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17/01/2020

2020 : Une année américaine

2020 : Une année américaine
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Sur le plan international, l’événement le plus important de l’année 2020 - à moins de développements inattendus et spectaculaires dans le domaine stratégique ou climatique - devrait avoir lieu le mardi 3 novembre. C’est en ce jour en effet que les Américains choisiront leur Président. Leur décision aura des conséquences géopolitiques, politiques, économiques, climatiques et plus encore peut-être, éthiques pour l’ensemble du monde. Un peuple divisé, aux instincts contradictoires a une influence excessive sur le cours de l’Histoire. Ce qui faisait dire, avec ironie, à Stanley Hoffmann, professeur à Harvard et célèbre politologue, que les peuples du monde devraient avoir un droit de regard sur le choix par les Américains de leur Président ou Présidente.

De fait, le monde est peut-être redevenu bipolaire (un G2 avec la Chine) ou multipolaire, mais l’équilibre mondial, sinon la cause de la démocratie ou même la survie à moyen terme de la planète peuvent-ils se permettre quatre années supplémentaires de Donald Trump ? Sur le plan international, le repli chaotique et contradictoire de l’Amérique sur elle-même n’a pas commencé avec Trump et risque donc de se poursuivre après lui, s’il était défait en 2020. Les États-Unis traversent un "moment Jacksonien" de leur histoire, une expression qui fait référence au septième président américain, Andrew Jackson, et qui décrit ce mélange de tendances nationalistes et isolationnistes sans lesquelles on ne peut comprendre le rapport actuel de l’Amérique au monde.

De la même manière, la crise de la démocratie aux États-Unis n’est pas née avec Trump. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Son élection est un symptôme et non une cause. Certains datent de Richard Nixon la crise morale qui a saisi l’Amérique. De fait, c’est le dysfonctionnement profond de la démocratie américaine, aggravée dans ses conséquences négatives par l’explosion des inégalités économiques et sociales et la crise financière et économique de la fin des années 2000 qui ont amené Donald Trump à la Maison Blanche. Et l’élection aux États-Unis d’un président plus soucieux d’écologie ne suffira pas à répondre au défi du réchauffement climatique.

L’élection aux États-Unis d’un président plus soucieux d’écologie ne suffira pas à répondre au défi du réchauffement climatique.

Pourtant entre l’élection d’un démocrate, n’importe lequel serait-on tenté de dire, et la réélection de Donald Trump, il existe une différence considérable. Le monde ne peut se permettre d’avoir à la tête du pays qui est encore la première puissance mondiale (suivie désormais de près par la Chine) un clown rusé et habile certes, mais surtout, un cynique absolu, paresseux, imprévisible, déstructuré et enfin et avant tout, dangereux - comme l’élimination du Général Soleimani à Baghdad en a été l’illustration.

Napoléon ne voulait pas de bons généraux autour de lui, mais des généraux chanceux. Donald Trump est-il un président des États-Unis chanceux ? La destruction en plein vol d’un avion civil ukrainien abattu par erreur par les Iraniens eux-mêmes est pour le Président américain un clin d’œil positif du destin. Continuera-t-il d’être aussi chanceux jusqu’à la fin de son premier mandat ? La cause de la démocratie libérale classique souffrirait un préjudice considérable si Trump, faute d’un adversaire crédible dans le camp des démocrates, se succédait à lui-même. C’est bien là tout le problème, à moins d’un an de l’élection de 2020, la force de Trump réside toujours dans les divisions et les faiblesses des démocrates. Le "Messie" tarde à venir, et la crise économique ne semble pas prête à éclater, mêmes si des signes de ralentissement se font jour.

Il y a ceux, nombreux parmi les analystes, qui sont convaincus qu’à l’heure des Bolsonaro au Brésil, des Modi en Inde, Erdogan en Turquie, Xi Jinping en Chine, Duterte aux Philippines, Orban en Hongrie…., le "zeitgest" (l’esprit du temps) est favorable aux dirigeants populistes et néo-autoritaires. Pourquoi l’Amérique ferait-elle exception ?

À moins d’un an de l’élection de 2020, la force de Trump réside toujours dans les divisions et les faiblesses des démocrates.

À l’opposé, il y a ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, veulent garder espoir. La raison et la décence ne sont pas condamnées à la défaite. Le "centre" continue de tenir aux États-Unis face aux tentations du radicalisme et du populisme. Joe Biden est toujours le favori des sondages parmi les candidats du parti démocrate. L’entrée dans la course de la neuvième fortune du monde, Michael Bloomberg, est peut-être tardive, elle n’en est pas moins significative de cette "résilience du centre". L’Amérique peut retrouver, au moins pour partie, ses fondamentaux démocratiques.

Impeachment ne veut pas dire bien sûr destitution, mais la procédure peut contribuer à renforcer les doutes des hésitants, sur l’essence autant que sur les performances de Donald Trump. Son noyau dur tient mais il ne réunit au maximum que 40 à 42 % des Américains. Continuité négative ou sursaut positif, l’attente va être longue d’ici à novembre 2020.

D’une manière ou d’une autre, l’année 2020 sera, sauf imprévu, "américaine".

 

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