’au premier tour selon IPSOS. 

Il reste que l’enquête de l’Institut Montaigne sur la Jeunesse plurielle nous amène à penser que les jeunes électeurs de la NUPES appartiennent sans doute à trois des catégories que nous avions identifiées  : "les démocrates protestataires" qui croient au vote mais participent également aux actions collectives de protestation, "les révoltés" favorables à un changement radical, voire peut-être les "intégrés transgressifs" qui se sentent pour beaucoup d’entre eux discriminés et partagent une culture transgressive. On sait notamment que Jean-Luc Mélenchon, dans les périphéries des grandes agglomérations a bénéficié du vote des jeunes d’origine étrangère et de confession musulmane, lesquels étaient sur-représentés dans ce dernier groupe. 

Toutefois, le fait majeur reste celui de l’abstention massive des jeunes. Apparemment ce n’est pas un manque de radicalité de l’offre politique qui explique que les jeunes restent à distance du jeu électoral. Comment expliquer leur retrait électoral ? L’enquête Louis-Harris pour l’Institut Montaigne montre que ce retrait ne résulte pas d’un désintérêt des jeunes pour les questions sociétales. Au contraire, ils se montrent fort sensibles aux inégalités, au racisme, à l’environnement, aux violences à l’égard des femmes ou encore au terrorisme.

Néanmoins, l’offre politique, à l’exception de la NUPES mais dans une proportion finalement assez réduite, ne semble plus en mesure de les convaincre de transformer leurs intérêts et leurs sensibilités en participation politique traditionnelle par le vote, même si nombre d’entre eux peuvent s’engager et agir dans des associations ou encore participer à des manifestations diverses et variées. C’est sans doute lié en partie au discrédit moral dont souffrent les partis et le système politique dans son ensemble  : 69 % des jeunes interrogés dans l’enquête Louis-Harris considèrent que les hommes politiques sont corrompus !

La perte de crédit du politique tient aussi au fait que de nombreux jeunes ressentent le monde politique comme impuissant à véritablement et profondément changer les choses. Il y a notamment dans une partie notable de la jeunesse une contradiction fortement ressentie entre, d’une part, l’urgence climatique et, de l’autre, le rythme des réformes à impulser pour y faire face. Dans un monde interdépendant ce rythme est inévitablement assez lent, fait de compromis qui apparaissent à beaucoup de jeunes quelque peu impatients et, pour nombre d’entre eux, angoissés pour l’avenir de la planète et de l’espèce humaine, comme des demi-mesures profondément insatisfaisantes. 

La perte de crédit du politique tient aussi au fait que de nombreux jeunes ressentent le monde politique comme impuissant à véritablement et profondément changer les choses.

Mais, cette défiance envers la politique, voire son rejet, résulte sans doute d’une cause plus profonde liée à une sorte de fatigue démocratique. Dans l’enquête Louis-Harris nous avons été frappés de constater que seuls 51 % des jeunes manifestent un fort attachement à l’idée d’un gouvernement démocratique, 20 points de moins que les baby-boomers. Une partie de cette génération considère peut-être que choisir ses représentants lors d’élections libres ne constitue plus quelque chose de tellement important, ni même de fondamental. Et il est vrai que la démocratie représentative est de plus en plus contestée. La légitimité conférée par le vote pour mener une politique durant le mandat pour lequel on a été élu, cette légitimité s’est affaiblie. Une partie des jeunes semble peut-être blasée à l’égard de la démocratie. Ont-ils bien conscience que la démocratie c’est aussi la préservation des libertés civiques, la liberté d’opinion, la liberté de la presse, la liberté de se déplacer sans contraintes ? Contester la légitimité du vote ou y rester indifférent n’est pas sans danger pour la préservation de ces libertés fondamentales qui constituent le socle de la démocratie. D’ailleurs, dans notre enquête, 26 % des jeunes, donc plus d’un jeune sur quatre, surtout dans les zones rurales, habitant dans des petites villes, disposant d’un niveau d’instruction assez bas et issus de familles à faible capital culturel, étaient des désengagés, indifférents à la politique comme à toutes les questions de société. 

Il reste que cette attitude des jeunes doit interpeller les responsables politiques afin qu’ils trouvent au plus vite les moyens et les solutions pour faire en sorte que la jeunesse française s’intéresse de nouveau à la politique, vote et prenne des responsabilités. On peut penser que ce rapport distant et même critique envers la politique résulte d’un effet d’âge. Il serait inquiétant que cela devienne un effet de génération. 

 

Copyright : JOËL SAGET / AFP

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