Le dialogue avec la Russie et l’émergence d’une Europe géopolitique
Deux projets qui portent plus particulièrement la marque d’Emmanuel Macron vont aussi se trouver mis à l’épreuve dans les prochains mois.
- Le dialogue avec la Russie : la lecture de la biographie du général de Gaulle par le professeur Jackson montre qu’il y a dans l’approche française de la relation avec la Russie, outre certes des considérations de politique intérieures, une double inspiration : un dessein historique à long terme (réintégrer la Russie dans la sphère européenne), un souci tactique à court terme (détenir un levier vis-à-vis des alliés et partenaires). Dans le cas du "reset" souhaité par le Président français depuis l’été 2019, c’est Vladimir Poutine qui fixera le curseur entre ces deux ressorts de l’initiative macronienne, notamment en lâchant du lest ou non sur l’Ukraine ou dans sa manière de gérer la participation annoncée du Président français aux cérémonies du 9 mai au Kremlin (la campagne de réhabilitation du Pacte Molotov-Ribbentrop constituant sur ce point un mauvaise augure). C’est de l’attitude russe que dépendra la capacité de Paris à vaincre le "russo-scepticisme" d’une grande partie des Européens ;
- L’Europe géopolitique aura-t-elle lieu ? L’agenda européen 2020 sera particulièrement chargé avec la suite du Brexit, la négociation d’un nouveau budget pluriannuel, la discussion sur le "Green Deal" courageusement lancé par la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et de nombreux autres dossiers, dont ceux liés à la défense européenne et à la relation avec la Chine. Nul doute qu’avec la Commission actuelle et la composition du Parlement de Strasbourg, la France dispose de davantage d’atouts que ces dernières années. Nul doute aussi que le rapide inventaire auquel nous venons de procéder pour cette note démontre l’insuffisance de réponses purement nationales aux redoutables défis internationaux qui se présentent devant nous ; il démontre aussi l’impérieuse nécessité d’un changement de culture au sein des instances européennes pour acquérir cette volonté d’avoir un impact géopolitique qui leur faisait défaut jusqu’ici. Pour ne prendre qu’un seul exemple : face à la montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran, un investissement de l’Europe en Irak apparaît indispensable, qui mobilise les ressources diplomatiques certes des Européens mais aussi l’expertise, les moyens financiers, la capacité d’aide au développement etc. des instances de Bruxelles. Sur bien d’autres sujets, l’année 2020 sera, comme on l’a vu, une année cruciale, une année charnière.
On serait tenté de dire à cet égard qu’un test important se situera au moment de "l’après-élections présidentielles américaines" : quel que soit le résultat de celles-ci, les Européens seront-ils collectivement capables d’offrir à la prochaine administration américaine un "nouveau contrat transatlantique" susceptible de rétablir la pertinence de l’Europe aux yeux des dirigeants américains ? Dans le débat interne français, beaucoup de commentateurs se laissent aller souvent à un double réflexe pavlovien : quel que soit le sujet ou l’événement, la France (ou l’Europe) est toujours décrétée "impuissante" d’une part et "alignée sur les États-Unis" d’autre part – même quand Paris (et souvent Bruxelles) s’opposent à Washington sur le climat, le JCPOA, la Syrie, etc. On l’a encore observé dans l’affaire Soleimani : les gouvernements européens se sont abstenus d’approuver l’élimination du général iranien, mais certains leur reprochent de ne pas être allé plus loin, et de ne pas avoir carrément condamné l’action de Washington.
La réalité est beaucoup plus complexe que ces jugements sommaires. Ce qui est vrai, c’est que le moment est venu maintenant pour les Européens d’utiliser toutes leurs marges de manœuvre – moins restreintes qu’on ne le dit souvent – pour prendre l’initiative sur une série de sujets qui conditionnent l’évolution du monde. C’est dans cet état d’esprit que l’Institut Montaigne souhaite pour sa part continuer d’apporter sa contribution au débat.
Copyright : CHARLES PLATIAU / POOL / AFP
Ajouter un commentaire